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L'alibi du colibri, par Eric Hollander & Stéphane Buisseret (Air)

Mardi 31 Janvier 2023

L'alibi du colibri, par Eric Hollander & Stéphane Buisseret (Air)

Aujourd’hui, tout le monde connait la pseudo légende amérindienne du colibri. Pour rappel, survient un jour un grand incendie de forêt. Tous les animaux fuient, en panique. Seul un petit colibri fait d’inlassables va-et-vient entre la rivière voisine et la forêt en feu sur laquelle il déverse les quelques gouttes que peut contenir son bec. Au tatou qui lui demande s’il compte sérieusement régler le problème de cette manière, le colibri répond : « je ne sais pas, mais je fais ma part ». 

En exclusivité, voici donc la réponse trop méconnue du tatou, un animal lucide et réaliste qui ne s’en laisse pas conter. 

« Mais non, tu ne fais pas ta part, petit colibri. Pas du tout. Ce que tu fais est quasiment inutile et dépourvu d’effet. Non seulement tu le sais, mais en plus t’en vantes, tu nous fais la morale, tu te donnes bonne conscience et tu nous culpabilises, avec ton "je fais ma part" qui induit un "faites la vôtre", comme si on allait résoudre le problème climatique en faisant tous trois fois rien ! Mais sais-tu que l’action individuelle et non-concertée n’a que peu d’efficacité ? As-tu entendu parler de l’étude du cabinet Carbon4, qui figure parmi les meilleurs experts en décarbonation ? Elle analyse l’impact réel des gestes individuels sur l’empreinte carbone des Français, mais tout porte à croire que les chiffres sont identiques dans la forêt belge. En résumé et à la grosse louche, pour un Français moyen, l’impact probable des changements de comportements individuels pourrait stagner autour de 5 à 10% de baisse de l’empreinte carbone. »

Ce n’est pas du tout négligeable, et n’en profitez pas pour remonter dans votre 4X4 en vous disant que ça ne sert à rien de vous geler chaque matin sur votre deuxième vélo électrique (le premier, on vous l’a volé, comme 100.000 autres vélos chaque année en Belgique). Mais même en montant ce chiffre à 20% comme le font les écologistes les plus optimistes, la part restante de la baisse des émissions relève d’investissements et de règles collectives qui sont du ressort de l’État et des entreprises. 

L’étude concluait dès 2020 : « Il est donc vain, et même dangereusement contre-productif, de prétendre résoudre la question climatique en faisant reposer l’exclusivité de l’action sur les seuls individus. Le problème est systémique ; la construction d’une solution viable et crédible ne peut faire l’économie d’une action collective forte, qui devra passer par la mise en mouvement de tous, à la mesure des efforts déployables par chacun. »

Greenwashing et colibri

Mais il y a plus sournois. La parabole du colibri est surtout devenue un formidable alibi pour les marques qui pratiquent le greenwashing. 

En survalorisant des arguments à faible impact, elles tendent, elles aussi, à faire croire que leurs petits gestes suffisent. Et sur le mode de la réponse du tatou au colibri, on a envie de leur dire: « Tu nous dis que tu fais ta part, mais tu pourrais faire en réalité beaucoup plus. Tu t’agites beaucoup, tu fais du bruit avec tes ailes qui battent 200 fois par seconde, mais elles te permettent surtout de faire du sur-place, voir même de reculer (authentique : le colibri est le seul oiseau capable de voler en reculant ; par respect pour ce métier qu’on aime et qui nous a nourris, on ne poussera pas la métaphore plus loin…). 

Ah si, ami colibri, un dernier conseil. Il paraît que ton cerveau représente plus de 4% de ton poids, c’est même le plus grand ratio chez les oiseaux. Pourquoi ne pas t’en servir pour imaginer des stratégies nouvelles, plus inventives et plus collectives que tes trois petites gouttes d’eau ? Convainc tes copains colibris. Réfléchissez ensemble, innovez. Mobilisez les pélicans - tu as vu leur bec ? Et souviens-toi : personne n’a jamais éteint un incendie au compte-gouttes.

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