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Le "Do Look Up" de Wim Vermeulen

Vendredi 28 Octobre 2022

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Le 12 octobre dernier, Wim Vermeulen, Director of Strategy & Sustainability chez Bubka, présentait son nouveau livre dans un Beursschouwburg plein à craquer. "Speak Up Now!", publié en anglais chez Lannoo Campus, ne se contente pas de nous mettre sous le nez la réalité de la crise climatique. Il nous rappelle surtout notre responsabilité en tant que publicitaires et marketers. Nous n’avons en effet pas le temps d’attendre les décisions politiques.
 
Il y a deux ans, votre documentaire "The Decade of Action" montrait déjà clairement le rôle que les entreprises peuvent et doivent jouer dans la lutte contre le changement climatique. Depuis, aucune personne sensée ne peut nier l’urgence de la problématique, mais le changement de comportement nécessaire semble tout sauf amorcé. Est-ce pour cette raison que "Speak Up Now" s’adresse spécifiquement aux marketers ?
 
Le livre part d’un double constat. Premier élément, les climatologues ont jusqu'à présent supposé qu'en martelant des faits irréfutables, ils pourraient initier le changement requis. Malheureusement, il s'avère que ce n'est pas le cas, bien que l'urgence se fasse chaque jour plus pressante. Il faut savoir que tout ce que nous faisons aujourd'hui pour réduire les émissions de CO2 ne peut conduire à une stabilisation du climat que d'ici 2050, et seulement à condition que nous parvenions à réduire de moitié nos émissions d'ici 2030. 
 
Si nous n'y parvenons pas - ce qui est plus que probable -, il faudra attendre 2070 pour la prochaine possibilité de stabilisation. Entretemps, le climat risque de se dérégler complètement. Pourtant, il ne se passe quasiment rien au niveau politique, et à peine 10% des entreprises disposent d’un plan climatique. 60% d’entre elles n'ont jamais mesuré leurs émissions. Il est donc clair que les allégations de durabilité nécessitent une approche différente. 
 
Second élément, le scientifique allemand Felix Creutzig, l'un des principaux auteurs du sixième rapport du GIEC, a calculé que les consommateurs peuvent participer à une réduction de 40 à 70% des émissions de CO2 en adoptant un comportement plus durable. Pourquoi les marketers et les publicitaires que nous sommes ne pourraient-ils pas exploiter la puissance de narration de nos 600 milliards de dépenses publicitaires annuelles pour susciter ce changement de comportement nécessaire chez les citoyens et les entreprises ? À cet égard, nous sommes suffisamment doués.
 
Aujourd'hui, la consommation durable est entravée par plusieurs obstacles, liés au prix, à la connaissance et à la commodité des produits durables. En les surmontant, les marques et les entreprises pourraient déjà amorcer un changement sensible. Par ailleurs, les marketers peuvent se servir de la communication de marque pour indiquer et "normer" socialement les comportements souhaitables et ceux qui ne le sont pas. 
 
Dans ce cadre, vous martelez l’importance d’une publicité crédible.
 
En effet. Une étude menée par Gino Verleye à l'UGent a montré que neuf campagnes censément "vertes" sur 10 ne sont pas crédibles. On ne peut pas miser sur la publicité pour faire du social norming si les campagnes que vous utilisez pour cela ne sont pas considérées comme dignes de foi. Pour la question climatique, c’est là que se situe la première étape vers une communication efficace, même si on ne s’en est jamais préoccupé auparavant. Les codes et les composantes de tout ce que nous avons toujours considéré comme étant de la bonne pub ne fonctionnent pas lorsqu'il s'agit de développement durable. D’autres critères s'appliquent si vous souhaitez communiquer sur la durabilité de manière crédible. 
 
L’étude nous a permis d’identifier cinq drivers. Le facteur le plus important est l’honnêteté. L’engagement et la compréhension de l’urgence en sont deux autres. La shared value et suffisamment de détails contribuent également à la crédibilité des campagnes durables. 
 
Bubka sera bientôt la troisième agence B Corp de notre pays, ce qui veut dire que vous gérez votre entreprise de manière durable. Quel précepte conseilleriez-vous de suivre aux autres acteurs de notre secteur ?
 
Ce qui est bien avec B Corp, c'est que vous devez refaire l’exercice tous les trois ans. Vous devez donc continuer à vous améliorer. Dans le même temps, nous devons prendre nos responsabilités en tant que citoyens, marketers et publicitaires, en veillant à ne pas ralentir la transition environnementale avec des émissions provenant des produits et pour les produits que nous fabriquons, achetons ou promouvons. 
 
Il est possible de calculer ces émissions. Le scope 1 comprend les émissions directes de gaz à effet de serre causées par les principales activités de l’entreprise et les véhicules de société. Le scope 2 concerne les émissions dues à l'achat de l'énergie nécessaire à l’exploitation de l’entreprise. Enfin, dans le scope 3, on retrouve les émissions indirectes des fournisseurs, des partenaires et des clients tout au long de la chaîne de valeur d'une entreprise, mais aussi celles induites par l'utilisation des produits que vous vendez. Cette dernière catégorie représente souvent plus de 70% des émissions, mais elle ne doit pas encore être déclarée. C’est là que se situe le plus grand défi à l’avenir. Et c’est aussi ce qui peut effectivement changer la donne, quand on sait que toutes les entreprises doivent être zéro émission nette d’ici 2050. Et je veux insister sur le fait que la réduction des émissions est plus importante que leur compensation.
 
Dans cette optique, y a-t-il des clients pour lesquels vous ne voulez ou ne pouvez plus travailler ?
 
Nous ne pouvons pas travailler pour toutes les marques, parce que comme agence, nous ne voulons rien entreprendre qui puisse retarder la transition durable. C’est un choix délibéré, mais pas un jugement. C'est aux pouvoirs publics de décider si et pendant combien de temps on peut faire de la pub pour des produits qui retardent la transition. Ils doivent le réglementer comme cela se fait aujourd'hui dans nos pays voisins. Ainsi, en France, on évoque un taxation sur les produits "non climat-friendly". 
 
Malheureusement, le contexte politique n’est pas favorable à la lutte contre la crise climatique. C’est dû entre autres à la nécessité de prendre des mesures difficiles et donc moins populaires, qui pourraient faire obstacle à une réélection. Par conséquent, ni la perte de vitesse des partis traditionnels ni la percée de leaders autoritaires ne sont propices à une solution politique à la crise climatique. Regardez les États-Unis et la façon dont les ESG sont utilisés comme arme politique… Nous attendons aussi avec impatience de voir dans quelle mesure le monde politique prendra ses responsabilités lors de la COP27.
 
En attendant, cela ne doit pas nous empêcher de participer à des initiatives comme CommToZero ou d'inclure le développement durable dans la définition et l'évaluation de la créativité et de l'efficacité dans toutes les compétitions du secteur. On pourrait par exemple se demander si le score climat - traduit en "advertised emissions" ou en d'autres critères - d’un produit pour lequel on fait de la publicité, ne devrait pas être jugé en y attachant la même importance que pour les résultats de vente… 

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