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Une nouvelle currency pour les médias

Mardi 28 Février 2023

Une nouvelle currency pour les médias

Dans la poursuite de l’initiative CommToZero rassemblant toutes les associations que compte le secteur de la communication au sens large, la plateforme qui propose déjà un outil lié à la production des campagnes s’attaque aussi au sujet non moins important du média. Avec d’une part les éditeurs, et les agences médias d’autre part. Où en sommes-nous aujourd’hui en Belgique sur ce sujet en pleine transition ?

Si certains ont pris les choses en main de façon frontale et rapide surtout du côté "media owner", il semblerait que du côté agences, la prise de conscience pour des actions urgentes et importantes ne soit pas manifeste. 

Geert Debruyne, Directeur de fma, surtout connu pour gérer des pitchs médias, se montre assez critique par rapport à la mobilisation des agences : « Je ne vois quasiment rien ou alors il s’agit d’un problème de communication. Ceci étant, il faut situer le problème essentiel au bon endroit. Le lien entre le carbone ou l’énergie, et la production des campagnes comme celle de certains médias semble assez évident. Celui avec les services des agences médias l'est moins. » 
Toutefois, et probablement que l’information ne circule pas encore, l’UMA s’est bien mobilisée pour assumer sa part de travail. Britt Luyten (Chief Client Officer, EssenceMediacom) et Jonathan Jacoby (Digital Transformation Director, Space) forment le couple activiste dédicacé au développement des projets concernés au sein de l’association. 
Britt Luyten s’explique sur l’apparente discrétion des agences médias dans ce combat positif : « Du fait que nous sommes dans les services, l'impact est moins visible que dans d’autres industries comme le pétrole ou l’aérien, par exemple. Je pense que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne sommes pas le secteur le plus progressiste en termes de progrès écologique. Nous avançons, mais pour beaucoup, ce n'est pas une priorité. »
« Ce qui est dommage pour un secteur qui a et donne une fenêtre sur le monde... D'un autre côté, si plusieurs personnes tirent la charrette du changement, les autres devront suivre », ajoute la Chief Client Officer d'EssenceMediacom.

Il faut savoir que le calculateur carbone (et objets dérivés) mis au point pour les futures mesures s’inspire grandement d’un outil existant chez GroupM au Royaume-Uni, tout comme celui de l’ACC pour la production s’est basé sur celui de Air. Un fait partant d’un élan généreux mais qui n’est pas sans entraîner certaines réactions. Geert Debruyne : « Venant d’une société concernée par ces audits, ce n’est pas très objectif. Un service public ou un consultant eût été une source plus pertinente. Sans compter les aspects très locaux pour ce genre d’analyse. » 
Jonathan Jacoby enchaîne avec un point de vue résolument constructif, celui du verre presque à moitié plein : « Nous sommes à 25% du chemin, dirais-je. Ce qui n’est pas mal vu le caractère très récent du projet au sein de l’UMA. Nous n’avons pas un Rolls mais nous avons déjà un outil, et c’est très bien. Finalement, les agences médias sont à moitié concernées techniquement, mais déjà plus actives que de nombreux secteurs directement responsables de la dégradation climatique. »
« Cela dit, en attendant que le calculateur soit abouti, nous avons encore un gros travail d’évangélisation de nos collègues du planning et de l’achat : il faut expliquer les impacts indirects et aussi le principe des calculs. L’année 2023 sera celle de l’apprentissage. »

Britt Luyten est bien de cet avis et ne voit de toutes façons pas d’autres options : « Je suis très optimiste quand je vois l'attention, l'unanimité et la collégialité autour de CommToZero.be, par exemple. Nous avons peut-être été plus lents en tant que secteur, mais maintenant nous avançons à fond. Il ne s'agit pas de le vouloir, la réalité du climat est là. Il n'y a littéralement pas de plan ou de planète B, donc j'y crois définitivement. Que ce soit sous la pression des consommateurs, de nos clients, des législations ou celle du coeur, notre secteur va aussi pleinement opérer ce virage. »
Du monde autour de la table
Johan Vandepoel (CEO, ACC) qui se trouve à la base du concept CommToZero, explique la discrétion relative aux mesures dans les médias : « Alors que les thèmes "Zero Greenwashing", "In-House Carbon Academy" et "Production Carbon Calculator" sont déjà entièrement développés sur la plateforme CommToZero, le "Media Carbon Calculator" est encore en phase de test, et nous avons choisi de ne pas le rendre public pour le moment. 
« Nous utilisons l'outil international du WPP, développé par CO2 Balance, et l'avons relié aux données de production d'énergie belges. Mais pour le reste, l'outil est toujours basé sur des formats et des données britanniques. Pour l'heure actuelle, les résultats qui sortent du calculateur sont encore largement fictifs. Avec un petit groupe de travail (constitué de Britt Luyten, Jonathan Jacoby, Victor Buisseret et de Juste de Meeûs de CO2 Logic, ndlr.), nous allons discuter avec toutes les régies belges. Dans un premier temps, avec les partenaires fondateurs, structurels et sympathisants de CommToZero, puis avec les régies plus petites, afin d'aligner pleinement l'outil sur les normes belges. »

Le fameux calculateur pour la partie média n’est donc pas encore prêt, ce qui n’empêche pas de nombreux efforts en parallèle. Jacoby parle de 2025 pour sa Rolls, mais Victor Buisseret (Sustainabilty Manager, ACC), un autre concerné de premier plan, se montre prudent mais à la fois dans un calendrier prometteur : « Je vois un release d’une forme beta pour cette année encore, mais son usage officiel et systématique sera sur un terme plus long. Avec du recul, la Belgique n’est pas à l’avance mais n’est pas en retard non plus. Il faut savoir que les astreintes légales sur le plan du carbone et de l’énergie sont plus le fait de grands marchés, car liées à la taille des entreprises. Un phénomène renforcé par le fait que ce sont surtout les sièges des holdings qui prennent l’initiative. Aussi pour une question de pitchs ou d’attentes de la part des grands clients. » 

Alors que Geert Debruyne n’identifie pas vraiment dans la pratique l’introduction de ce facteur climatique dans les choix des partenaires actuellement, Luc Suykens (CEO, UBA) relativise le point à sa juste importance : « L'empreinte carbone va être une composante du plan, pas la principal. Il en va de même pour la DEI : c'est un élément important dans les pitchs, mais ce n'est pas l'argument principal. Ça l'est peut-être pour une petite minorité de marques, comme par exemple Tony Chocolony, mais pour tous les autres annonceurs, cela devient de plus en plus important, au même titre que la qualité de l'audience, le prix, etc. Aucun média ou agence ne peut donc se permettre de ne pas avoir de transparence à ce sujet. »

Jonathan Jacoby prône la vertu des initiatives individuelles : « Space ne fait pas partie d’un réseau et bien d’un petit marché, mais nous n’avons pas attendu CommToZero pour avancer. Nous avons diminué notre empreinte de 14% depuis 2021, ce qui veut donc dire que nous la calculons. C’est sans doute pour cette expérience que je contribue à la plateforme officielle. » Autre exemple, Serviceplan et plus particulièrement Mediaplus. Nancy Delhalle (CMO) : « Nous collaborons avec ClimatePartner, y compris pour le calculateur, et garantissons aux annonceurs qui le demandent des Green GRP. Dans l’interne, depuis 2020, nous sommes certifiés Climate Neutral et veillons au respect de différentes mesures pour réduire notre empreinte carbone. Au sein de chaque agence Serviceplan, un groupe de travail appelé WeGREEN assure le suivi des projets. » 

Victor Buisseret se réjouit de ces exemples : « Il n’y a pas de bons et de mauvais élèves, mais certains se montrent plus engagés comme Maxus ou Space, et pour les médias, RMB ou Roularta par exemple. A terme, toute la chaîne du travail est impliquée : clients, fournisseurs, partenaires. Et les petits comme les grands pays.»  
Beaucoup de signes visibles
En effet, personne n’a pu rater le programme de repositionnement de RMB, ni celui de Roularta qui se focalise notamment sur quatre SDG de l’ONU. IPM n’est pas en reste et son Directeur Général, Denis Pierrard, nous en informe tout aussi factuellement : « Notre décision la plus importante est d’arrêter notre propre impression de nuit et de passer par Rossel. En concentrant l’impression en un seul endroit, nous diminuons fortement nos émissions grâce à une rationalisation de nos transports, la suppression de notre consommation énergétique, le passage à un procédé moins énergivore et la réduction du déplacement des travailleurs. En outre, l’imprimerie de Rossel dispose d’en éolienne et redonne une partie au réseau. Par ailleurs, nous employons depuis longtemps du papier PEFC et sommes aussi attentifs à nos frais de reportage. Par exemple, nous avons couvert la Coupe de Monde de Hockey depuis Bruxelles en téléphonant aux joueurs. Enfin, nous avons installé plus de 1000 panneaux solaires sur le site de notre propre imprimerie. »
Car l’optique est là : de l’investissement local et concret, ou des décisions fortes et rapides. Britt Luyten : «  Calculer le carbone est une première étape, super importante et pas évidente. Mais après, bien sûr, l'objectif sera de contribuer effectivement à la diminution du CO2. Dépendant du périmètre dont on parle, je pense. Au niveau des entreprises, il y a plusieurs acteurs du secteur qui ont effectivement fait de gros investissements, que ce soit sur le recyclage des affiches, l’achat d’imprimantes plus écologiques ; il y a des agences de publicité qui limitent les déplacements pour es tournages, d’autres qui s’équipent d’une flotte de véhicules entièrement électrique avant que la loi ne l'exige, etc. Mais il faudra faire plus, plus radicalement et plus rapidement. »
Un pour tous
Victor Buisseret en rajoute une couche: « La mobilisation est visible. Tout le monde participe. Google est dans CommToZero, et Coca-Cola Group dans la Cop26, par exemple. Le principal est de faire des effort, d’y travailler. Dans ce cas, communiquer sur vos actions peut également supporter l’image de la marque, de l’entreprise et il ne faut pas s’en priver. Nous sommes cependant très attentif aux récupérations commerciales infondées et fake news. Zero carbone mais zero greenwashing est notre leitmotiv. »
Il existe plusieurs calculateurs de carbone dans le monde et l’on note déjà plusieurs outils sur notre marché. Ilse Baele (Marketing Director, Ads&Data) donne un point de vue plein de bon sens : « Nous n’avons pas notre propre calculateur mais nous attendons avec impatience celui du projet CommToZero. Nous ne voyons pas d’avantages à laisser chaque régie aborder ce projet dans son coin, ou éditeur par éditeur. Nous croyons vraiment à une approche marché. » Soulignons que comme la majorité des acteurs, la régie au slogan "We un-waste" développe aussi beaucoup d’actions autour de la durabilité au-delà de la production média et de la gestion de ses espaces. Car les enjeux climatiques et sociétaux dépassent de loin le sujet de l’empreinte carbone, et s’agissant par exemple de la DEI, nous ne connaissons pas de projet de calculateur. 

La dernière question qui serait la plus difficile à traiter et pour laquelle il est précoce de s’exprimer : assistera-t-on bientôt à une modification des critères de sélection des médias et des agences partenaires sur base du bulletin carbone, avec de grands gagnants et des perdants ? Geert Debruyne confirme ses doutes profonds : « Nous pouvons craindre une forme de diabolisation de certains médias comme l’affichage ou la presse, alors que des certifications comme PEFC garantissent que l’origine du papier vient de forêts en écosystème fermé. Et par ailleurs, sous-estimer l’aspect faussement virtuel du digital alors que les énormes serveurs utilisés sont très énergivores. Faire correctement ce travail d’évaluation est complexe, et l’on peut espérer qu’il n’y aura pas trop de lobbying de certains acteurs. » 

Au final, comme pour les statistiques et les sondages, disposer d’une bonne méthodologie serait la base. Mais la qualité et la neutralité de l’analyste responsable du rapport sera sans doute le critère déterminant pour que ces calculateurs nous emmènent, dans les limites de leur influence, vers un monde meilleur.

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