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Ogilvy + WARC : de l'image à l'impact

Jeudi 15 Septembre 2022

Ogilvy + WARC : de l'image à l'impact

Comment les marques peuvent créer un antidote contre l’apathie. C’est en ces termes qu'Ogilvy signe son rapport "The shift from image to impact". Un dossier qui se présente comme une vaste compilation de deux sources. À savoir les données externes glanées par WARC et témoignant des tendances consommateurs les plus sensibles, et les cas les plus exemplaires du réseau de WPP pour les illustrer, dont témoignages d’annonceurs et d’experts concernés.

Comme thématique principale, il s’agirait de la nécessité pour les marques d’être visibles, bien entendu, mais aussi aimées par leur audiences : la campagne "LOVE" de Belfius n’en est qu’une des multiples illustrations sur notre territoire. D’après le présent rapport, les annonceurs (ou une partie d’entre aux) souhaiteraient surtout « démontrer la pertinence de leur offre dans la vie de leur consommateur ».

Ce "Red Paper" d'Ogilvy se divise en quatre parties. Les deux premières établissent le diagnostic de la situation, dirons-nous, lequel n’est pas rose depuis quelque temps comme le lecteur l’a bien intégré par ailleurs. Les deux secondes assemblent des pistes de réflexion et, littéralement, des recommandations pour s’en sortir, taclant un monde meilleur - le tout dans la perspective à la fois étroite et large des activités de marketing et de communication. On peut dire que la "meaningfulness" est un sujet qui a été plus qu’abordé de nombreuses fois… Spécialement dans le contexte post-Covid, accouché d’une guerre européenne et d’une autre, celle du climat - dont Reeves disait que si l’homme la gagnait, il était perdu. Mais ce rapport rédigé par le Global CEO d'Ogilvy Advertising, Antonis Kocheilas, détient plusieurs mérites : connecter directement ces visions aux pratiques publicitaires, donner un sens positif et optimiste - humaniste ? - à ces actions, et balayer en large le monde, avec le support pertinent de WARC pour éviter l’égocentrisme naturel des agences. 

À ce sujet, Kocheilas s’est entouré d’une belle série de co-rédacteurs à l’instar de Brice Le Blévennec (Emakina) et de ses "visions d’un monde meilleur". A la lecture du document complet de 57 pages, vous en apprendrez sur la façon dont les marques peuvent faire preuve d’empathie au lieu de refléter la culture de masse via des analyses de tendances et comme depuis les débuts du marketing industriel. Et pourquoi elles devraient « être inspirantes plutôt qu’aspirationnelles », avec des accents importants sur les tensions et divergences que nous pouvons observer dans ce monde post-moderne, complexe et sous pression. Il était dit que « l’homme est bon de nature mais que la société le rend mauvais » (J-J. Rousseau). Avec un peu de hauteur, il semblerait que le travail peut aussi se faire dans l’autre sens.

Le premier chapitre est limpide sur ce point : la très grande majorité des consommateurs (83%) attendent expressément de la part des entreprises qu’elles contribuent aux (besoins des) sociétés et à la planète. Sous plusieurs formes et sans se limiter aux enjeux climatiques. Une forme de laisser-passer pour mériter leur profit, ou un capitalisme social contenant le fameux paradoxe notamment évoqué par Stéphane Buisseret (Air) lors du congrès de BAM ("Embrace the paradox", mai 2022). Ils sont presque aussi nombreux en-dessous de 30 ans (81%) à considérer que les marques devraient embrasser les challenges globaux de l’humanité. Rien que ça : « the bar is set high », admet le rédacteur. Venant probablement d’une forme de déception par rapport au politique, il est attendu des entreprises privées qu’elles dépassent leur rôle commercial et s’attachent, entre autres, à l’éducation, aux divertissements et aux respects des valeurs de base dans leur fonctionnement interne, bien sûr.

A ce stade, il est intéressant de se demander quelle est la proportion d’annonceurs qui adoptent concrètement ce type de stratégie. Les analyses et collectes d’études d’Ogilvy et WARC font état d’une minorité d’entreprises embarquées dans le processus. Selon certaines sources, dont l’étude Meaningful Brands de Havas fait certainement partie (sans être citée), les trois quarts des marques peuvent disparaître dans l’indifférence générale des citoyens. Et moins d’une société commerciale sur deux serait digne de confiance. Si les clients savent précisément ce qu’ils souhaitent et refusent, le marketing n’est pas encore clair soit sur sa connaissance des attentes, soit sur les actions à prendre. « Many brands are failing the test » (sic). Nous lisons un "dossier rouge", et non un livre blanc. Voulant dire qu’il y a urgence.

Une transition difficile

Le dilemme ne se limite pas aux marques, devant être performantes et maximiser leur bénéfice tout en activant une vision sociétale, durable et responsable. Les populations sont également divisées, selon les pays mais également en leur sein. Le mouvement vers un monde plus équilibré ne se fait pas si sereinement et de façon uniforme. Il n’y aurait pas de "woke trend", ni d’effort d’inclusivité s’il n’y avait pas tant de déséquilibres profonds. Des attitudes réactionnaires existent, partout, parfois violemment. Ici aussi, le marketing détient un rôle et via le choix d’une stratégie de prises de position claires, prenant le parti parfois de certaines minorités et les soutenant, par exemple, ou accompagnant un individu s’étant distingué par des actions visionnaires. Dont les campagnes Dove depuis bientôt 20 ans et du vécu concret derrière, ou encore le cas du quaterback Colin Kaepernick soutenu par Nike tandis qu’il posait le genou à terre...

À côté des grands élans humanistes glorifiés par la pub, la réalité révèle autant de tension et d’opposition. Le terme selfie n’est pas loin de "selfish", et les réseaux sociaux unissent et réunissent, autant qu’ils divisent, voire qu’ils opposent. Le rapport relève aussi la tendance à l’auto-affirmation (des individus et des groupes) versus l’égalité, l’inclusivité et, parfois, la stérilisation des différences. Il est aussi attendu du marketing et de la publicité plus de personnalisation dans les approches mais un plus grand respect de la vie privée ! Des expériences individualisées mais moins d’interruptivité … Le "moi" veut s’exprimer et se faire respecter autant que le "nous" : une tension déjà pour les rapports entre les personnes, une autre pour le marketing qui va devoir faire preuve d’une empathie particulièrement ingénieuse. En poussant malgré tout ses messages intentionnels, mais en laissant venir aux marques les "leads" qui voudront assumer la moitié du chemin. Et en se condamnant à trouver des solutions dynamiques dans ses rapports aux clients, l’apathie n’étant donc pas une option.

Pour en sortir et avec du résultat positif, le Red Paper d’Ogilvy et WARC propose dans le troisième chapitre six changements majeurs à adopter dans l’optique d’une amélioration des prestations de la communication et des échanges avec le consommateur. De la façon dont elle formule leur fameux "story telling" mais aussi le "doing". Il est à noter que, comme pour toutes réflexions et objets d’analyse de ce rapport, le but vise à valoriser et différencier la communication pour une meilleure performance. Ne soyons pas naïf : l’emblème de WPP vise à soutenir l’efficacité du marketing de ses clients dans une optique 3.0, et c’est très bien aussi. Ogilvy reste authentique dans son intention.

L’image et l’impact se mesurent

Comme quatrième et dernier chapitre, nous ne sommes pas étonnés de trouver une concentration de considérations concrètes sur la mesure. Celle du retour sur investissement, de l’évaluation de l’impact, dans le but d’évoluer encore dans les « correspondances aux besoins du marché et des clients ». La préoccupation importante du management de toute entreprise en rapport avec une option sociétale au cœur de la stratégie, serait le maintien de la rentabilité. Car l’on peut imaginer, tout comme la qualité se paie, là où le low cost reste une préférence massive (souvent par nécessité, bien malheureusement), investir dans le bien de l’humanité ne ramène pas directement du profit. Faux, d’après le rapport : 93% de la GenZ, et l’on sait qu’ils et elles sont difficiles à convaincre, sont attirés par les marques socialement et écologiquement responsables. Et se déclarent prêts à leur rester fidèles. Finalement, le chiffre d’affaires ne vient pas de la vente, mais de l’adoption volontaire d’une marque et de l’usage satisfaisant de ses produits ou services. Le "loyalty loop" se mesure aux efforts supplémentaires de vos concurrents. A vous de jouer.

Bruno Liesse

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