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Quelles leçons marketing tirer de la Chine pour combattre le Covid-19 ?

Mardi 31 Mars 2020

Quelles leçons marketing tirer de la Chine pour combattre le Covid-19 ?

Il y a quelques jours, Kantar Belgium organisait un webinaire intitulé "Manage your brands in challenging times". L’objectif : aider les annonceurs à faire face à la pandémie du Covid-19. La première partie de cette session était animée par Thomas Piachaud, Director Consulting chez Kantar China. Il a détaillé les enseignements que les annonceurs d’autres pays pouvaient tirer de la façon dont la Chine et les marques chinoises ont géré la crise. 

Comme nous le savons tous, la Chine est le pays où le coronavirus a été détecté pour la première fois chez des humains en décembre dernier. L’origine de la pandémie mondiale que nous connaissons aujourd’hui est située dans la ville de Wuhan, qui compte près de 9 millions d’habitants. Fin mars, les chiffres officiels font état de 81.439 cas d’infection et quelque 3.300 morts en Chine, où l’épidémie semble enrayée et où l’économie amorce une reprise. Thomas Piachaud, qui vit à Shanghai, nous brosse un portrait des derniers mois, et plus particulièrement de la manière dont les annonceurs de divers secteurs ont réagi à la plus grande crise sanitaire et économique depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le contexte chinois

Piachaud débute son compte rendu par une description du contexte de l’épidémie et de l’économie chinoise. Selon lui, l’histoire nous apprend que l’économie se redresse toujours après une crise, mais cette crise n’est pas comparable aux épidémies précédentes qui ont frappé la Chine, comme celle du SRAS en 2003. 
 
À l’époque, l’économie chinoise était axée sur la production, alors qu’elle se concentre aujourd’hui sur les services, à l’instar de la plupart des économies occidentales. Qui plus est, la grande puissance mise davantage sur le digital que la plupart des autres pays. Sur une population de 1,4 milliard d’habitants, elle compte 829 millions d’internautes (taux de pénétration de 60%), 817 millions d’utilisateurs de l’Internet mobile (58%) et 583 millions de personnes effectuant des paiements mobiles (42%). À titre de comparaison, aux États-Unis, ce dernier pourcentage n’est que de 19%. Il s’agit d’un écosystème différent, où les paiements en espèces sont beaucoup moins fréquents. 
 
D’autre part, les grandes plateformes telles que Google, Amazon et Facebook ont une présence très limitée en Chine, qui possède ses propres géants du Web comme Alipay et WeChat. Autrement dit, l’infrastructure en ligne est très locale et peut être rapidement adaptée sans avoir à tenir compte des directives ou des répercussions mondiales. 
 
Dans sa présentation du contexte chinois, Piachaud pointe encore trois éléments spécifiques qui ont permis de faire face à la crise. Tout d’abord, il y a la diversité des modèles de vente au détail tels que les "front warehouses" (d’e-commerce), un large éventail de plateformes de livraison de supermarchés, la livraison par des tiers et les modèles de libre-service. Par conséquent, le dysfonctionnement éventuel d’un de ces modèles ne provoque pas la paralysie du marché. Ensuite, il existe une infrastructure très élaborée de chaînes d’approvisionnement qui permet d’assurer en toutes circonstances la distribution des marchandises. Enfin, la Chine possède la résilience et les moyens nécessaires pour remédier rapidement aux problèmes. Il suffit de penser aux hôpitaux qui ont pu être construits en seulement dix jours. Un autre point important est le timing de l’épidémie. La principale propagation a eu lieu début janvier, juste au moment où les déplacements étaient très nombreux (+/- 3 milliards de trajets) en raison des congés et du Nouvel An chinois. Le nombre de contaminations a donc augmenté très rapidement en Chine. 

Une approche différente selon la catégorie

Piachaud décrit ensuite les différentes phases chez les consommateurs : sensibilisation, haut degré de vigilance et désir de contrôle, et enfin tranquillité d’esprit. Pendant cette période, leurs valeurs et comportements ont évolué. D’où la nécessité pour les marques de cerner les implications de ces changements et de déterminer les mesures à prendre à court, moyen et long terme. 
 
Notre expert de Kantar classe les différents secteurs en trois grandes catégories. La première qu'il nomme "digitally nimble", englobe notamment les services financiers, les épiceries, les acteurs de l’alimentation emballée et les services de santé. Ces secteurs doivent s’adapter à la nouvelle réalité digitale et faire preuve de résilience à court terme. Pour garantir leur succès à long terme, il leur faut absolument veiller à garder leur pertinence. 
 
La deuxième catégorie, baptisée "occasions reinvented", inclut les segments suivants : restaurants, boissons alcoolisées, divertissement, mobilier, appareils électroniques, etc. Ils doivent prendre conscience des modifications comportementales des consommateurs et s’adapter à la nouvelle donne. 
 
Pichaud appelle la troisième catégorie "the long game". On y trouve des secteurs où l’expérience client joue un grand rôle et qui sont relégués au second plan à l’heure actuelle, comme les produits de luxe, l’automobile et le tourisme. Ils doivent œuvrer à maintenir la pertinence de leurs marques et chercher des opportunités à long terme. 

FMCG, alcool, assurances, mobilité…
 
Piachaud expose ensuite la situation de certains secteurs spécifiques en épinglant les meilleures pratiques et les grandes tendances. Dans le secteur FMCG, il constate que les détaillants se sont davantage concentrés sur la proximité et le numérique (magasins de quartier, commerce électronique social, distributeurs automatiques, etc.). En général, les marques essaient de maximiser l’impact digital et de réduire les contacts physiques. 
 
Les secteurs liés à l’hygiène et à la santé ont lancé plusieurs innovations et boosté la vente de produits spécifiques. Par exemple, les marques de maquillage ont expliqué comment on pouvait avoir une apparence soignée tout en portant un masque et de nouveaux gels pour les mains ont été commercialisés. 
 
En outre, on a assisté à une hausse de la demande de produits liés à la prévention, au nettoyage et à la purification de l’air. Même constat dans le secteur alimentaire concernant des produits tels que les aliments frais, les appareils électroménagers, les ustensiles de cuisine et les recettes. Des compagnies d’assurances comme Ping An et China Life ont ajusté leurs polices en y ajoutant une assistance Covid. 

Les marques d’alcool ont quant à elles dû revoir entièrement leur approche commerciale, étant donné l’absence de points de vente physiques et l’impossibilité pour les consommateurs de boire de l’alcool dans un contexte social. Diageo prévoit des pertes pouvant aller jusqu’à 220 millions d’euros. 
 
Le défi pour les annonceurs est de maintenir à la fois la pertinence de la marque et la "occasion relevance". Les réponses consistent à miser sur le digital, à concevoir de nouveaux scénarios où la marque peut jouer un rôle important et à continuer à soutenir les partenaires et distributeurs par des prêts à court terme, une flexibilité de paiement, etc. Aux dires de Piachaud, ce dernier point est nécessaire dans tous les secteurs qui s’appuient sur de petites entreprises. Il cite le cas de la bière Harbin d’AB InBev. La marque a vite compris qu’elle ne pourrait plus remplir sa proposition "Happy Together" à court terme, et a donc décidé de se concentrer sur le long terme. Elle a créé des affiches avec des conseils et des règles sur la manière de réduire l’impact du virus. En même temps, elle a fait passer le message que le respect collectif de ces consignes permettrait de revenir plus rapidement à la normale et d’être à nouveau "heureux ensemble".

Piachaud estime que les constructeurs automobiles sont placés devant des défis aussi vastes que complexes. Étant donné que Wuhan est en Chine ce qu’est Detroit aux États-Unis, la ville constitue un débouché important pour de nombreuses marques. Au cours de la première moitié de février, le secteur automobile en Chine a été confronté à une baisse de 92% des ventes. Piachaud constate trois grandes tendances en matière de mobilité : la mobilité partagée a énormément augmenté, car les gens évitent les transports publics comme la peste ; des voitures autonomes sont utilisées pour livrer des denrées alimentaires, notamment par la société Meituan ; et des marques comme Volkswagen ont lancé des showrooms en réalité virtuelle. 
 
Enfin, les grandes marques chinoises ont réaffirmé leur leadership dans leur catégorie grâce à une approche centrée sur l’homme. Le géant du commerce électronique Alibaba a créé un système d’IA capable de diagnostiquer le Covid-19 en 20 secondes, avec un taux de fiabilité de 96%. Taobao, l’eBay local détenu aussi par Alibaba, a lancé la plateforme "Helping farmers by eating" qui propose des émissions en direct faisant la promotion des produits agricoles. Enfin, Luckin Coffee, le Starbucks chinois, a fourni du savon antibactérien pour les mains et des produits désinfectants avec ses livraisons de café, et l’a ajouté à ses distributeurs automatiques. 

Piachaud a conclu sa présentation en affirmant que, depuis la mi-mars, soit plus de trois mois après le déclenchement de l’épidémie, l’économie chinoise rebondit et la plupart des secteurs ont repris leurs activités, avec des fluctuations selon les catégories : services financiers (96%), alimentation et boissons (82%), hôtels (82%), retail (74%), PME (60%) et grandes entreprises (95%). « Les embouteillages sont de retour, les rues sont de nouveau bruyantes et on s’est remis à construire de plus belle », constate Piachaud. À vous de juger s’il s’agit là d’une nouvelle rassurante ou déprimante…

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