Nl

MEDIA

Le combat pour la liberté de la presse à l'ère numérique, par Mike Koedinger (président de l'European Magazine Media Association et CEO de Maison Moderne)

Dimanche 9 Mars 2025

Le combat pour la liberté de la presse à l'ère numérique, par Mike Koedinger (président de l'European Magazine Media Association et CEO de Maison Moderne)

À l'époque où l'information est synonyme de pouvoir, la pérennité du journalisme indépendant est gravement menacée. La transition vers le numérique a bouleversé les modèles de revenus des médias traditionnels, conférant un contrôle sans précédent à une poignée de gardiens du numérique tout-puissants.

La Commission européenne a introduit des mesures réglementaires telles que le Digital Markets Act (DMA) pour rétablir la concurrence, mais leur application reste un défi majeur. Par ailleurs, l’expansion des radiodiffuseurs de service public dans l’édition numérique et l’essor des contenus générés par l’IA accentuent la pression sur les éditeurs indépendants.

Face à ces évolutions, il est impératif que les décideurs prennent des mesures fortes pour garantir un écosystème de l'information équitable et ouvert.
 
Appliquer le DMA : lutter contre l'auto-préférence et les pratiques déloyales
 

Depuis des années, les gardiens du numérique exploitent leur position dominante pour favoriser leurs propres services au détriment des concurrents, portant ainsi préjudice aux éditeurs indépendants. L’application des dispositions clés du DMA est essentielle pour limiter ces pratiques :
 
> Interdire l’auto-préférence : L’article 6(5) du DMA interdit explicitement aux gardiens du numérique de favoriser leurs propres services. Des pratiques comme la mise en avant de Google Shopping ou des résumés générés par l’IA de Google au détriment des éditeurs indépendants doivent être rapidement corrigées.
 
> Garantir un accès équitable : L’article 6(12) impose aux gardiens du numérique de fournir un accès équitable, raisonnable et non discriminatoire à leurs plateformes. Cela doit empêcher les géants de la tech d’exiger des volumes excessifs de données ou d’imposer des conditions de licence injustes aux éditeurs.
 
> Réguler l’exploitation de l’IA : L’IA générative, entraînée sur des contenus de presse sans compensation, constitue une distorsion majeure du marché. Sans intervention réglementaire, ces systèmes d’IA renforceront encore la domination des géants du numérique tout en affaiblissant le journalisme professionnel.
 
Le monopole de la publicité numérique : plaider pour une concurrence équitable
 

La publicité numérique constitue une source de revenus essentielle pour les éditeurs, mais elle est largement contrôlée par quelques géants de la tech. Ces derniers imposent leurs conditions, limitant la capacité des éditeurs à monétiser leurs propres audiences :
 
> Perte de revenus due aux restrictions sur les données : Google Privacy Sandbox et Apple App Tracking Transparency (ATT) favorisent les gardiens du numérique tout en réduisant considérablement les revenus publicitaires des éditeurs.
 
> Nécessité d’une application stricte du DMA : L’UE doit veiller à ce que les marchés publicitaires ne soient pas monopolisés par des pratiques telles que la manipulation des enchères par Google Adtech et la domination des données.
 
> Restaurer l’autonomie des éditeurs : Les éditeurs doivent avoir un contrôle total sur les mécanismes de consentement des utilisateurs et les modèles de monétisation, afin d’assurer un financement durable du journalisme indépendant.
 
La concurrence déloyale des radiodiffuseurs de service public 
 
Si les radiodiffuseurs de service public jouent un rôle essentiel, leur expansion dans l’édition numérique menace la viabilité économique des médias privés :
 
> Violations des aides d’État : Les règles de l’UE limitent les radiodiffuseurs de service public à la radiodiffusion, excluant l’édition de presse. Pourtant, les radiodiffuseurs publics proposent de plus en plus de contenus éditoriaux écrits en ligne, créant une concurrence déloyale.
 
> Absence d’application des règles sur les aides d’État : Malgré de nombreuses plaintes d’éditeurs dans des États membres comme l’Autriche, la Belgique, le Danemark et la Finlande, la Commission européenne tarde à agir sur ces infractions.
 
> Assurer des conditions équitables : Une application cohérente des règles est nécessaire pour empêcher les radiodiffuseurs de service public d’empiéter sur le marché de la presse, garantissant ainsi un paysage médiatique diversifié et indépendant.
 
Protéger le droit d'auteur et le journalisme à l’ère de l’IA générative
 
L’essor incontrôlé de l’IA générative soulève des préoccupations majeures en matière de droit d’auteur et de viabilité des médias :
 
> Transparence et responsabilité : Les contenus générés par l’IA doivent être étiquetés pour éviter la désinformation et la manipulation.
 
> Mettre la charge de conformité sur les entreprises d’IA : Au lieu de contraindre les éditeurs à l'opt out, les entreprises d’IA devraient prouver leur conformité aux lois sur le droit d’auteur.
 
> Une compensation équitable : Les fournisseurs d’IA doivent obtenir une autorisation et rémunérer les médias pour l’utilisation des contenus de presse. L’exploitation sans compensation de l’IA dévalorise le journalisme et menace son modèle économique.
 
Conclusion : un appel à l’action urgent
 

La pérennité des médias indépendants est essentielle à la démocratie, mais les monopoles numériques, l’exploitation incontrôlée de l’IA et la concurrence soutenue par l’État menacent leur avenir.
 
La Commission européenne doit agir avec fermeté pour faire appliquer les règles de concurrence, assurer des marchés publicitaires équitables, réguler l’utilisation des contenus par l’IA et faire respecter les réglementations sur les aides d’État. Ce n’est qu’en répondant à ces défis urgents que l’Europe pourra préserver une presse libre, diversifiée et indépendante à l’ère numérique.

Archive / MEDIA