Nl

BLUE

Maga stay home, par Griet Byl (MM)

Dimanche 6 Avril 2025

Maga stay home, par Griet Byl (MM)

Il y a un peu plus d’une semaine, plusieurs entreprises européennes collaborant avec le gouvernement américain – y compris en Belgique – ont reçu une lettre officielle des autorités américaines. Selon le journal Les Echos, qui a révélé l’information, ces entreprises se voyaient sommées de mettre un terme à leurs programmes DEI (Diversité, Équité, Inclusion) si elles souhaitaient conserver leurs contrats. La énième démarche inouïe dans la série d’initiatives de choc du président américain visant à faire marche-arrière, non seulement dans son propre pays, mais aussi à l’étranger.

Concrètement, les contractants du Département d’État américain sont supposés déclarer qu’ils n’ont pas de programme DEI spécifique ni de mesures allant à l’encontre des lois anti-discrimination en vigueur. Cette exigence fait notamment référence au "Civil Rights Act" de 1964, une loi qui était toutefois adoptée pour lutter contre la sous-représentation historique des minorités ethniques et des femmes – soit, en substance, exactement l’objectif poursuivi par les programmes DEI.

Dans la foulée des velléités trumpiennes, plusieurs multinationales ont déjà discrètement évacué tout renvoi à une politique DEI dédiée. C’est le cas de géants comme Meta, Amazon et McDonald’s, tout comme Google, qui a rebaptisé le poste de "Chief Diversity Officer" en "Vice President of Googler engagement"... Même State Street, à l’origine de la fameuse statue multi-primée "Fearless Girl", a effacé toute référence à la discrimination positive sur son site web. Selon Forbes, environ 20% des entreprises du S&P 100 se seraient déjà alignées sur la lubie perverse de l’Agent Orange.

Dans son zèle sans limites, Mister President s’en est également pris aux écoles publiques subventionnées, leur imposant des pressions similaires. Même Disney a reçu un avertissement, l’exhortant à réfléchir à deux fois avant de créer un nouveau prince ou princesse de couleur qui pourrait faire rêver l’une ou l’autre enfant à un monde et un avenir meilleurs.

En réaction, le vice-président flamand Jan Jambon et le ministre belge des affaires étrangères Maxime Prévot ont rappelé que les entreprises belges n’ont pas à tolérer d’ingérence américaine dans leur politique interne. Un discours musclé et légitime, même s’il reste à voir ce qu’il en sera concrètement. Le pouvoir du dollar ayant toujours été difficile à ignorer.

Par ailleurs, on peut s’étonner de l’absence totale de réactions dans notre propre secteur, celui de la com qui a pourtant signé en nombre des chartes et des déclarations l’engageant à plus d’égalité, de diversité et d’inclusion. « Pour l’instant, la crainte des sanctions économiques est conjurée par un jeu de sémantique, sans changement de fond – du moins espérons-le – en matière de stratégie à l’échelle internationale », nous a confié en privé une CEO chevronnée. « Le plus triste, c’est que cette polarisation du débat pousse certains à se sentir menacés, alors qu’il ne s’agit que de reconnaître à chacun le droit d’être soi-même, quelle que soit sa couleur ou son orientation. C’est profondément injuste. Peut-être vaut-il mieux simplement continuer ce que l’on fait sous l’étiquette DE&I, voire redoubler d’efforts – car le retard reste important – mais le renommer "culture", "people", "positive impact"  ou autre. »

Une réflexion pleine de bon sens, bien sûr. Sauf qu’il ne faut jamais oublier que la nuance et l’empathie sont bien souvent absentes du vocabulaire des despotes mégalomanes. Et que la langue verbale, comme le disait déjà Umberto Eco, est l’outil le plus puissant et le mieux utilisé par l’humain pour connaître et discuter le monde. Et qu’un code commun et partagé est la condition première afin d’induire un processus de communication. En excluant la discrimination positive pourtant encore nécessaire pour garantir un début d’égalité entre humains, on risque de décourager entreprises, institutions – et citoyens – de s’engager pour une société plus juste et inclusive. Ce qui en 2025 est inadmissible et immoral.
 

Archive / BLUE