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Petra De Roos (ACC) : "82% des marketers considèrent la créativité comme un superpouvoir, mais en Belgique, ce pourcentage reste bloqué à 59%"

Dimanche 17 Novembre 2024

Petra De Roos (ACC) :

Tous les professionnels savent que l’ACC s’attaque de front à de nombreux chantiers. Et les missions de l'association sont d’autant plus importantes en cette période où les agences et leurs clients n’ont pas la vie facile, où la rentabilité est sous pression et où les défis (financiers) se multiplient. 

Pour en parler, nous avons organisé une rencontre avec ses dirigeants : Karen Corrigan, la présidente de l'ACC, sa Managing Director Petra De Roos et son CEO Johan Vandepoel.

Les sujets de conversation n’ont pas manqué. De l’étude de la WFA qui indique que 80% des annonceurs s’inquiètent déjà de la manière dont leurs agences utilisent l’IA, en passant par la chronique des "assiettes tournantes" que le patron de LDV, Harry Demey, nous a envoyée il y a quelques semaines... 

Et elles sont en effet nombreuses ces assiettes que les agences doivent sans cesse maintenir en mouvement, au risque de s'écrouler. Ainsi par exemple, la dernière étude de l'ACC sur la profitabilité des agences que nous avons pu consulter, nous apprend que la croissance est passée de 15% en 2022 à 1,6% en 2023.
 
En outre, le PBT (bénéfice avant impôts) a chuté à une moyenne de 8,5% pour toutes les agences en 2023, et même à 7% pour les agences de publicité full service... On s'éloigne de plus en plus des traditionnels 15% de marge que les agences considèrent comme indispensables à leur durabilité.
Alors que les tarifs des agences ont augmenté, les chiffres montrent que la rentabilité reste en deçà des attentes. Comment est-ce possible ?

Johan Vandepoel
: C’est dû au fait que les budgets sont restés à peu près les mêmes. Quand on sait que les salaires représentent environ 70% des coûts totaux d’une agence moyenne et qu’ils ont sérieusement augmenté en raison de l’inflation, on comprend tout de suite que la rentabilité est forcément sous pression si les budgets restent inchangés.
Le problème concerne l’ensemble du secteur ?
Karen Corrigan : En effet. C’est pourquoi notre priorité est d’examiner comment nous avons pu en arriver là ; examiner ce que les agences peuvent faire pour résoudre cette situation.

Nous nous sommes donc lancés dans une grande analyse interne, en étudiant tous les aspects du fonctionnement d’une agence. Ses résultats pourraient par exemple indiquer qu’une gestion financière plus stricte est nécessaire. 
Johan Vandepoel : Cette analyse interne visant à améliorer la rentabilité est une priorité. Car ces 15% que vous citez sont importants : vous avez besoin de cette marge principalement pour alimenter votre trésorerie afin de pouvoir attirer les talents, investir dans de nouveaux outils, et ainsi suivre l’évolution du marché et continuer à répondre aux besoins de vos clients. Je pense ici à la technologie ou à l’IA. 

Lorsqu’on est confronté à un budget disponible aussi réduit à une époque comme la nôtre, révolutionnaire sur le plan technologique, le problème est encore plus important. Nous voulons à tout prix briser ce cercle vicieux. 

Quelle sera votre approche ?

Karen Corrigan : Une fois notre analyse interne terminée, nous souhaitons ouvrir un débat constructif. Nous allons engager un dialogue avec l’UBA et travailler ensemble à la recherche d’une solution. Pas seulement avec l’UBA d’ailleurs, mais avec toutes les parties prenantes de notre secteur. À cette fin, nous envisageons d’organiser des tables rondes avec des seniors des agences et des annonceurs, suivies d’un programme de communication. L’objectif est que chaque annonceur puisse ensuite consulter son agence pour voir comment ils peuvent (encore) renforcer leur apport l’un envers l’autre. 

Nous avons défini quatre thèmes, dont le premier est celui des créateurs de valeur. La question est ici de savoir comment notre secteur peut apporter une valeur ajoutée. C’est d’ailleurs aussi mon thème de prédilection comme présidente de l’ACC pour les trois prochaines années.
Petra De Roos : Dans les Value Creators, le premier "C" est celui de la "client connection". Nous voulons exclure toute méfiance qui ferait obstacle à cette connexion efficace en menant un débat ouvert et transparent. Il ne faudrait pas que, dès qu’il est question d’argent, on évite de se parler.

Selon moi, la manière dont on s’est penché sur les pitches en début d’année est un très bon exemple de la façon dont on peut améliorer les choses. 
Des études ont montré que 83% des marges des agences sont absorbés par les pitches - ce qui, cela dit, est compréhensible quelque part, parce que tout le monde a besoin d’engranger du business, vu le contexte actuel décrit plus haut. Nous en avons discuté avec l’UBA et PitchPoint. Nous avons élaboré une approche constructive dans laquelle tout le monde collabore réellement pour améliorer la situation et la rendre plus vivable pour tous les acteurs concernés. 

Nous pouvons ainsi définir plusieurs autres chantiers pour, ensemble ou séparément, faire avancer le secteur.

Parmi les annonceurs qui peuvent lancer des pitches, on trouve les industries fossiles. Certaines organisations internationales comme Clean Creatives exhortent les agences à ne pas participer à leurs pitches. Qu’en pensez-vous ?

L’impact de notre industrie est une question qui nous préoccupe. Il y a quelques années, en collaboration avec toutes les parties prenantes, nous avons mis sur pied CommToZero. L’objectif était de sensibiliser et d’informer les membres de nos associations, de leur fournir les outils pour réduire les émissions et éviter le greenwashing. Aujourd’hui, cet ensemble d’outils de sensibilisation existe, mais au final, chaque entreprise doit décider elle-même de ce qu’elle veut en faire. Le rôle de l’ACC n’est pas de légiférer, mais bien d’informer ses acteurs de ce qui se passe.

Johan Vandepoel : Historiquement, nous disons que si ce n’est pas interdit, c’est autorisé. Nous nous alignons sur le Conseil de la Publicité… Ce n’est pas à l’ACC d’en rajouter une couche.

Parlant du Conseil de la Publicité, celui-ci a subi de nombreux changements au cours des dernières semaines. 

Jusqu’ici, le Conseil de la Publicité était une organisation essentiellement guidée par des préoccupations juridiques : son travail était très défensif, avec des chartes qui devaient passer par des processus complexes. Cette structure ne lui permettait pas d’être très réactif, ce qui est pourtant nécessaire dans le contexte actuel. 

Avec un nouveau président (Marc Frederix, ndlr) et de nouveaux statuts, le Conseil n’est plus aussi réactif aujourd’hui, et sa mission devient proactive. 

Il adopte également une approche beaucoup plus inclusive des parties prenantes : la structure est désormais organisée de manière telle qu’elle exige une plus grande implication de tous les acteurs, y compris ceux de la communication (marketing). Le Conseil sera ainsi beaucoup plus présent dans le secteur que par le passé.  

Enfin, le Conseil met davantage l’accent sur les valeurs de notre profession. Sa politique intégrera beaucoup plus des sujets tels que la durabilité, la diversité et l’inclusion. 

Il a également été décidé d’impliquer davantage les responsables des médias, notamment en resserrant les liens avec le CIM. Cela s’explique en grande partie par le fait qu’il s’agit souvent des mêmes personnes.

Quelles sont vos priorités pour les prochains mois ?

Petra De Roos : Le 4 novembre, nous avons organisé le C-forum pour les dirigeants d’agences, avec Jon Evans (System 1, ndlr) qui leur a parlé du coût de la pub ennuyeuse. L’objectif de cette initiative était permettre à ces dirigeants de discuter entre eux, mais surtout d’attiser leur foi dans la créativité. C’est une nécessité quand on sait que, dans le monde, 82% des marketers considèrent la créativité comme un superpouvoir, alors qu’en Belgique, ce pourcentage reste bloqué à 59%.

Notre deuxième priorité porte sur les formations au sein des agences. Celles-ci peuvent concerner une variété de sujets, du management à la rentabilité de l’IA. Nous avons parmi nos membres des entreprises de grande taille mais aussi de petite taille, et il est important que le secteur conserve des standards élevés. C’est possible avec des formations qui permettent d’améliorer les compétences appropriées.

Dernière question. La consolidation est déjà à l’ordre du jour aujourd’hui. Cette tendance pourrait également avoir un impact sur le PBT dont nous avons parlé au début de notre entretien ?

Johan Vandepoel : La consolidation est un moyen pour les agences de se renforcer afin d’être ou de rester le sparring partner essentiel de leurs clients, en rassemblant toutes les compétences pour générer plus de valeur ajoutée pour ceux-ci. Elle résulte de la complexité croissante de la demande. Cette tendance se matérialise selon différents modèles - en formant un conglomérat ou en attirant des capitaux privés. 

Karen Corrigan : On assiste en fait à deux mouvements concomitants. D’une part, les groupes médias regroupent tout sous un même toit pour des raisons d’efficacité. De l’autre, les agences cherchent à construire des écosystèmes, afin de susciter une concurrence de grande valeur et une masse critique qui leur permette de répondre au plus grand nombre de demandes possible. C’est nécessaire en cette période de défis comme on l’appelle, mais nous devons nous engager dotés d’un winner spirit. Car la positivité est aussi un levier économique.

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