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Best of Cannes 2024, Vol 3

Jeudi 1 Août 2024

Best of Cannes 2024, Vol 3

Du 17 au 21 juin s'est déroulée la 71ème édition des Cannes Lions. Comme chaque année, MM a envoyé ses fidèles reporters sur place afin de recueillir les meilleures informations lors des conférences de presse, dans les auditoriums et, bien sûr, sur la plage et le long de la Croisette.
 
De tout ce matériel, nous avons tiré trois thèmes. Après l'Intelligence et le Post-purpose, nous nous penchons sur le pouvoir de l'humour et de l'émotion dans la création publicitaire. « Humour is about connexion and it’s the best healer », a déclaré Kenan Thompson, l'humoriste du Saturday Night Live, dans son discours. Qui sommes-nous pour le contredire ? 
 
Have fun et bonnes vacances !
Des Lions pour rire
C'était l'une des nouveautés des Cannes Lions cette année : l'introduction d'une (sous-) catégorie dédiée à l'humour au sein des "tracks" Classic (Audio & Radio, Film, Outdoor, Press & Publishing), Engagement (Direct, PR, Media, Social & Influencer) et Entertainment.

Soit au total 798 inscriptions, moins de 3% du total, et à l'arrivée, 22 Lions, dont seulement deux Gold. De là à dire que la nouvelle catégorie humour, c’est pour rire…

À vous de juger ici.
Trois pourcents, c’est une blague ?, par Bruno Liesse
Sur les 26.000 et quelque soumissions de dossiers aux Lions 2024, nous recensons à peine 2,98% de cas dans la (sous-) catégorie Humour. Alors que les sujets marrants devraient se trouver partout, un peu comme l’écologie : pas dans les mains d’activistes décalés mais dans les gestes et les conversations de tous les jours, chez tout le monde. Alors que nous accumulons les crises dans toutes les dimensions - écologiques, politiques, économiques, géographiques (cela n’a rien à voir mais la rime est belle) -, il nous est indispensable de rester léger et bienveillant, d’avoir une créativité souriante. Seulement voilà, on nous en a fait un classement vertical - versus les catégories sociétales en tous genres où la déprime et les larmes sont garanties. Déjà qu’on nous compte 300.000 malades longue durée et 120.000 burn out d’après les statistiques pré-électorales, ça ne vas pas nous arranger. On fera comme avec les enfants : on enverra des clowns dans les hôpitaux et les asiles (ah non, pas chez les dingues, cela risque de dégénérer sévère) ou carrément au domicile des congés maladie. Et si la déprime était un nouveau business ? Les pubs dépressives comme nouvelle catégorie pour l’année prochaine, voilà une bonne idée.

Mais je m’écarte, revenons sur mes trois pourcents : en gros, c’est quand même le niveau de revenu de vos comptes-épargne, ou en net, celui des bons d’Etat sur lesquels des millions de Belges foncent alors que l’inflation, elle, caracole encore à 4 ou 5%. Comme quoi tout est relatif, le moustachu avait raison - Einstein, pas Hitler (ces jours-ci, il vaut mieux préciser) - et nous sommes toujours aussi naïfs. 

Trois pourcents c’est aussi le niveau de rémunération moyen des agences médias, à coté des services spéciaux, qui sont tout de même un peu plus chers, rassurez-vous, mais nettement plus rares. Après l’analyse de rentabilité des agences de com' (toutes catégories) par l’ACC et qui nous place chaque année à quelques points en-dessous de la précédente, l’UMA y va aussi de ses statistiques financières, en commençant par le bilan budgétaire des pitches. Aussi catastrophique que celui de leurs cousines agences de pub, lequel poste budgétaire mangerait plus de la moitié du profit. 

Trois pourcents, ce ne sera sûrement pas la proportion de compatriotes à Cannes ni sans doute celle de nos Lions. Quoique les résultats des lauréats pointent des choses très positives. 

Enfin, trois pourcents (2,65% pour être précis), c’est aussi la part de PIB de la Belgique dans l’Europe. Ou 1% dans le monde. Alors que d’après Fortune, et ce n’est pas rien, nous sommes le pays le plus riche du monde. Quand on cumule les différents objets du patrimoine : salaire, immobilier, avoirs en banques ou investissements et puis le couvercle social, le tout par habitant. Encore pour quelque temps. 

Je pense être moins rigolo quand j’écris sur les chiffres, mais simplement parce que ces chiffres ne sont pas bons. C’est mon côté belge grognon : ici à Cannes, tous les conférenciers sont champions du monde dans quelque chose, et les six groupes publicitaires qui concentrent la majeure partie des investissements sont numéro un, chiffres à l’appui. Un peu comme au foot, même les perdants auraient dû gagner, en fait, et restent moralement gagnant. Après le bronze, on devrait inventer l’inox ou l’aluminium pour ceux qui sont en bas du podium, car l’important c’est de participer. Ainsi, nous aurions 100% de gagnants et de façon inoxydable, comme l’or. Un métal surévalué à cause du contexte géopolitique. Si vous en gagnez un, mon bon conseil : revendez-le. Cela fera plaisir à votre patron, il a payé 4.000 euros pour le pass. Et ce n’est pas une blague.
 
Mark Ritson : "Creativity is not enough", par Griet Byl
Vous avez certainement déjà eu le plaisir de le voir et/ou de l'entendre et si c'est le cas, vous savez qu'une présentation de Mark Ritson, consultant et professeur en marketing, est quelque chose que l'on attend avec impatience. Derrière son allure enjouée, se cachent des vérités évidentes mais pertinentes. En général, il se débarrasse radicalement de la surcharge de buzzwords inutiles que l'on déverse régulièrement sur nos pauvres cerveaux. Et c'est particulièrement rafraîchissant. »

Il en a été de même aux Lions de Cannes, où l'Australien s'est présenté devant une salle comble avec un discours dont nous avions déjà pu découvrir certaines notions il y a deux ans lors de l’UBA Media Date, organisé en collaboration avec l'UMA. Prôner que la créativité ne suffit pas lors de la grand messe cannoise était d'ailleurs en soi un clin d'œil ironique, puisque l'orateur avait déjà maintes fois remis en question - et de façon très drôle - l'utilité des Cannes Lions. Peut-être des arguments financiers ont-ils joué pour le persuader de prendre l'avion ; c'est en tout cas ce qu'il a lui-même affirmé.

Après une énumération amusante des nombreux rôles que les orateurs et les participants au festival attribuent - à tort - à la créativité, Ritson est entré dans le vif du sujet avec l'intention de démontrer que la créativité ne contribue que de façon très infime à l’efficacité du marketing. 

« La créativité est orientée vers le produit, alors qu'elle devrait être orientée vers le marché », a-t-il expliqué. « Nous devons donc nous retourner, à 180°, et regarder à travers les yeux du consommateur. Si l'on fait cela, un certain nombre de termes perdent leur sens. Le purpose par exemple. Fort heureusement, nous vivons aujourd'hui dans l'ère du post-purpose. D’autres éléments montrent leur importance :  la saillance, par exemple. Les spécialistes du marketing doivent s'assurer que les consommateurs pensent à leur marque lorsqu'ils sont sur le point d'acheter. Ce n'est pas la priorité de la créativité, et les prix créatifs ne récompensent pas les publicités qui s’y appliquent. »

Dans la foulée, Ritson a illustré cette déclaration par une étude de System1 qui a examiné des milliers de publicités récompensées lors des prix créatifs pour leur contribution à la construction de la marque : celle-ci s'est malheureusement révélée à peine meilleure que celle des publicités non récompensées. 

« Cela ne veut toutefois pas dire que la créativité soit totalement négligeable dans l'efficacité de la pub », note-t-il quand même. Pour déterminer quel est donc le poids à lui attribuer, l'orateur a rappelé que la publicité n'est qu'une partie du marketing. Et que le marketing efficace repose sur trois piliers, dont le point de départ est le diagnostic du marché et des consommateurs. Deuxième pilier : la stratégie que l’on peut résumer en trois éléments clés : le targeting - domaine dans lequel les spécialistes du marketing n'excelleraient toujours pas - et le positionnement qui s'avère être une question tout aussi épineuse. « L'objectif du positionnement n'est pas de construire une présentation », a lancé Ritson. « L’objectif du positionnement, c'est le consommateur. Il faut s'assurer qu'il pense à votre marque. À l’aide d’un maximum de deux caractéristiques qui distinguent votre marque des autres. Ensuite, fixez-vous une poignée d'objectifs. »

Ce n'est qu'ensuite que les aspects tactiques suivent, avec un rôle de premier plan pour le produit dans toutes ses dimensions, ainsi que pour le pricing et la manière dont vous le communiquez : « Apprenez à définir le prix et, du coup, notre place à la table en tant que spécialistes du marketing sera complètement différente. » 

Dans la vision de Ritson, la créativité contribuerait à hauteur de 3% à la construction d'une marque efficace. « Mais pour la communication, en revanche, elle joue un rôle vital », a-t-il conclu… diplomatiquement, avant d'ajouter délicatement qu'elle est brillamment promue par des festivals comme celui de Cannes. Il faudrait se demander si cette approche permettrait de mieux cadrer les pitches créatifs de certains annonceurs.
Jacques Séguéla : la Flamme Olympique, par Bruno Liesse
Le publicitaire de trois générations s’apprête à recevoir le Cannes Lion’s of Sint Mark, qui comme l’on peut s’en douter, l’honorera pour l’ensemble de sa carrière. Du haut de ses 90 ans, nous avons rencontré l’homme venu assister à la présentation du nouvel Operating System de Havas par Yannick Bolloré, et lui avons adressé deux questions. 

Certains estiment que bientôt, l’intelligence artificielle pourra remplacer la fonction humaine, et notamment sur le plan de la création publicitaire. Cela vous inspire quoi ?

Jacques Séguéla : Cela fait déjà plusieurs années que l’IA existe et se substitue à des tâches humaines, ce n’est pas nouveau. Mais il est surtout question d’une grande capacité de mémoire et d’une grande rapidité informatique. Pas de créativité pure.

L’IA générative produit pourtant des sujets nouveaux…

Il lui arrive de cracher des idées, mais elle n’a pas d’esprit. D’intelligence au sens premier. Il est très difficile pour une machine de sortir des idées nouvelles, et très simple pour l’être humain. Le créateur, s’il existe, a plutôt bien fait les choses et s’est limité au règne animal, dont l’homme. Et c’était bien suffisant.

À  propos d’esprit, l’IA détient-elle un sens de l’humour ?

De nouveau, pas en tant que tel. Elle peut vous récupérer les meilleures blagues des 10 dernières années, vous les resservir, voire les améliorer. Et encore, si elle les a stockées et si on lui a expliqué ce qu’est une bonne blague. Il n’y a rien de plus bête que l’intelligence artificielle, en fait. On doit tout lui dire, et elle se base sur des informations enregistrées. C’est comme une voiture-balais.

Une fanfare résonne le long de la croisette et interrompt notre conversation. C’est le passage de la Flamme Olympique, encore un truc de marketing : on dirait le Tour de France en plus petit, et surtout en plus lent. Il ne faudrait pas qu’elle s’éteigne ! Je salue l’ancien dont les flammes dansent toujours au fond de ses petits yeux plissés, comme à l’écriture des premières lignes de "Fils de Pub". Parce que quand vous allongez des phrases destinées à être marrantes, vous souriez tout seul. Tiens, voilà déjà la voiture-balais.
 
Andrey Tyukavkin (LePub) à propos de l'IA : "Nous avons élevé un enfant très ennuyeux", par Max Brouns
Les Cannes Lions organisent chaque année une session consacrée à l’avenir proche de notre métier. Des visionnaires triés sur le volet tentent de dépeindre une image de notre monde dans 18 mois en partageant des informations sur ce qui est une mode passagère, ce qui restera et ce qui est encore à venir. Pourquoi 18 mois ? Parce que les informations recueillies lors de ces sessions "Future Gazers" sont tangibles et immédiatement exploitables afin de préparer l'avenir des idées créatives pertinentes et de stimuler les réflexions ambitieuses sur les possibilités de demain.

Le deuxième "Future Gazer" à donner sa vision sur le futur proche de notre métier était Andrey Tyukavkin, Global ECD de LePub (Publicis Groupe), reconnu comme l'un des esprits créatifs les plus brillants de notre secteur (44 Lions à son actif). Il a expliqué pourquoi il ne croit plus en un avenir radieux pour la publicité, même s'il tenait à rassurer les esprits créatifs : « We will be OK, I promise. » 
 
Andrey Tyukavkin a examiné une série de pubs créées avec l’IA : « Ce sont généralement des expériences intéressantes, mais ce ne sont pas des publicités intéressantes. Les technologies qui semblent encore attractives parce que nouvelles aujourd’hui, seront utilisées par le plus grand nombre demain. Une fois que tout le monde commencera à faire des publicités par IA, elles sembleront toutes également fades. » 
 
« Du fait de la réduction des coûts que permet l'IA, il y aura 100, peut-être 1.000 fois plus de publicités vidéo. Le consommateur verra 400 publicités générées par l'IA chaque jour, une par minute, causant un véritable encombrement des cerveaux. Qu'est-ce qui donnera alors l'avantage réel aux marketers ? La quantité ? Les tests A/B de 1000 publicités légèrement différentes diffusées en parallèle ? » 
 
En réalité, c’est le pouvoir de créer des vraies émotions avec un niveau d’excellence dans la créativité qui fera la différence au niveau de l’impact, martèle Andrey Tyukavkin. « Ce qu'il nous faut, c'est atteindre le niveau des publicités telles que "Lemon", "1984" ou encore "Whopper detour"… On peut se demander si l'IA nous aidera vraiment à atteindre ce niveau ou si, au contraire, elle va "aider" à tellement encombrer l'espace publicitaire que toute l'industrie sera ramenée un ou deux siècles en arrière, à l'époque où les publicités n'étaient que des rappels de l'existence d'un produit, accompagnés d'offres naïves pour "boire ceci" et "acheter cela" et d'informations basiques sur le produit. »
 
Pour illustrer les limites de la créativité par IA, Tyukavkin  se sert paradoxalement de l’exemple d’une des plus belles prouesses de l’IA : "The next Rembrandt", une œuvre créée sur base d’une énorme base de données constituée de tous les portraits peints par Rembrandt : « Une superbe expérience technologique très réussie, mais je ne crois pas qu’un ordinateur puisse produire la prochaine œuvre d’un génie sur base de l’analyse de ses œuvres précédentes. » Et il le démontre par le "9th Symphony Paradox" :  les premières symphonies de Beethoven font preuve d’une progression harmonieuse, elles sont composées par un jeune homme dans la force de l’âge. « Mais jamais une intelligence artificielle n'aurait pu composer la neuvième symphonie sur base de l’input des huit précédentes ! Pour créer, il faut évoluer en tant qu’être humain, avec des émotions et, souvent, avec des souffrances existentielles. Le travail d’un artiste est donc toujours le reflet d’un momentum, qui reflète leur personne à un moment donné. Du coup la créativité est subjective par définition. Et elle change donc sans arrêt. C’est précisément cette subjectivité qui deviendra la première valeur du travail créatif à l’avenir. »

 
"Sur l’impact déraisonnable des émotions", par Bruno Liesse
Tel était le titre de cette session assemblant les témoignages de spécialistes très variés, mais visant au même objet : capturer et retenir l’attention des audiences par du narratif et l’instrumentalisation de nos émotions. Ceci sans algorithme, mais avec talent, passion et beaucoup de pratique.
Pour animer ce débat sur lequel tout le monde sera d’accord, pas moins que Chaka Sobhani, Présidente et Global Chief Creative Officer chez DDB Worldwide, accompagnée d’un collègue assez lointain, mais de classe mondiale également : Richard Brim, pour sa part Global Chief Creative Officer chez adam&eve DDB, une des agences les plus primées sur ces dernières années. Alix Traeger (CAA) est quant à elle une "personnalité culinaire", à présenter comme une délicieuse influenceuse affichant deux millions de followers au compteur, véritable maître en science de vidéo virale. Enfin, Sharon Horgan, hyperactive internationale, qui assume des métiers tels que écrivaine, productrice, actrice (primée plusieurs fois), directrice et co-fondatrice de Merman, une célèbre société de production de shows, séries et comédies.

L’angle de l’échange porte sur l’usage des sentiments et des émotions pour se connecter plus profondément avec les consommateurs, afin de promouvoir la notoriété d’une marque présente dans les contenus. Avec authenticité et subtilité, à l’heure où les écosystèmes publicitaires classiques montrent leurs limites, surtout auprès des jeunes générations. « Les vraies émotions (en story-telling, ndlr) sont créées avec le cœur », précise Alix Traeger, qui avoue « aimer les gens ». Il faut idéalement interagir avec eux, vivre avec son audience et « les inspirer, partager des contenus qui remplissent leur vie de façon plaisante et utile. Les connaître, les comprendre. »

Sharon Horgan confirme et complète : « Les vraies émotions sont universelles, dans certaines limites culturelles. Et vous en trouver autant de négatives que de positives, pour attirer les lecteurs ou les spectateurs. Jouer avec elles peut être à risque. » Richard Brim, plus publicitaire au sens strict que les invités du jour, va dans le même sens : « On doit essayer de ressentir les sentiments des gens. Ce qui fait leur actualité. Les mots-clés. On doit se mettre dans la peau des audiences aussi parce qu’aujourd’hui, elles sont plus sensibles et plus résistantes aux mauvaises publicités. Avant, les consommateurs s’en foutaient d’être interrompus par la pub’, mais cela a changé et c’est devenu plus difficile. Surtout, nous devons essayer de rester léger, d’être fun avec nos pubs. » C’est un métier, paraît-il. Un métier compliqué où la publicité serait aussi un espace de plaisir et de décontraction « for the many people ».

L’influenceuse de masse donne sa méthode : « Je balance énormément de contenus car les attentes sont très variées. Je regarde au cas par cas ce qui fonctionne ou pas, depuis dix ans. Je m’adapte au fur et à mesure. « I learn on the way ». C’est devenu en effet aussi complexe de garder l’attention des followers actuellement. Et vu la concurrence dans ce domaine, il faut rester très motivée et très intéressée soi-même par nos sujets ! » Revenant à la publicité, le gourou de DDB rallie ses collègues pour prétendre « être un expert de la condition humaine. » Plus loin : « Vous utilisez les mots AI dans toutes les conversations, dans tous les speeches à Cannes. Mais vous ne pouvez pas "processiser" la création ni la gestion des émotions. Vous ne devez surtout pas essayer de tout rationaliser. Parfois, on ne sait pas pourquoi cela touche, cela marche. Et c’est très bien ainsi. Il faut de l’ouverture d’esprit et de la liberté d’expression – permise par nos clients. » 

Les spécialistes s’accordent aussi à dire qu’il est nécessaire d’adapter la sélection des émotions et leur usage en fonction des formats, des contextes, des sujets. Ainsi, entre des pré-rolls pub’ de 15" et des tutos’ de 30', les choix seront différents : de l’humour facile d’un côté et des réflexions plus essentielles de l’autre. Il sera surtout important d’éviter de rester "neutre" : un rapport récent de WARC, associé aux Lions, indique que la neutralité, pour ne pas dire l’indifférence, est la première réponse du consommateur à la publicité (System1 & Eatbigfish). Et donc, pas de mémo, pas d’attribution à la marque. Pas d’impact. Il est intéressant que les Lions se soucient aussi de l’effectiveness. Sans elle, la création reste un sujet BTB.

La productrice et écrivaine vit les mêmes problématiques et trouvent les mêmes solutions : « Finalement, on ne sait pas reproduire un succès avec garantie, dans un film ou un livre. C’est un peu comme les Lions. On ne comprend pas tout. Il faut en tout cas, comme pour une publicité, ne pas rester trop "safe", trop sage. La connexion mentale avec les audiences doit se baser sur des émotions qui sont "à risque", sinon ce sera plat. Que ce soit pour un film, une vidéo d’influence ou un spot TV de 30". À ce sujet, les marques doivent faire confiance aux producteurs de contenu quels qu’ils soient, et laisser faire, laisser aller. Ne pas brider. » 

Facile à dire à l’heure où le wokisme est bien installé, et la brand safety, probablement sujette à des exagérations asceptisantes, stérilisantes. « A côté de tous les sujets liés à la technologie, la compréhension des émotions est probablement le sujet le plus important. Faire réagir par des personnages, une histoires, des propos, et bien entendu, des contenus attractifs et distinctifs d’une marque, quelque part », résume Richard Brim. « Et se balader avec son carnet et son bic. » 

Comme pour Michel Audiard, Georges Simenon ou Alan Poe prenant note de tout, les mots de notre quotidien et les histoires les plus captivantes sont autours de nous. Il suffit de les resservir avec ce que ces contenus ont de plus amusant, de plus intéressant ou de plus touchant, et les consommateurs s’impliqueront dans ce sujet le plus captivant qui soit : eux-mêmes.
Michael Willems (dentsu Media Benelux) : "De nombreuses idées primées cette année sont media driven"
dentsu peut se targuer d’un festival porteur. Non seulement dentsu Creative a remporté un GP, mais le groupe a également annoncé l'ouverture de l'innovant dentsu Lab à Amsterdam. 

Le MD de dentsu Media Benelux, Michael Willems, nous a accordé une interview sous le soleil cannois exactement.
Qu’est-ce qui vous a frappé lors de cette édition ?

Je travaille pour dentsu Media, donc pour une agence média. Notre principale activité consiste à rendre les idées visibles au public. De nombreuses idées primées cette année comportent déjà un élément média en elles dès le départ, elles sont "media driven" : je ne peux que m’en réjouir.

Prenez par exemple la "Misheard Version" pour SpecSavers, le GP Audio & Radio. C'est une idée vraiment géniale : la musique est le vecteur du message, tout le monde peut chanter en même temps que la chanson. Par conséquent, vous n'avez pas besoin d'un budget média pour continuer à diffuser le message. Il en va de même pour la plateforme "It has to be Heinz", qui active la cible de façon unique, et pour le "Pub Museums" de Heineken. Dans les trois cas, il s'agit d'idées que l'on peut rencontrer dans la vie réelle et où le support est également le message. En tant que spécialiste média, cela me touche et correspond à tout ce que nous faisons au quotidien. Et, dans un autre registre, je ne peux qu'admirer "Women's Football" pour Orange : une publicité avec une technologie de pointe, un grand aperçu de la façon de faire de la publicité classique avec les nouvelles technologies. 

Dans la catégorie Creative Strategy, le GP a été décerné à "A Piece of Me" de vos collègues de dentsu Creative pour KPN. Qu'est-ce qui leur a valu cette récompense ultime, à votre avis ?

Ici aussi, c’est le média qui est le message. Plusieurs éléments ont joué un rôle dans ce prix. Tout d'abord, il y a l'insight qui sous-tend l'idée de la campagne : il s'agit d'un sujet qui concerne les gens. Nous connaissons tous ou avons tous des enfants pour qui la problématique de la campagne est reconnaissable. La stratégie est basée sur le "Better Internet", le pay-off de KPN qui peut être considéré de deux manières : non seulement un internet plus rapide, mais aussi meilleur pour les utilisateurs. 

Dans sa stratégie de communication, KPN n'est pas partie de la personne qui envoie l'image à la base, mais de celle qui la partage, trahissant ainsi la confiance de l'expéditeur. C'est en soi déjà un point de vue inhabituel que l’agence a traduit par un contenu qui fait partie de la culture populaire, ce qui ajoute à l'émotion et à l'impact du message. Il faut savoir que cette campagne n'a été possible que grâce à une coopération étroite et inclusive avec toutes sortes de partenaires sociaux. 

Tout au long du processus, la relation entre l'agence et le client a été essentielle, la confiance et la persévérance étant des exigences absolues. Après tout, ce type de campagne peut échouer à de nombreux moments et de nombreuses manières. J’ai cru comprendre que c’est ce qui s'est presque produit régulièrement, mais cela a pu être évité grâce à cette relation de confiance, justement. 

dentsu a également annoncé le lancement de son Lab à Amsterdam, dirigé par Sven Huberts. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Il s'agit d'un laboratoire de recherche et de développement créatif. L'objectif est de combiner notre expertise en matière de collaborateurs, de technologie et de business pour trouver de nouvelles solutions. Ce faisant, nous voulons être modernes. Nous voulons nous projeter jusqu'à cinq ans dans l'avenir. À mes yeux, tout ce qui va au-delà relève de la science-fiction.

Mais il arrive que les prédictions se réalisent, n'est-ce pas ?

Oui, parfois, mais revenez cinq ans en arrière. Personne ne parlait de GenAI ni de Chat GPT, c’était le métaverse qui était sur toutes les lèvres. Et regardez où nous en sommes aujourd'hui. Ainsi, avec le dentsu Lab, nous recherchons des collaborations avec des scientifiques, des start-ups, des universités... pour accélérer l'innovation, en collaboration avec les clients. Nous essayons également d'examiner l'impact de l'innovation sur la société, afin de définir des propositions de valeur pour le marché de demain. L'idée est née au Japon et nous allons maintenant la déployer dans un certain nombre de pays, y compris à Amsterdam. Il est particulièrement réjouissant que ce soit notre collègue Sven Huberts qui va diriger le projet.

Quelles sont vos priorités pour le semestre à venir ?

Nous travaillons sur la recherche et l'apprentissage automatique pour mieux planifier les médias en fonction de l'attention. Nous travaillons aussi assidûment sur la décarbonisation des médias afin d'aider nos clients à réduire les émissions de CO2 de leurs actions publicitaires et, enfin, nous mettons l'accent sur la data et les preuves scientifiques qu’elles permettent de générer.
Frederik Braem (Brightfish) : "Le festival est devenu un rendez-vous trop corporate"
En tant que représentant officiel des Cannes Lions pour la Belgique, Brightfish a sélectionné cette année encore les Young Lions pour défendre les couleurs du royaume dans les compétitions éponymes. Ils étaient quatorze lionceaux cette année, soit le maximum, puisqu'il y a sept compétitions. Si nos compatriotes sont rentrés les mains vides au niveau des prix, ils ont vécu une expérience inoubliable et rapporté un paquet de learnings. 

Frederik Braem, Director Creative Services, revient sur cette expérience ici.
Karen Corrigan (ACC) : "Il faut que les grandes idées créatives soient le résultat d'une vraie collaboration stratégique avec le client"
Nous avons profité de la présence de la Présidente de l’Association of Communication Companies à Cannes, et accessoirement fondatrice et CEO de Happiness, Karen Corrigan, pour l’interroger non pas sur les Lions, mais sur l’évolution douloureuse du rapport des annonceurs à la création : son rôle, son prix. Entre "price" et "prize", cela se discute.

L’interview est postée ici.
Close Encounters
Comme chaque année, notre reporter Wim Demyttenaere a parcouru la Croisette de long en large et hanté le Palais des Festivals à la recherche des festivaliers belges, afin de les interviewer le temps d'une courte vidéo et de poster le tout sur notre page Instagram.

Pour cette dernière, place à Steven de Deyne (Proximus), et Eduardo Marques (Publicis Groupe).
So long, see you next year !
La fine équipe de reporters de Media Marketing aux Cannes Lions, avec de gauche à droite : Bruno Liesse, Damien Lemaire, Wim Demyttenaere, Max Brouns et, last but not least, Griet Byl.

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