Nl

BRANDS

José Fernandez (D'Ieteren) : "Ce qui se passe chez Meta m'inquiète"

Dimanche 16 Février 2025

José Fernandez (D'Ieteren) :

Au lendemain d’un Salon de l’auto très fructueux pour D’Ieteren Automotive, nous avons rencontré José Fernandez, Chief Customer Experience, Marketing & Digital Officer de l’entreprise depuis cinq ans déjà.
 
Il a évoqué pour nous la dynamique commerciale, le gros succès du Salon de l’auto, l‘évolution des véhicules électriques, les dynamiques de concurrence qui animent le secteur au niveau mondial, la mobilité durable et les nombreuses solutions offertes par le groupe dans ce domaine, mais aussi ses craintes par rapport à la brand safety sur les réseaux sociaux et la faiblesse des inventaires et produits digitaux locaux.

Bref, un entretien très riche, comme toujours avec lui.  
 
Quel bilan tirez-vous de l’année écoulée et du Salon de l’auto, qui était de retour à Bruxelles après un an d'absence ?
 
En ce qui concerne D’Ieteren Automotive, les résultats ne sont pas encore publiés, mais l’année 2024 a été très bonne au niveau financier, bien que plus compliquée au niveau commercial, dans le sens où nous avons constaté une baisse des contrats clients, comme le reste du secteur qui était en recul. Dans l’automobile, il existe plusieurs manières d’appréhender le marché, à partir des immatriculations, mais aussi des contrats. Entre la conclusion du contrat et l’immatriculation, qui a lieu au moment de la livraison, il s’écoule souvent un délai important. De six à neuf mois, et jusqu’à deux ans durant le Covid… Donc, nous nous basons sur les contrats clients, dont les chiffres sont actualisés dans le mois par la Febiac, pour mesurer notre dynamique commerciale.
 
En 2024 nous avons constaté le début d’une baisse du marché assez importante, que l’on sentait venir, et qui est liée à la dynamique du véhicule électrique. Au niveau du B2B, l’électrique est une réussite, pratiquement 70% des véhicules de flotte sont électrifiés aujourd’hui. Le marché belge fait d’ailleurs figure d’exemple en Europe. En revanche, en ce qui concerne le privé, l’électrique représente en moyenne un peu plus de 5% de pénétration. Clairement le particulier n’a pas encore adhéré, essentiellement pour une raison de prix et d’offre. Les petits EV, qui correspondent à cette cible, sont encore peu disponibles, le secteur restant plutôt dans le haut de gamme. Une autre barrière est l’autonomie, mais celle-ci est en train d’évoluer très vite. Beaucoup de véhicules ont maintenant des autonomies (WLTP) supérieures à 600 km.
 
La façon dont le marché va évoluer reste donc un point d’interrogation. Mais le frémissement que nous avions malgré tout senti, s’est concrétisé lors du Salon. 
 
Un Salon qui était de retour à Bruxelles après un an d'absence et qui a visiblement été un succès ?
 
Bruxelles est probablement devenu le plus grand Salon en Europe. Plus de 90% du marché était représenté, avec 63 marques, dont beaucoup de nouvelles qui n’avaient jamais été présentes sur le marché belge. Il a accueilli 307.000 visiteurs, nettement plus qu’en 2023, parmi lesquels énormément de particuliers. A l’inverse d’autres, c’est un Salon commercial. Les directions mondiales et européennes étaient présentes et ont été impressionnées par cette dynamique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. 
 
Au terme de cet événement, le nombre de leads et la génération de contrats derrière est en forte croissance par rapport à 2023 et 2024, pratiquement sur toutes nos marques. Avec parfois des hausses à trois chiffres pour certaines. L’intérêt pour l’électrique a légèrement augmenté, mais on reste à plus de 70 ou 75% de demande d’offres sur des véhicules thermiques pour le particulier. Le reste, c’est essentiellement de l’hybride ou de l’électrique. Mais ce qui a beaucoup changé par rapport à 2022, c’est que la plupart des constructeurs, et nous en particulier, proposaient plus de véhicules de plus petite taille, à des prix beaucoup plus accessibles, en ce compris de nouveaux véhicules électriques.
 
Tout cela rend notre début d’année vraiment excellent. Nous vendons à nouveau des voitures, mais nous restons prudents, parce que la dynamique du Salon est parfois un feu de paille… Il y a quelques mois, nous nous attendions tous à une année 2025 extrêmement compliquée, avec une poursuite de la baisse du marché. Nous verrons si nos prévisions étaient fausses. 
 
Le Salon était aussi l’occasion de montrer l’ensemble de vos activités ?
 

Effectivement, nous y étions également pour promouvoir notre écosystème unique de mobilité sur l’ensemble de nos produits et services. Avec D’Ieteren Energy, notre pack de solutions de recharge sur mesure, la Microlino, résultat d’une approche innovante, à la fois plus écologique et moins encombrante que les voitures mais plus confortable qu’un deux-roues, ou encore Lucien, notre réseau de distribution de vélos. Le leasing vélo se développe d’ailleurs énormément et nous avons une offre qui correspond aux besoins de la population. 
Pour en revenir à l’électrique, vous sentez une évolution dans la perception de l’électromobilité ? 
 

Je suis totalement convaincu que c’est la bonne piste pour l’industrie automobile, et pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Dès sa mise sur la route, un EV produit zéro gramme de CO2, pour autant qu’il soit effectivement chargé en énergie verte, largement disponibles en Belgique. Chez D’Ieteren, la décarbonation est une dimension très importante.
 
Aujourd’hui la Belgique pourrait supporter un parc de 2,5 millions d’EV. Actuellement, tous véhicules confondus, nous sommes à 5,8 millions, et la part de l’électrique reste inférieure à 10%. Il y a donc de la marge. Mais c’est vrai que l’électromobilité en ville, c’est compliqué. Comment recharger quand on vit en appartement ? Il faut s’atteler à tout ça. L’évolution dépend aussi des politiques : le gouvernement flamand a fait ce qu’il faut pour accélérer l’électromobilité ; 70% des bornes électriques en Belgique sont en Flandre, alors qu’à Bruxelles et en Wallonie, ce n’est que 15% dans les deux cas. 
 
Les possibilités de chargement font partie des freins, tout comme le prix et l’autonomie. Et il y a des hésitations de la part des constructeurs. La CE a fixé la fin des moteurs thermiques à 2035, mais l’adoption du véhicule électrique n’étant pas aussi forte que ce que pensaient les constructeurs, certains ont reculé la date de leur passage au tout électrique. Comme cela ne va pas assez vite dans l’électromobilité, cela crée aussi des difficultés industrielles. La fermeture de Audi à Forest en est une des conséquences. Il y a une surproduction et une surcapacité en Europe. Et il y a la concurrence de nouveaux entrants, comme les véhicules chinois, bien présents au Salon. 
L’électrique oriente-t-il votre travail au niveau des stratégies ? 
 
Nous sommes très contents d’avoir aujourd’hui près de 30 modèles électrifiés différents au sein de toutes nos marques. Nous sommes leader du marché dans l’électrique en Belgique, avec plus de 20% de part de marché. Cela nous permet d’orienter toutes nos stratégies B2B. 
 
Plusieurs choses viennent se greffer sur l’électrique. Notamment le financement. Volkswagen D’Ieteren Finance a développé des produits spécifiques pour nous aider à marketer correctement ces produits et à les financer en leasing opérationnel par exemple, ou en leasing privé pour le particulier. Nous venons de lancer Easy Lease. C’est du private lease destiné uniquement aux particuliers. Le principe est de retirer certains éléments du contrat de leasing et de laisser la liberté au client de choisir, par exemple, s’il veut ou pas changer ses pneus, et de le faire où il veut. Cela donne des valeurs faciales très faibles. Chez SEAT, nous avons un véhicule à 99 euros par mois en leasing opérationnel avec cette formule. Cela séduit en particulier la Génération Y, qui préfère louer qu’acheter. 
 
Un élément de notre stratégie est le cycle de vie. Les EV vont vivre beaucoup plus longtemps que les véhicules thermiques. Des tests montrent qu’ils peuvent rouler jusqu’à un million de kilomètres, c’est une technologie très robuste. Notre ambition est d’avoir un cycle vertueux dans lequel l’EV pourrait rester sur le marché. Cela a aussi un impact en termes de durabilité.
Où avez-vous porté vos efforts publicitaires en 2024 et quel sera votre focus marketing cette année ?
 

Nous n’avons globalement pas investi beaucoup plus qu’en 2023, nous sommes restés relativement stables sur l’ensemble de nos budgets. Mais avec le Salon qui arrivait, nous avons été très présents au niveau media sur la fin de l’année avec un indice d’agressivité supérieur à notre part de marché. Je précise au passage que celle-ci est restée stable en 2024 : nous terminons l’année à 23,8% contre 24% en 2023. Ce sont nos deux années record depuis 40 ans. Nous sommes toujours dans une phase de croissance importante.
 
Nous avons aussi investi plus spécifiquement sur certaines marques comme Audi, qui ne faisait plus de campagne média depuis trois ans. Nous avons recommencé de manière assez forte en télé, cinéma, outdoor, radio... Et également avec des campagnes plus tactiques, ce qui peut paraître étrange pour une marque premium. Pour l’Audi Q3 nous avions une campagne tactique annonçant les conditions Salon. Avec des remises supérieures à 10.000 euros sur un véhicule comme celui-là, cela a très bien fonctionné. Et il y avait surtout le lancement de la Q6, de l’A6 et de l’A6 Avant, qui sont de magnifiques produits et qui ont très bien marché au Salon, y compris chez le particulier, alors que ce sont des véhicules très positionnés fleet. Cela explique notamment l’augmentation d’une partie de nos investissements médias, et également Volkswagen ou Skoda, qui ont été très présents sur la fin de l’année et début janvier. Nous avons également investi pour positionner le produit financier Easy Lease. Globalement, nous continuons à faire beaucoup de TV et d’affichage, très porteurs pour l’image.
 
En qu’en est-il de vos investissements en digital ?
 

C’est bien sûr une dimension très importante, puisque le digital représente près de la moitié de notre mix. Les médias sociaux sont des canaux très générateurs de leads, mais il va falloir surveiller l’évolution de ces plateformes en termes de brand safety, après les déclarations ubuesques de Zuckerberg. 
 
Nous avons arrêté tous nos comptes sur X depuis très longtemps et nous n’y retournerons plus, c’est certain. Mais ce qui se passe chez Meta m’inquiète. Au niveau entreprise et aussi au niveau du secteur. 
 
En tant que membre du comité exécutif de l’UBA j’en discute également avec nos confrères. C’est compliqué : je suis très pragmatique et je sais ce que nous rapporte Meta aujourd’hui en termes de qualified leads… On ne peut pas s’en passer, et il n’y a pas d’alternative. Malheureusement. 
 
Pour le moment, nous n’avons pas de gros problèmes sur Meta, mais si demain nous devions vivre une situation comparable à celle que nous avons connue sur X, où des marques sont parfois positionnées à côté de discours racistes ou d’insultes, nous ne resterons pas dans ce jeu. Je pense que la prise de position de Zuckerberg est extrêmement opportuniste, très cynique et commerciale. Nous devrons néanmoins restés attentifs.
 
Nous restons très investis sur les médias locaux, mais ceux-ci sont encore loin de pouvoir concurrencer les réseaux sociaux. 
Que représente la part des médias locaux dans l’online ? 
 

Elle tourne autour de 20%. Les inventaires locaux doivent être développés, nourris, et aussi accessibles en termes de prix. À 30 euros le CPM ou au-delà, on n’est plus du tout compétitif. C’est la difficulté de l’équation : quelle est la formule qui permet de maintenir des niveaux d’investissement marketing suffisant sur les médias locaux en tenant compte de l’obligation de résultats des annonceurs ? Je peux investir sur des médias internationaux au tiers ou au quart du prix proposé en local. Même si le rendement est un peu moins bon, les audiences un peu moins premium, in fine, je m’y retrouve beaucoup plus. Il n’y a pas réellement d’alternative aujourd’hui en Europe, et certainement pas en Belgique. 
 
Un mot sur la situation du groupe VW ?
 

La fermeture de l’usine Audi à Forest a un impact important sur le plan social, mais pratiquement pas sur le plan commercial. Elle produisait la Q8 e-tron, dont nous avons vendu énormément d’exemplaires en Belgique, grâce à la part très élevée des véhicules électriques dans les flottes. Mais nous n’en vendions plus beaucoup et avec l’arrivée de l’A6 et de la Q6, qui sont un peu en-dessous en termes de positionnement, mais qui correspondent tout à fait aux besoins des clients, cela va encore baisser.
 
Ce qui aurait pu nous impacter, c’est la situation en Allemagne, avec la fermeture annoncée de trois usines. Il faut rappeler que le groupe Volkswagen n’avait jamais fait de plan social, n’avait jamais licencié de gens… Au niveau mondial, VW prend de plein fouet la concurrence chinoise, mais chez nous celle-ci est quasi inexistante. Même avec Polestar et Volvo, qui sont chinois, leur part de marché est à moins de 10%. Le problème majeur pour l’industrie automobile, c’est que les marques chinoises se vendent beaucoup en Chine, qui était le premier marché des constructeurs européens, et en particulier les constructeurs allemands. Il y a donc des questions à se poser au niveau de cette dynamique mondiale. C’est le principal risque pour les constructeurs allemands. Cela peut nous toucher : si la production se réduit, nous aurons peut-être moins de disponibilités. Mais nous en sommes encore très loin. 
 
Parlons de votre focus sur le développement durable et la mobilité ? 
 

Cela reste totalement notre cheval de bataille. Il y a cinq ans, nous avions développé  une vision stratégique qui ambitionnait d’avoir 30% de chiffre d’affaires en provenance du secteur non automobile d’ici 2025, avec d’autres produits de mobilité. Nous avons développé le pôle énergétique, les vélos, la mobilité partagée avec Poppy et la mobilité payante avec Taxi Vert que nous avons racheté il y a deux ans. Aujourd’hui, ce pôle représente à peu près 10% de notre chiffre d’affaires. 90% vient encore de l’automobile. C’est quelque chose que nous n’avions pas prévu, et cela explique cet écart par rapport à nos prévisions : nous n’avions pas vu venir l’augmentation du chiffre d’affaires de la voiture, qui était en train de décroître il y a cinq ans, et qui aujourd’hui continue de croître. 
 
Fin 2023, nous avons aussi arrêté certaines activités, dont celles de Lab Box, qui était notre studio d’innovation. Il y avait là un portefeuille de produits et services que nous avons restructuré. Certains ont disparu et d’autres ont été intégrés dans le business et développés. C’est le cas de D’Ieteren Energy où travaillent aujourd’hui plus d’une centaine de collaborateurs et dont le chiffre d’affaires est en croissance. C’est aussi Lab Box qui nous avait permis de développer Poppy, que nous avons fait évoluer en nous concentrant uniquement sur Bruxelles et Anvers qui offrent le potentiel nécessaire. Nous savons désormais que le concept de véhicule partagé ne fonctionne que dans les grandes villes. 
 
La stratégie reste la même pour le futur ? 
 
Les équilibres entre les différents pôles ont un peu évolué. Ce qui a changé, c’est que nous ne sommes plus dans le développement pur de start-ups. Dans notre plan à cinq ans, nous voulons consolider les activités de mobilité créées : D’Ieteren Energy en premier lieu, Lucien qui se développe très bien avec 25 points de vente, mais aussi Poppy et Taxis Verts, qui transportent des gens avec ou sans chauffeur et qui sont donc des activités sœurs. En 2024, nous avons aussi relancé Collecto, un service qui permet de voyager de nuit en bus à Bruxelles de manière sûre. Cela attire énormément les jeunes. Nous accompagnons au niveau marketing toutes ces initiatives. 

Archive / BRANDS