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Pour s'affranchir des stéréotypes publicitaires

Mercredi 30 Janvier 2019

Pour s'affranchir des stéréotypes publicitaires

Ces dernières années, de nouvelles dynamiques publicitaires émergent en miroir de la société. Initiées notamment par des groupes comme Unilever et P&G, elles contribuent à montrer les différentes facettes des femmes (et des hommes). Certains parlent d'une révolution sur le genre, corrélée par l’obligation qu’ont désormais les marques de se doter d’une conscience sociale ; d’autres plus pragmatiques évoquent tout simplement l’efficacité prouvée de la démarche. Quoi qu’il en soit, même s’il précipite les choses et participe à la démagogie qui entoure parfois le sujet, les annonceurs n’ont pas attendu l’émergence du mouvement #MeToo pour mesurer l’importance de faire évoluer la représentation de l’image de la femme.
 
"Girl rules at the Cannes Lions", titrait Forbes en juin dernier, citant ces hashtags qui ont accompagné les festivaliers durant toute leur semaine cannoise et mobilisé les conversations : #SeeItBeIt. #MoreLikeMe. #SheIsEqual. #SeeHer. #SheInnovates… Ils évoquent l'inclusion et diverses initiatives visant à permettre aux femmes qui travaillent en agences d'occuper plus de fonctions stratégiques à même de faire évoluer la représentation des femmes dans les publicités. Depuis 2017, les organisateurs des Cannes Lions se sont engagés à donner le ton, par exemple en ne primant plus des campagnes qui perpétuent les inégalités. Ou, à l’inverse, en récompensant celles qui font avancer les choses au travers de la compétition Glass Lions for Change, comme la "Fearless Girl" en 2017 et le film "Blood Normal" de Libresse l'année dernière. 
 
Cette politique découle d'une pétition lancée par la publicitaire américaine Madonna Badger, à l'origine du mouvement #WomanNotObjects, qui dénonce les clichés de la femme-objet dans la pub. « Les femmes prennent 75% des décisions d'achats mais elles ne représentent que 11% des créatifs dans les agences de pub aux Etats-Unis. Or, l'impact que les publicités ont sur les normes sociales n'est plus à prouver », avance la co-fondatrice de Badger & Winters. « Le plus grand danger des campagnes sexistes créées par les hommes pour les hommes, mais aussi pour les femmes, est que le public intériorise cette objectivisation, justifiant ainsi une moindre estime de soi chez les unes et la misogynie chez les autres… »
 
L’appel de la nouvelle Madone féministe n’est pas le seul élément déterminant dans toute cette affaire. Cannes se fait aussi l'écho d'une mobilisation plus large, portée par la Fédération mondiale des annonceurs au travers de l’Unstereotype Alliance. Lui-même initié par UN Woman (l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes) et Unilever, cette initiative fait suite à une étude du groupe anglo-néerlandais qui dit tout haut ce que les marketers savaient depuis des lustres : les consommatrices ne se reconnaissent pas dans l’image stéréotypée et conservatrice de la femme que renvoient beaucoup de campagnes de pub. Fallait-il vraiment les sonder pour s’en rendre compte ?  
 
« Ce n’est plus seulement une nécessité sociétale, c’est aussi une exigence professionnelle », déclarait Keith Weed, précisant que les publicités les plus "progressistes" en la matière étaient aussi plus efficaces.   
 
Ces annonceurs qui ont fait bouger les lignes
 
Le propos du CMO d’Unilever est légitime : primée aux quatre coins du globe aux Effie et dans tous les awards shows créatifs, la campagne Dove parle pour lui et son employeur est considéré comme l'un des pionniers dans la lutte contre les stéréotypes sexistes. Lancée en 2006 avec le fameux film "Evolution" d'Ogilvy Toronto, Dove "Real Beauty" distille une vision de la beauté plus "authentique", affranchie des diktats de la mode, et invite les femmes à militer pour "l'estime de soi". La campagne fait figure de marqueur sémantique : elle démontre l’efficacité d’une démarche disruptive qui repose sur une excellente compréhension à la fois des consommatrices et des mécaniques de propagation virales du discours publicitaire. 
 
Au fil des ans, Dove a fait de la représentation de la femme "normale" une revendication, qui s’affirme tout en assumant le discours beauté/santé de la marque. Le succès de sa campagne tient de cet effet de pivot, qui met au centre la femme et sa vision, sa représentation, et des valeurs aujourd'hui essentielles dans le discours des marques : sincérité, confiance, engagement… En fournissant une nouvelle définition de la beauté, moins étriquée, plus réaliste et éclectique, Dove a pour ainsi dire créé le débat autour des stéréotypes pour changer les règles du marché en sa faveur.

Unilever a été rejoint dans ce type de démarche par Procter&Gamble. En 2014, avec Leo Burnett Chicago, le groupe de Cincinnati lançait pour sa marque Always la formidable campagne "Like A Girl", tournant en ridicule toute une série de clichés et connotations sexistes avec un film d'une audace folle, magnifiquement réalisé. L'idée : réhabiliter l’expression "Comme une fille", devenue une insulte dans nos sociétés alors qu’elle devrait être un compliment, et faire en sorte que les filles aient plus confiance en elles. Mission accomplie puisque les post-tests de P&G ont montré que la plupart des gens changeait leur perception après avoir vu la vidéo. Déclinée depuis, la première campagne "Like A Girl" a rencontré un succès planétaire : à ce jour, la vidéo a été visionnée plus de 85 millions de fois dans 150 pays et partagée par plus de 1,5 million de personnes dans le monde. 
 
Tout comme celle de Dove, la campagne Always et son hashtag #LikeAGirl ont largement percolé sur les réseaux sociaux. Son succès tient au fait qu'elle ne s’attache pas uniquement à la vision que les hommes ont des femmes mais aussi à celle que les femmes ont d’elles-mêmes, pour faire en sorte que "Comme une fille" rime avec réussite et leadership. Pour le dire autrement, Always a su s'immiscer dans un sujet de société - la place des femmes - avec un objectif d’empowerment fort. 
 
Même Barbie fait la nique à Ken
 
Aujourd'hui, dans un registre similaire, c'est au tour de Mattel de surfer sur la vague. Depuis plusieurs mois en effet, la célèbre poupée Barbie surfe sur le féminisme. Un comble pour celle qui est devenue l’archétype de la femme-objet. Mais c'est oublier que dès la fin des années 1960, Mattel avait multiplié les ouvertures pour diversifier le profil de sa poupée wasp aux formes irréelles, embrassant toutes les ethnies, toutes les morphologies, proposant même des modèles moins "politiquement correct", tels que la Barbie LGBT, inspirée de la joueuse de foot homosexuelle Abby Wambach. 
 
Il y a peu, dans la foulée de "More Role Models" incarnée par des femmes aux parcours exceptionnels, Barbie lançait une nouvelle campagne d'autonomisation avec la plateforme "The Dream Gap Project", invitant les parents à encourager leurs filles à croire en leur potentiel et réaliser leurs rêves. Mattel cite des études universitaires indiquant qu'entre cinq et sept ans, la plupart des jeunes filles ont tendance à se considérer moins intelligentes que les garçons et commencent à perdre confiance dans leurs capacités… L'entreprise entend venir à bout de ce "fossé des rêves" en finançant notamment une chaire à l'Université de New York pour permettre de nouvelles études sur la représentation des femmes et les stéréotypes sexistes. Cette stratégie d'adaptation à l'évolution des moeurs, semble d'ailleurs porter ses fruits : alors que Mattel a vu son chiffre d'affaires global reculer de 11% en 2017, les ventes de Barbie sont en progression constante depuis quatre ans.
 
Plus vecteur de croissance que philanthropie  
 
C’est d’ailleurs la conviction de P&G et de son programme "Equality drives growth" présentée à Cannes par Marc Pritchard. Seul ou entouré de personnalités engagées comme la rappeuse, actrice et productrice Queen Latifah, la réalisatrice Katie Couric ou l’omniprésente Madonna Badger, le Chief Brand Officer du groupe a répété son discours comme un mantra tout au long de la semaine cannoise : « P&G entend renforcer son engagement en faveur de l'égalité des sexes par le biais d'une série d’actions, d'engagements et de partenariats visant à accroître la diversité tout au long de la chaîne logistique créative pour une représentation plus positive des femmes dans la publicité et les médias. » 
 
Ce programme d’empowerment serait même devenu centrale dans la stratégie marketing du groupe américain. Loin d’être purement philanthropique, la démarche se veut aussi pragmatique : « Si nous réalisons l'égalité entre les hommes et les femmes en matière d'autonomisation économique, cela pourrait ajouter 28.000 milliards de dollars à l'économie mondiale. C’est beaucoup de pouvoir d’achat », a déclaré Pritchard, ajoutant que ce programme pourrait faire croître la confiance de marque de 10% et générer 20% d’augmentation des ventes…
 
Bien qu’il ait sans nul doute précipité les choses et - il faut l’avouer - participé à la démagogie qui entoure parfois le sujet, les annonceurs n’ont pas attendu l’émergence du mouvement #MeToo pour mesurer l’importance de faire évoluer la représentation de l’image de la femme. Peu à peu, ils intègrent l'idée que la publicité sexiste est aussi une forme de violence faite aux femmes. Mais si les annonceurs deviennent très vigilants quant au contenu de leurs campagnes, c'est moins lié au retour au galop du politiquement correct, du féminisme et d’autres formes de militantisme qu'en raison du poids impactant des réseaux sociaux qui force les marques à se parer d'une "conscience sociale". 

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