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Bernard Cools (Space) : "Les grands groupes issus de la concentration de ces dernières années sont là pour durer"

Vendredi 19 Mai 2023

Bernard Cools (Space) :

Le Courrier Hebdomadaire du Crisp vient de consacrer un numéro entier à la presse quotidienne. L’auteur n’est pas un inconnu puisqu'il s'agit de Bernard Cools, Chief Intelligence Officer chez Space qui nous régale chaque dimanche d’une analyse média finement ciselée au travers de ses Seen From Space.

Un exercice qu’il a réitéré de façon méticuleuse pour cette édition très fournie.

Si vous deviez résumer les trois décennies qui font l’objet de votre analyse en une seule expression, ce serait laquelle ?

La disruption totale, accompagnée d’un certain nombre d’erreurs stratégiques qui ne sont pas propres à la presse belge.

D’abord, il y a eu l’idée que sur internet tout était gratuit et donc les éditeurs ont commencé à mettre tout gratuitement online, en ce compris le contenu qui était vendu sur papier. L’idée était que le journalisme allait être financé par la pub et ne coûterait donc plus rien aux lecteurs. Depuis, la plupart des acteurs sont revenus de cette vision, mais elle a fait des dégâts qui sont encore sensibles aujourd’hui. En presse quotidienne, il y a de nos jours une édition vendue pour huit lecteurs. Le média se voit donc confronté à un énorme problème économique, encore dopé par le digital.

Désormais la presse quotidienne se décline sur différents supports. Les ventes en format papier sont en régression marquée, tandis que les versions numériques progressent constamment. Certains titres réussissent mieux cette transition que d’autres. Ainsi, le NY Times tire plus de revenus du digital que du papier. 

Globalement on pourrait dire que la presse économique s’en tire mieux dans l’ère digital parce que sa cible est plus encline à payer pour l’information qu’elle y trouve, tandis que du côté d’une presse plus populaire, les audiences sont bel et bien là, mais les éditeurs ont énormément de mal à les monétiser.

Parallèlement, les abonnements acquièrent une importance supérieure aux achats au numéro et vous pointez que le modèle de la monétisation par la pub semble sous pression.

De fait. Dans le monde digital, la concurrence est beaucoup plus dure et la pression sur les prix plus grande, notamment à cause des plateformes qui peuvent venir avec des prix que les éditeurs de contenu ne peuvent pas se permettre du fait des coûts auxquels ils sont confrontés pour fournir justement une information de qualité. Mais malheureusement, même si le modèle de fonctionnement des plateformes et celui de éditeurs de contenu est très différent, ils sont concurrents au niveau de l’accès à la pub. 

Comment s’en sortir ?

Au-delà des aides à la presse existantes - qui sont largement perfectibles -, certaines interventions réglementaires s’imposent probablement et pourraient changer quelque peu la donne, comme la législation sur les droits voisins qui oblige les plateformes de rémunérer les éditeurs pour la reprise de leurs articles.

Il faudrait aussi faire contribuer les fournisseurs d’accès, puisqu’ils bénéficient aussi de l’attrait des contenus proposés par les médias d’information, un peu à l’instar de ce qui se passe en télé. 

Ensuite, il y a un énorme enjeu d’éducation. On doit d’une façon ou d’une autre sensibiliser les jeunes générations au fait que l’info n’est pas quelque chose qui coule d’un robinet gratuit. Il faut faire lire les journaux dans les écoles, sur papier ou sur écran. Faire comprendre que c’est quelque chose qui a de la valeur. Dans les pays scandinaves, les autorités publiques sont beaucoup plus assertives sur l’accès aux journaux dans les écoles et sur la protection de la presse pour la faire vivre.

L’ultime partie de votre dossier est consacré aux défis de la presse quotidienne. 

Pour le futur, trois questions se posent. Quel est l’avenir des éditions imprimées ? Comment parvenir à capter et à fidéliser les consommateurs potentiels ? Quels revenus attendre de l’application de la directive européenne sur le droit voisin ?

Du point de vue des éditeurs, je pense que le papier est appelé à disparaître. Pas encore tout de suite, parce que les revenus issus du papier semblent encore supérieurs à ceux du digital. Mais tout le monde sait que le papier représente une logistique et des coûts lourds à gérer. Sans parler de l’aspect durable. Bref, le papier devient une mauvaise affaire pour les éditeurs, mais au niveau des lecteurs, il existe encore une demande pour des long reads sur papier. Reste à voir dans quelle mesure ils sont prêts à payer pour ?

Ces derniers temps, plusieurs digital natives basés sur la pub, tels que BuzzFeed Media, rencontrent de sérieux problèmes, au point de disparaître du paysage. Pourquoi selon vous ? 

Je pense qu’il faut faire une distinction entre les sites d’infos pure et dure d’une part, et les sites d’infotainment d’autre part. Dans la première catégorie, le site d’actualité Mediapart est quand même une initiative rentable et très porteuse depuis 15 ans. En Belgique, il existe du des projets comme Apache et Newsmonkey, mais nous avons évidemment un souci avec la taille du marché, surtout du côté francophone, étant donné l’overlap français. 

Un dernier mot ?

Les grands groupes issus de la concentration de ces dernières années sont là pour durer, mais il faudrait quand même des indépendants pour diversifier les voix. On assiste à une homogénéisation des contenus, puisque les raisons économiques priment. Pour contrer cette tendance naturelle aux économies d’échelles, ce serait fantastique que des structures plus légères et plus diverses voient le jour. 

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