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SXSW 2025 : le retour de la rébellion ?, par Danny Devriendt (IPG Dynamics)

Dimanche 2 Mars 2025

SXSW 2025 : le retour de la rébellion ?, par Danny Devriendt (IPG Dynamics)

Je n’arrive pas à croire que nous sommes déjà en 2025 et que je refais petit à petit mes bagages pour South by Southwest. Ces dernières années sont passées à toute vitesse, et en même temps, j’ai l’impression que le monde a radicalement changé depuis ma dernière virée dans les couloirs du Austin Convention Center. Tensions politiques, crashs technologiques, avancées ahurissantes de l’IA… tout cela donne le tournis. Et pourtant, je ressens toujours cette même effervescence à l’idée de découvrir ce que SXSW réserve, surtout avec plus de 220.000 personnes prêtes à débarquer en ville.

Chaque année où je suis venu, j’ai eu la chance d’échanger avec Bruce Sterling, l’écrivain de science-fiction originaire d’Austin, célèbre pour ses remarques piquantes sur les illusions du monde techno - politique. Et cette année, je compte bien remettre ça. Personne ne manie mieux que lui la critique acerbe envers le discours trop lisse des "tech bros". Je suis curieux de savoir ce qu’il pense désormais de leur prétendue nouvelle "non-humilité". N'ont-ils vraiment rien tiré des leçons de ces dernières années ? J’imagine déjà Bruce, un petit sourire ironique en coin, prêt à nous expliquer en détail pourquoi il ne faut pas trop y croire. Il me prédisait la réélection de Trump en 2023 déjà… C’est clairement le moment que j’attends avec le plus d’impatience pendant toute la semaine du festival.

Ensuite, il y a bien sûr le grand mystère qui agite déjà tous les bavardages pré-SXSW. Qui va contrer le post-Trump en 2028 ? La représentante Alexandria Ocasio-Cortez (@AOC), darling du festival, fera-t-elle un passage surprise ? Lorsqu’elle est venue il y a quelques années, elle a complètement électrisé les débats. On parlait déjà d’elle pour de futures échéances présidentielles, et aujourd’hui encore, son nom revient sans cesse dans les discussions autour de la "tech progressiste" et de la justice sociale. Elle n’a toujours rien confirmé, mais sa présence flotte dans l’air : même si elle n’apparaît pas physiquement, je parie qu’elle sera sur toutes les lèvres dans les panels politiques, et parmi ceux qui discutent de l’impact des grandes plateformes sur la démocratie.

Trump réélu : le climat politique plane sur le festival

Parlons-en, de la politique. L’ambiance n’est plus aussi euphorique qu’à la grande époque des levées de fonds mirobolantes : la réélection de Donald Trump, et son attitude casse-tout occupe bel et bien les esprits. SXSW a toujours été un espace où se croisent idées alternatives, diversité, droits des femmes et initiatives citoyennes. Autant dire que beaucoup d’intervenants et de visiteurs ne sont pas exactement les plus grands fans du locataire orange de la Maison-Blanche. Je m’attends à des ateliers sur l’art du cryptage, des panels dédiés à la résistance numérique ou des rencontres informelles pour partager des stratégies visant à contrer certaines politiques fédérales jugées liberticides. Le festival n’a jamais eu peur d’assumer sa posture "contrariante", et cette année promet d’être particulièrement intense sur ce plan.

La revanche des lunettes "low-key" (Ray-Ban, etc.)

C’est intéressant aussi de voir comment la réalité mixte (XR) est perçue aujourd’hui. Il y a deux ans, je me souviens de l’effervescence autour de l’Apple Vision Pro. On en parlait comme du "moment iPhone" de l’informatique spatiale, mais, soyons honnêtes, les ventes n’ont pas vraiment décollé. À force de proposer un casque hors de prix, Apple s’est heurté à la réalité : tout le monde ne peut (ou ne veut) pas débourser une telle somme pour avoir des fenêtres virtuelles devant les yeux.  Le Metaverse de Zuckerberg se casse les dents sur le même problématiques. 

En revanche, c’est l'on-face computing (ou "hearables") qui semble s’imposer petit à petit. Les lunettes façon Ray-Ban de Meta qui intègrent quelques fonctions basiques (prendre des photos, recevoir des notifications, accès aux assistants IA, etc.) ont trouvé leur public. Rien de tape-à-l’œil, pas d’univers virtuel éblouissant, mais un pas plus discret vers l’AR. Ça me rappelle la leçon de 2013 avec Google Glass : les gens craignaient d’avoir l’air de cyborgs. Aujourd’hui, l’approche "douce" et presque invisible - juste un peu d’assistance numérique au quotidien - paraît mieux acceptée. C’est fascinant de voir que, parfois, la techno la plus simple est celle qui accroche le plus dans la vie de tous les jours.

Les agents IA "autonomes" envahissent SXSW

La grande vedette de l’édition 2025 reste cependant l’IA et, surtout, la montée des "agents autonomes". Depuis l’époque de ChatGPT, la notion de chatbot est passée du statut de curiosité à celui d’assistant incontournable. On parle maintenant de systèmes capables de se connecter à toute une gamme d’outils, d’orchestrer des tâches complexes, d’écrire du code, de planifier des campagnes marketing, et d’apprendre en continu grâce à des "chaînons" (LangChain, Auto-GPT, etc.). J’avoue être à la fois exalté et un peu terrifié par ces promesses. Les startups qui assurent que leurs IA peuvent gérer la quasi-totalité de votre vie privée ou professionnelle vont se bousculer dans les allées du salon. D’un côté, on voit la perspective d’une productivité décuplée ; de l’autre, le risque de confier un peu trop de contrôle à des algorithmes. Et je vous laisse imaginer la mine réjouie de Bruce Sterling quand il taillera en pièces ces illusions de toute-puissance logicielle…

Parmi les autres noms qui vont clairement revenir dans les conversations, il y a Elon Musk. Il reste une figure quasi mythique dans cette ville, vu ses investissements, son aura de "génie" et de fonceur. Mais l’admiration inconditionnelle a de plus en plus des relents de controverse. Certains le voient comme le super-héros de la transition électrique et spatiale - un Iron Man -, d’autres comme un mégalo incontrôlable. Autrefois, on chuchotait son nom comme celui d’un visionnaire éclairé ; aujourd’hui, on parle plutôt d’un potentiel "super-vilain" qui écrase la concurrence et mène des projets fous, parfois au mépris de considérations éthiques ou sociales. Ses exploits DOGE très contestés colorent déjà les conversation de #SXSW. 

Évidemment, au milieu de ces débats enfiévrés, je compte bien me régaler avec un bon barbecue chez Iron Works . Rien de tel qu’une assiette de brisket fumé et une conversation animée sur la régulation des datas pour se rappeler pourquoi j’aime tant cette ville. Mais l’autre symbole fort d’Austin, c’est Lake Travis- et on ne peut pas ignorer qu’il se vide toujours un peu plus. Pendant qu’on célèbre la high-tech capable de "résoudre tous nos problèmes". On raconte que plusieurs panels vont se pencher sur des solutions concrètes pour la crise de l’eau, de l’IA de modélisation climatique à l’énergie solaire de nouvelle génération. Reste à voir si cela débouchera sur des avancées réelles ou si ce sera un énième show d’innovations conceptuelles sans suite concrète.

En fin de compte, SXSW demeure un gigantesque chaudron où se mêlent avant-garde technologique, préoccupations sociétales et festivités texanes. Les tensions politiques post-réélection de Trump risquent de galvaniser les esprits contestataires ; les ambitieux du numérique y verront l’occasion de lancer leurs nouveaux produits ou de peaufiner leur image. Et au cœur de ce grand mouvement, il y aura nous tous - visiteurs, conférenciers, artistes, développeurs, activistes… On viendra avec nos espoirs, nos doutes, notre fascination pour les gadgets futuristes et notre volonté de défendre nos valeurs.

Je sais déjà que je finirai mes soirées à débattre de crypto, d’IA, de droits civiques, et bien sûr de ce que Bruce Sterling aura balancé lors de ses interventions. Je prendrai peut-être le temps de flâner du côté de Rainey Street pour savourer un concert improvisé. Je tendrai l’oreille pour capter les rumeurs sur AOC : un discours surprise ? Une simple mention dans une table ronde ? Peu importe : son nom planera au-dessus de la ville comme un symbole de la gauche progressiste et d’un avenir politique alternatif.

Et c’est là, la magie de SXSW : on se nourrit autant de discussions passionnées que de tacos chargés de piment. On baigne dans un mélange unique de scepticisme et d’enthousiasme, d’utopies parfois un peu naïves et de défis bien réels. Au bout du compte, chacun repart avec son lot de rencontres, de prises de conscience, de projets et, qui sait, d’énergie nouvelle pour affronter les enjeux des mois - voire des années - à venir.

Alors voilà, Austin 2025, bientôt me revoilà. J’ai hâte de poser mes valises le 5 mars, de respirer cet air chargé d’odeurs de BBQ et de débats enflammés, et de constater si vraiment les agents IA vont changer nos vies, si Apple parviendra à sauver le concept de réalité mixte, si les militants engagés contre le gouvernement trouveront des soutiens de poids, et si je pourrai à nouveau échanger avec Bruce Sterling pour recueillir l’une de ses punchlines inoubliables. 

Une chose est sûre : SXSW ne déçoit jamais quand il s’agit de réconcilier - ou du moins confronter - la folie du futur et la richesse du présent. Rendez-vous sur place !
 

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