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Ivan Vandermeersch sur quatre décennies de construction de passerelles

Samedi 23 Octobre 2021

Ivan Vandermeersch sur quatre décennies de construction de passerelles

Rarement une interview n’aura été menée dans autant de langues avec une seule et même personne. Avec Ivan Vandermeersch, cela semblait aller de soi lors de cette longue conversation pleine d'anecdotes, parfois croustillantes. Elle a eu lieu quelques semaines après la célébration officielle par le secteur de son départ à la retraite. Même si cet homme qui a marqué de son empreinte des institutions telles que le CIM ou le BDMA, n'a pas l'intention de se reposer sur ses lauriers.

Avant d’évoquer vos projets d'avenir, revenons sur votre carrière. Les vieux briscards du secteur vous connaissent, mais pour les plus jeunes, un retour sur votre parcours pourrait s’avérer utile...

J'ai toujours eu un grand intérêt pour les médias et le marketing. Je viens de Bruges et j’ai fait des études de RP et de marketing à Gand. Après mon service militaire - qui était encore obligatoire à l'époque - j'ai fait mes débuts professionnels dans une agence de RP à Londres, puis je suis rentré en Belgique et j'ai travaillé en agence pendant six ans. J'ai commencé au CIM en 1988, où j'ai été coresponsable des études d’audience pendant 10 ans. Je suis ensuite entré chez Esomar, où je suis resté pendant trois ans. 

A partir de 2003, j'ai activement promu les intérêts d’associations professionnelles telles que la FEDMA et la BDMA. Enfin, j'ai été nommé Secrétaire Général de BAM - l'association issue de la fusion de la Fondation Marketing, de la BDMA et de l'IAB Belgium -, poste que j'ai occupé jusqu'à ma retraite.

Certaines phases de cette carrière vous ont-elles marqué plus que d’autres ?

C'est une question difficile, car il y en a eu beaucoup. Par exemple, je me souviens m'être battu avec acharnement pour le lancement d'une chaîne de télévision commerciale indépendante en Flandre, bien avant l'existence de VTM. Afin de préparer ces plans, à la demande de Karel Poma, Ministre de la culture de l'époque, des études avaient été menées par Willy Claeys, à l'époque considéré comme le pape de la publicité. J’ai pu suivre cette enquête avec un responsable du cabinet. Cette enquête avait permis de réunir tous les partenaires concernés autour de la table.

C'était vraiment révolutionnaire à l'époque et pour que toutes ces parties très différentes, puisse se rencontrer discrètement pour la première présentation au Ministre, nous devions trouver un endroit où les journalistes ne nous trouveraient pas. Cette rencontre a finalement eu lieu chez un de mes oncles, très francophone, à Uccle. Sa villa avait deux entrées, de sorte que Willy Claeys pouvait entrer par un côté et le ministre par l'autre. Heureusement que Twitter n’existait pas encore à l’époque.

C'est là qu’ont été jetées les bases de VTM. Avec un lobbying important, basé sur l'idée qu'il fallait un "RTL flamand" pour éviter que l'argent de la publicité ne disparaisse à l'étranger. Il est donc assez ironique de voir que RTL sera détenu désormais pour moitié par un groupe flamand.... Pour en revenir à l’enquête dont je parle, est né le postulat de base voulant que la nouvelle chaîne commerciale aurait une part de marché de 20%. Personne n'a jamais compris d'où venait exactement ce chiffre, car il y avait énormément de paramètres à prendre en compte. En fin de compte, il s'est avéré que c'était 40%.

Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus fier ?

Au CIM, j’ai pu contribuer au lancement de l'étude TV. Ce n'était pas une sinécure. Auparavant, il n'y avait que deux études isolées, et les commissions techniques étaient composées de concurrents. Ce qui n’a pas manqué de créer de sérieux moments de tension à l'époque. Mon travail exigeait beaucoup de patience et de stratégie. Il faut toujours laisser un peu d’air à l’adversaire, n’est-ce pas ? C'est ce que les membres de la commission technique ont réussi à faire pendant cette période. Je leur en suis toujours reconnaissant aujourd’hui.

J'ai beaucoup apprécié de m’occuper de cette étude qui fonctionne toujours bien. La force de la Belgique a toujours été de parvenir à un système de mesure unique : le CIM bénéficie pour cela d'une reconnaissance internationale. Et il s’est encore amélioré après mon départ. Ce qui me fait très plaisir. Il est très important que nous puissions garder cela : un critère de mesure unique et un consensus. Chapeau bas pour le CIM.

Vous avez également joué un rôle très actif au sein de plusieurs associations professionnelles.

La cerise sur le gâteau de ma carrière a été la fondation de BAM, aussi grâce à l’excellente collaboration avec Patrick Steinfort, à qui je réserve pour le restant de mes jours une place dans le trésor de mon cœur. J'avais 65 ans à l'époque et je n'étais pas encore prêt à m'arrêter. De plus, mon intérêt naturel pour la technologie et mon expertise en matière de données ont été des atouts supplémentaires pour pouvoir traiter tout ce qui touche au numérique. La technologie marketing devient de plus en plus importante.

D'un côté, vous vous décrivez comme un champion de l'innovation technologique - y compris dans le dossier de la 5G. De l'autre, vous mettez en garde contre son côté sombre.

La technologie n'est pas innocente, bien sûr, par exemple en termes de vie privée. Nous devons continuer à prendre en compte les droits humains fondamentaux. C'est là un défi pour nous : nous devons traiter les données de manière créative et oser être ambitieux, oser jouer à l'échelle internationale. Il faut réaliser, par exemple, qu'avec l'IMEC à Louvain, nous avons notre propre Silicon Valley. 

Il est essentiel de pouvoir développer un territoire accueillant, où les start-ups veulent non seulement s’installer mais aussi rester. C’est de cette manière que l’on parvient à empêcher la fuite des cerveaux. La politique a un rôle essentiel à jouer à cet égard, notamment en mettant en évidence nos divers atouts.

Quel est le rôle d'une association comme BAM aujourd'hui ?

Un défi majeur est lié au respect du consommateur. L'autorégulation de l'ensemble du secteur peut jouer un rôle important à cet égard, de manière indépendante. D'autre part, les consommateurs doivent également comprendre les intérêts économiques. Un changement de mentalité est nécessaire des deux côtés. Les associations transdisciplinaires telles que la BAM peuvent y contribuer. Il est important que nous puissions parler en tant qu'industrie.

Si l’on considère l’ensemble de votre carrière, on constate que la défense des intérêts et la médiation la traversent comme un fil rouge. Vous considérez-vous comme un lobbyiste ?

A mes yeux, c’est plutôt un vilain mot, je préfère que l'on me considère comme un bâtisseur de passerelles, quelqu'un qui aide à trouver le juste milieu.

Dans les fonctions que j'ai occupées, comme dans le reste de la vie, il s'agissait de donner et de prendre. Vous ne devez jamais acculer votre ennemi et toujours lui donner une chance de sauver la face. Si vous parvenez à un accord, vous avancerez, sinon vous resterez immobile. Un proverbe africain dit : "Seul, vous pouvez aller vite, ensemble, vous pouvez aller loin". Il faut savoir que chacun a un rôle différent et donc un point de vue différent. Nous sommes des démocrates, et la démocratie est une valeur essentielle. L'essentiel pour moi est le respect de mes semblables. Cette attitude m'a aidé dans tous les grands dossiers que j'ai traités.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui entrent dans le métier du marketing aujourd'hui ?

Soyez créatif et cultivez une touche de désobéissance. Je plaide pour un retour à une plus grande ouverture en tant qu'attitude philosophique, où, en tant que citoyens et personnes, nous acceptons et utilisons la différence. 

C'est pourquoi je suis très heureux que Hanan Challouki fasse partie du Comité exécutif de la BAM. Elle contribue à la diversité de notre association et c'est important. Mais attention, la BAM ne doit pas se transformer en une plateforme pour les droits des femmes. Le champs d’action reste le marketing.

Quels sont vos projets pour les mois et les années à venir, maintenant que vous pouvez commencer à profiter de votre retraite bien méritée ?

La retraite est un vilain mot pour désigner un changement de vie et la nostalgie est quelque chose de très dangereux mentalement. Les bons moments du passé n'existent pas, il faut tirer le meilleur parti du présent. 

Je vais continuer à m'intéresser aux médias, à travailler sur mon projet d'hydrogène et sur l'organisation d'événements et de publications culturels et philosophiques. Et bien sûr, ma famille - ma femme, mes deux enfants et mon petit-fils - est très importante pour moi. Chaque jour est une nouvelle vie, et je ne mourrai qu’une fois.

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