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Le Meaningful Marketing à la sauce BAM

Mardi 4 Février 2020

Le Meaningful Marketing à la sauce BAM

C'est sous l'égide de la Belgian Association of Marketing qu'une version solide du Meaningful Marketing Framework a été conçue. La description de ce modèle de réflexion est d'ailleurs lisible sur le site de BAM et le sujet à prendre au sérieux, à une époque où la notion de purpose serait galvaudée et où les marques devraient « changer de paradigme au service des citoyens que nous sommes tous ». Formule idéaliste sans lendemain ou expression aboutie d'un business cynique à l'extrême ? Tentative de réponse constructive, à une époque où les entreprises recherchent à nouveau leurs valeurs fondamentales. 

Penser un modèle pour en publier un cadre théorique relativement opérationnel n'est pas chose facile. Surtout lorsque la réflexion porte quelque part sur une mise en cause des fondements du métier. Le marketing, pour rappel, ne serait pas naturel dans une société primitive. La publicité ne serait pas attendue par ses cibles impatientes, pas plus que les dites innovations, assumant la lourde responsabilité de générer parfois des besoins, occasionnellement non ressentis. Vous voyez le scandale. Avoir un groupe industriel, une banque, du fast-food ou un site web low cost qui soit meaningful, c'est déjà un challenge. Mais quand l'Association belge du marketing vise un purpose sociétal, cela devient carrément intéressant. Il fallait un duo engagé et volontaire, avec un solide background et une vraie philosophie de l'économie. Notamment pour résister au fait que quand vous visez la réduction de l'empreinte carbone, vous êtes écolo. Si vous visez celle de la croissance, vous êtes communiste. Celle de la mauvaise pub, vous êtes socialiste. Alors qu'un bon libéral peut combiner les trois, en faisant du profit. Du moins si l'on en croit quelques cas belges déjà réussis de meaningful brands.
Il fallait surtout deux personnes disponibles pour ce manifeste : Annie Courbet, VP de BAM (photo ci-contre), et Alain Mayné, président du Expert Hub Communication. Dans l'ordre, ils sont aussi Managing & Marketing Director de Brocom et Strategic Planning Director chez Hoet & Hoet. Outre ce tandem, s'active le Strategic Leading Team composé des président et General Manager de BAM - Koen Van Impe (&Koo) et Patrick Steinfort -, ainsi que de Dominique Vercraeye. 
Sans oublier un Core Cross Businesses Expert Hub Communication Team regroupant quant à lui pas moins de 16 personnes, que l'on peut qualifier de premier plan dans leur domaine : annonceurs, médias, recherche, corps  académique, etc. Une structure pas si pyramidale en trois couches, où tout le monde donne de son temps pro deo, pour optimiser les pensées sociétales et les pratiques "décentes" de la publicité à terme. Une belle contribution de personnalités de bonne volonté au coeur du réacteur. 

D'après Alain Mayné, la démarche était évidente : « Une nécessité devant trouver sa place au-delà de l'opérationnel », dit-il. Le premier conseil serait donc de se donner un peu de temps, si l'on veut une révélation, une inspiration. La base du métier de publicitaire, par ailleurs.
Pour un monde plus green
Une phrase entendue mille fois, sauf qu'il s'agit ici du monde du marketing, dans sa définition large. Avant de rentrer dans le détail de ce framework, qui compte une part généreuse de procédures, règles et actions à prendre, évoquons d'abord le contexte. Après les entreprises voulant devenir meaningful, nous voudrions donc aussi du marcom plein de sens.
Comme l'explique Alain Mayné : « Nous nous donnons comme mission de promouvoir le marketing sur cette base. Après avoir établi la formulation d'une vision et d'une mission en collaboration avec Serviceplan, Hoet & Hoet a prolongé le travail afin que la marque BAM soit la plateforme de cette perspective. Dans un premier temps, nous avons ressenti des questionnements dans l'interne, mais ils n'ont pas perduré. »
Il faut dire que les workshops successifs, au moins six, ont aidé à clarifier les sujets et mettre tout le monde d'accord, pour ensuite produire les premiers contenus du futur cadre. Jusqu'à vouloir qualifier la meaningfulness, « avec un index, comme le Dow Jones » : l'image de Mayné semble décalée, ou ironique. Autant utiliser le vocabulaire des décideurs de ce monde. A cet égard, il apparaît clairement aux yeux de l'initiateur du projet que « la crise écologique a généré une perte de sens structurelle, non sans impacter la légitimité du marketing, et plus largement celle du capitalisme. » Evacuant rapidement l'option communiste, manifestement théorique, Alain Mayné parle du nécessaire « reset du capitalisme » en faveur duquel le Financial Times plaide depuis quelque temps et au sujet duquel 250 CEO ont lancé un appel dans le New York Times  du 19 octobre dernier pour retrouver du sens, un peu comme dans l'après-guerre. 

Nous sommes bien loin des folles années 1960, et les rares entreprises qui génèrent actuellement de jolis profits passent vite pour « coupables » de quelques raisons poujadistes, ceci alors que « sans profit, elles sont mortes », admet Mayné. Encore faut-il voir quelle dimension raisonnable - ou non - atteignent ces profits, comment ils ont été générés, et ce qui n'est pas le moins, à qui ils seront affectés. Et de citer Michael Porter, doyen à l'Université de Harvard, qui pointe deux styles managériaux sans être trop manichéen : le bon, et le mauvais, entendez le « greedy », la magouille devenue système... Il en faudrait un nouveau à présent, comme une réponse. Père du concept, Michael Porter précise que le principe de "shared value" va plus loin que la responsabilité sociale, évoquant une nouvelle philosophie pour accomplir un succès économique. 

Concrètement la meaningfulness parlera d'une économie plus verte mais aussi plus blanche. Même si le but ne sera « ni de donner des leçons ni de gérer des changements. » Mais quoi alors ? « Lancer un mouvement serait plutôt un appel à mettre en marche le re-ingeneering du marketing ». A l'endroit où l'on aurait particulièrement dérapé : le marcom. Un lieu où le divorce entre les individus et le modèle économique serait le plus visible. Alors soignons le mal à la source.
Le grand test de la meaningfulness
Cela ressemble à un jeu de société en six cases, où l'on peut perdre ou gagner, en effet. Débutant par la fameuse case purpose, où l'on définira déjà ses intentions, son engagement et le plus élevé possible au sens noble : avoir une vision interne et sociale qui corresponde à une destinée avouable. Etape suivante : l'holistique, où il est question d'avoir un vue large de sa propre organisation, dépassant la notion de services et de départements. L'écosystème de l'entreprise à travers tout ce qu'elle touche, ce qu'elle impacte. Troisième étape, la shared value qui, on s'en doute, dépasse la notion de marge bénéficiaire et, plus volontiers, de valeur pour le consommateur, la société mais aussi la marque. Quatrième élément, la confiance, car il en faut de la part du client qu'il conviendra de respecter à cette fin.

Autant de respect à témoigner vis-à-vis de la marque, et pour son authenticité, son origine, son ADN. Cinquième point critique à considérer, les données personnelles des individus. Un sujet sensible où le marketing tente de customiser au mieux les expériences et les messages, tandis que le législateur ou les audiences jouent la protection de façon accrue. Sixième et dernière condition pour faire le tour des piliers plaçant au centre le fameux framework salvateur : la collaboration. Celle-ci devra faciliter la co-création et un mode de pensée ouvert.

Tout comme Michael Porter souhaitait placer au centre (de l'organisation) toutes formes d'initiatives CSR, à ne surtout pas laisser périphériques, BAM souhaite dans un même esprit placer le schéma de travail décrit au coeur des marques, des politiques et de la société. Et l'exercice ne s'arrête pas ici, bien au contraire : il commence. Les six paramètres étant définis, il convient à présent de se fixer des KPI en partie sur mesure ou adaptés, et des outils de mesure. Le tout pour pouvoir sortir le bulletin précis d'une entreprise donnée. Ceci dans l'esprit d'une Certification B, comme pour 2.788 sociétés dans 64 pays aujourd'hui. Ce label concerne les entreprises à but lucratif qui souhaitent démontrer leur impact positif, évaluées sur leur performance globale à intervalles réguliers. Elles s'inscrivent aussi dans une logique d'interdépendance, prenant en compte leurs fournisseurs, leurs clients ou partenaires. 

Nous sommes très proches de l'accouchement du Meaningful Marketing Framework, et le Congrès BAM de cette année était justement articulé autour de ce sujet pour en extraire les outputs principaux. Les KPI sont quant à eux soumis à un groupe constitué de grands noms du marcom local, qui produira d'ici 2020 le futur Assessment Tool permettant la mise en oeuvre des mesures. N'oublions pas le The Meaningful Marketing Institute dans la foulée, composé de Dominique Vercraeye et d'académiques - Karine Charry (UCL), Patrick De Pelsmacker (AMS) et Yves Van Vaerenbergh (KUL) - qui seront à même de pouvoir éditer des Meaningful Marketing Certificates.
Tous coupables
Ou au minimum, tous co-responsables. Chaque entreprise, chaque marque serait un bon cas potentiel pour prouver que cette prise de recul serait source d'inspiration pour travailler autrement. « Des fabriques de pneus aux compagnies low-cost, toutes peuvent se poser des questions, entre autres en relation avec la production de CO2 », précise Annie Courbet. La vision, jusqu'ici théorique, dépasse bien entendu ce seul objet de préoccupation. A noter que l'initiative de base pour amorcer la démarche doit forcément émaner du board. Du reste, il sera souhaitable d'éviter que la recherche d'une telle évaluation et certification soit la volonté d'une compensation de certains méfaits ou perçus comme tels, pour se donner bonne conscience et nettoyer sa réputation. « No washing, no bashing », prévient Alain Mayné : on veut de la sincérité, pas de la fausse empathie et encore moins de fausses excuses, en cas de dérapage. 

Mais pourquoi chez BAM ? « Parce que tous les acteurs concernés s'y trouvent et que BAM est une communauté ouverte qui regroupe les annonceurs, les médias, les agences, les martechs, etc. », dixit Annie Courbet. « Nous avions déjà intégré le digital et les data, mais nous avons vite compris que ces compétences bien qu'essentielles, sont loin d'être suffisantes pour faire évoluer le marketing et le remettre à une place stratégique. Le marketing doit être le moteur de l'inspiration. Créer de la valeur au sein de l'entreprise pour la société. Travaillons à l'endroit où nous pourrons non seulement réconcilier les marques avec leurs cibles, mais aussi le digital et les autres métiers du marketing. » Alors, un meaningful marketing framework pour des marques en manque de purpose » ? La langue anglaise n'aide pas toujours à être précise dans ses contractions et le caractère vague de ses mots parfois très conceptuels, surtout lorsqu'ils sont récupérés à outrance par notre secteur. Nous retiendrons peut-être plutôt "soulful" - le plein d'âme, comme synonyme intéressant pour ce modèle. Et "view" ou encore "aim" pour les objectifs visés, parlant de la vision plutôt que la rentabilité à court terme uniquement. Le marketing vraiment efficace serait aussi sentimental, et le but d'une marque devrait dépasser la vente de ses produits ou la maximisation de son profit. En visant quelque chose de mieux, de plus grand, de plus noble. De plus, en tous cas. Qui relèverait de l'humain, la matière première du sociétal, un apport constructif à la société.

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