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SXSW où le T-shirt de Jay Graber secoue le monde de la tech, par Danny Devriendt (IPG Dynamics)

Vendredi 14 Mars 2025

SXSW où le T-shirt de Jay Graber secoue le monde de la tech, par Danny Devriendt (IPG Dynamics)

Après la présentation d’Astro Teller et ses amis, et après avoir repris des forces avec un énième latte (c’est SXSW, le sommeil est facultatif), j’ai filé assister à la keynote de Jay Graber, curieux de voir comment la fondatrice de Bluesky allait électriser le festival.

J’y suis arrivé juste à temps. Et il se trouve qu’elle l’a fait, littéralement, avec son T-shirt, qui arborait en lettres imposantes une phrase en latin : "Mundus sine Caesaribus" (Un monde sans Césars). Un monde sans empereurs, sans suzerains, ou, pour transposer à notre époque, sans autocrates de la Big Tech.
Le message de Graber n’avait rien de subtil. L’audience était en ébullition- et peut-être aussi un peu mal à l’aise - car ce n’est pas tous les jours qu’un simple T-shirt réussit à mêler références historiques romaines et appel à la fin de la tyrannie numérique (et, soyons honnêtes, aussi politique, surtout dans une Amérique où l’ombre de Trump plane toujours).

Jay Graber est sur mon radar depuis un moment. 
Elle fait partie des étoiles montantes du mouvement pour la décentralisation du Web. Avec Bluesky, elle construit non seulement une plateforme, mais un véritable protocole destiné à redonner le pouvoir aux utilisateurs en supprimant l’autorité centrale sur laquelle s’accrochent tant de géants des réseaux sociaux. Si ce n’est pas clair : en langage Elmo, elle dirige une plateforme en pleine expansion qui ressemble à Twitter (X), mais sans super-vilains, sans algorithmes d’extrême droite et, surtout, totalement décentralisée.

C’est crucial. À l’heure où Facebook (pardon, Meta) et Twitter (X, si vous insistez) façonnent notre réalité via leurs algorithmes et leur collecte de données, Graber veut renverser la table. Bluesky promet un avenir où chacun peut choisir son propre serveur social, contrôler ses données et, fondamentalement, refuser d’être traité comme un produit.

À une époque où la vie privée semble être un vestige du passé, elle propose une vision des réseaux sociaux plus proche de l’email : fédérée, gérée par ses utilisateurs et difficile à monopoliser par une seule entreprise. 

Elle n’a cité ni Zuckerberg ni Musk (peut-être eût-ce été trop évident), mais l’allusion était limpide : si l’on veut construire une alternative aux géants de la tech, quoi de mieux qu’un T-shirt proclamant "Un monde sans Césars" ?

Graber bouscule les fondations des réseaux sociaux en promouvant des protocoles décentralisés et en remettant en question l’idée qu’une seule entreprise ou un seul CEO puisse contrôler les données et la parole de milliards de personnes. L’architecture de Bluesky incarne cette philosophie : chaque publication appartient réellement à son auteur, et chacun peut emmener ses données où bon lui semble. La confidentialité et le contrôle ne sont pas des ajouts superficiels, mais les piliers mêmes du projet.

Il y a aussi son approche du leadership. Contrairement aux fondateurs classiques qui ne rêvent que d’une IPO lucrative ou d’un rachat en or massif, elle semble sincèrement investie dans la construction d’un écosystème à long terme, géré par sa communauté et qui ne soit pas dicté par la seule quête du profit.

Le public du SXSW a adoré, en particulier son insistance sur la transparence et la responsabilité. La séance de questions-réponses qui a suivi a été bondée. Comment modérer les discours haineux dans un système décentralisé ? Cela ne va-t-il pas simplement créer des bulles idéologiques hermétiques ? Est-ce réellement viable, ou juste une chimère utopiste ?

Graber n’a éludé aucune question. Elle a reconnu la complexité du problème - la modération étant un cauchemar pour n’importe quelle plateforme -, mais a insisté sur le fait que la gouvernance communautaire serait plus robuste à long terme. Un argument pertinent, surtout après avoir vu le chaos engendré par des plateformes dirigées d’une main de fer par un seul individu.

Elle a esquissé une feuille de route ambitieuse et rafraîchissante, loin des schémas d’entreprise traditionnels. Son but ? Construire un protocole ouvert, à l’image du système de messagerie électronique, où chacun pourrait choisir son serveur en fonction des règles et de la culture qui lui conviennent. Pas fan de l’ambiance d’un serveur ? Il suffit d’en changer. Ou d’en créer un. L’idée, c’est que le pouvoir demeure à la périphérie (les utilisateurs), et non au centre (les entreprises).

« Les réseaux sociaux, ce n’est pas juste du contenu, » a-t-elle affirmé avec conviction. « C’est de la communauté et de l’identité. Si nous pouvons bâtir un réseau véritablement ouvert, nous permettrons aux gens de façonner leurs propres espaces sans craindre qu’un César ne vienne bouleverser les règles du jour au lendemain. »

Son ultime déclaration a déclenché une salve d’applaudissements : « Nous méritons un avenir qui ne soit pas décidé par une poignée de gardiens du temple. Construisons-le ensemble. » Avec quelques ajustements, cela aurait presque pu sonner comme un appel révolutionnaire.

Le nouvel ordre ?

En sortant de la keynote, j’ai ressenti cette pointe d’optimisme propre au SXSW, celle qui a parfois tendance à bousculer mon habituel scepticisme technologique. Peut-être était-ce l’effet des cocktails caféinés, ou peut-être - juste peut-être - que des personnes comme Jay Graber sont réellement en train de changer la donne.

Son T-shirt n’était pas juste un choix vestimentaire. C’était une bannière, un manifeste pour tous ceux qui en ont marre du paternalisme des plateformes et de la politique corrompue qui va avec. Certes, "Mundus sine Caesaribus" a un côté dramatique, mais l’est aussi cette réalité où quelques entreprises ont la mainmise sur nos vies numériques. Même ici, dans notre bonne vieille Belgique, royaume des gens polis.

Entre Astro Teller qui prône l’échec accéléré et Jay Graber qui rêve de renverser les Césars du digital, ce SXSW ressemble à un gigantesque camp d’entraînement pour grandes idées.

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