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Pourquoi devrait-on s'intéresser aux NFT ?

Mercredi 3 Novembre 2021

Pourquoi devrait-on s'intéresser aux NFT ?

En pleine hype des cryptomonnaies, après avoir essaimés dans de multiples secteurs - du gaming à l'art, en passant par l'événementiel, l'esport et même le cinéma - les NFT intéressent de plus en plus de marques. Pourquoi, comment et pour quel(s) usage(s) ? On vous explique tout. 

Le 25 février dernier, Christie's mettait pour la première fois en vente une oeuvre 100% numérique, le désormais célèbre "Everydays : the First 5 000 Days". Un assemblage de dessins et d'animations réalisés quotidiennement 5.000 jours d'affilée et formant une immense mosaïque colorée dont les dimensions se mesurent en pixels. Son auteur, l'Américain Beeple, de son vrai nom Mike Winkelmann, fait désormais partie des trois artistes les plus chers au monde de leur vivant, juste derrière David Hockney et Jeff Koons. Et pour cause, "Everydays" a été adjugée $69,3 millions. 
Mais comment acquérir l'exclusivité d'une oeuvre virtuelle, nous demanderez-vous ? Jusqu'ici, la propriété d'une oeuvre face à de potentielles copies se vérifiait toujours par deux éléments : la signature de l'artiste et le certificat d'authenticité, par définition liés à l'objet matériel. Pour l'art virtuel, Mike Winkelmann a trouvé la solution : encrypter sa signature dans le fichier même en utilisant la blockchain, et ainsi intégrer des données uniques au fichier qui empêchent sa duplication. C'est le principe du NFT, le token non fongible : un certificat d'authenticité d'une oeuvre numérique hébergée sur la blockchain. Ces certificats sont infalsifiables. Une fois acquis, ils peuvent être échangés ou cédés en toute transparence et de façon sécurisée. Chaque NFT est ainsi unique, traçable, authentifiable, et permet d'être propriétaire de tout ou partie d'un actif numérique. 

L'essor des NFT est lié à celui des cryptomonnaies. Monitorées par des protocoles peer-to-peer, celles-ci s'achètent et se vendent sur Internet au titre d'une unité, laquelle se définit par des données bien rangées, formant la blockchain. Et c'est précisément cette technologie qui permet aux NFT d'exister. Une tendance dans la tendance, en quelque sorte. Laquelle s'est matérialisée par un autre buzz artistico-geek : quelques jours après la vente record de Christie's, un collectif du nom de Burnt Banksy détruit en direct sur Twitter "Morons", une sérigraphie de Banksy d'une valeur de $95.000. 
Leur but ? La numériser pour transposer son actif financier dans le monde digital sous la forme d'un NFT. En réalité, derrière Burnt Banksy, on retrouve la main de la société de blockchain Injective Protocol, qui avait acheté à une galerie parisienne le tirage authentique de "Morons". Son objectif : booster sa notoriété et populariser les NFT. Au final, le jeton non fongible issu de la crémation du Banksy sera mis aux enchères sur la plateforme d'échanges OpenSea. Pour l'obtenir, son acquéreur a déboursé 228,69 ETH (pour Etherum, la cryptomonnaie la plus capitalisée après le Bitcoin). Soit un peu plus de $400.000.

Le site spécialisé Connaissance des Arts disait de cet « autodafé aux vertus quasi alchimiques » qu'il s'inscrivait dans le processus désormais classique de désintermédiation. L'artiste britannique Damien Hirst qui expérimente également les NFT, évoque le passage d'un système centralisé - les galeries - à un système décentralisé. C'est l'idée derrière "The Currency", une collection de pointillés peints à la main sur papier A4. Hirst projette d'en vendre 10.000 en tant que NFT incluant également l'original sur papier : « Au bout d'un mois, l'acheteur doit décider s'il souhaite échanger l'un pour l'autre, il ne peut en garder qu'un. Si le NFT n'est pas échangé au bout d'un an, je détruis l'oeuvre. C'est une expérience très excitante qui permet de voir comment les prix réagissent à la demande ». 
A l'intersection de la rebel attitude, de la tech et du marketing
Excitant certes, mais Hirst sait mieux que quiconque comment fonctionne la spéculation dans son milieu, et les NFT risquent fort de propulser le marché de l'art dans une nouvelle bulle. Selon une étude menée par l'agrégateur de données NonFungible.com et l'Atelier BNP Paribas, les ventes d'art numérique avaient déjà augmenté de 2800% en 2020, représentant un quart du marché transactionnel des NFT lui-même en hausse de 200%. 

A côté de l'art, le gaming et les metaverses se partagent à 50/50 la moitié du marché. La blockchain et les NFT constituent en effet un partenaire naturel pour ce secteur. Même s'il s'agit encore d'une niche, le bureau d'analyse financière décentralisée DeFiprime estime que les jeux NFT pourraient avoir le potentiel de devenir la norme s'ils continuent de bénéficier d'une attention et d'une popularité suffisantes. Une des raisons avancées est que - contrairement aux jeux traditionnels - leurs environnements permettent aux gamers de véritablement s'approprier leurs objets en jeu. Cela signifie que les jeux de blockchain, basés sur des NFT et des objets de collection numériques, ouvrent un modèle économique entièrement nouveau qui permet aux joueurs de gagner de l'argent réel. Enfin, toujours selon le rapport de NonFungible.com et l'Atelier BNP Paribas, après l'art et les jeux au sens large, le dernier quart du marché est constitué par le sport et les objets de collection... Nous y reviendrons. 

« Les NFT sont prêts à devenir une classe d'actifs émergente de premier plan pour l'économie virtuelle dans les années à venir, tant en termes de valeur financière que d'utilisations pratiques, et un moteur majeur de l'activité économique dans le monde virtuel », indiquent les auteurs du rapport précité. « Des marques traditionnelles comme Nike, Louis Vuitton et la Formule 1 sont déjà le fer de lance de la première génération de NFT commerciaux (...) Nous nous attendons à voir plus de marques entrer dans cet espace et y investir plus de ressources. »

En effet, il n'y a pas que des oeuvres d'art qui peuvent être "tokenisées" : les produits et les contenus des marques sont tout autant éligibles, et en la matière, les marketers commencent à faire l'inventaire de leurs actifs.
Titiller les fans et les collectionneurs
A l'instar du programme de Tim Berners-Lee à l'origine du World Wide Web, lui aussi vendu sous forme de NFT par Sotheby's (le lot comprenait une version animée de ces quelque 10.000 lignes de code accompagnées une lettre de l'auteur) et parti pour $5,4 millions, les nouveaux objets de collection numériques deviennent des must have pour les initiés des cryptomonnaies, autant intéressés par la possibilité de valoriser leurs actifs tokenisés que par celle d'épater leurs pairs. 

En témoigne le succès de l'app NBA Top Shot lancée par Dapper Labs et la ligue de basket américaine : elle permet aux fans de posséder, collectionner et échanger des extraits vidéos d'un match de basket. Stockés sur la blockchain pour garantir leur authenticité, ces packs sont vendus entre $9 et $200, rapporte Tech Crunch.
Mais quel intérêt ? A quoi bon posséder un extrait de match que l'on peut voir et revoir gratuitement sur YouTube ? Tout simplement parce que, pour un fan, être l'unique propriétaire du NFT représentant un panier mythique de son joueur ou de son équipe favorite, ça n'a pas de prix. Le principe est le même que celui des albums Panini : on achète un lot de "Highlights " au hasard, sans savoir ceux que l'on obtiendra, faisant le jeu des collectionneurs et des spéculateurs qui peuvent les échanger entre eux via la plateforme. Un mois et demi après son lancement, NBA Top Shot avait déjà généré $240 millions de chiffre.
Tokeniser une page de son histoire
Vous vous souvenez sans doute de ce coup très médiatique de Jack Dorsey, le fondateur de Twitter : la tokenisation du premier tweet de l'histoire du réseau social. Son NFT avait été mis en enchères sur la plateforme Valuables et acheté par le patron de Bridge Oracle pour la modique somme de $2,9 millions... 
Et de fait, toutes les entreprises disposent d'un patrimoine matériel ou immatériel. Prenez simplement les campagnes de pub : combien seriez-vous prêt à débourser pour un NFT du tout premier spot de la saga radio Devos & Lemmens ? 

L'idée fait en tous cas son chemin chez les labels de musique ou les studios de production, avec la tokenisation de titres et même d'albums entiers, de scènes de film, etc. Nos confrères du Journal du Net ont même récemment tokenisé un article dédié... à la création d'un NFT. Avant eux, pour tester le marché des NFT, un éditorialiste du NY Times avait réussi à vendre un de ses papiers aux enchères pour $560.000. Intitulé "Achetez cet article sur la blockchain !", celui-ci était sous-titré "Pourquoi un journaliste ne pourrait-il pas être de la fête NFT ?". 

Proposer une version NFT de son produit
Récemment, en France, DDB a proposé à McDo une collection de NFT autour de quatre de ses produits iconiques : le Big Mac, le Sundae, les Chicken McNuggets et les frites. Ceux-ci étaient présentés comme des oeuvres numériques, à remporter via un concours sur les comptes Instagram et Twitter de la marque. En plus du NFT, les gagnants recevaient un cadre numérique reproduisant l'oeuvre. Du plus bel effet dans un salon ! 
Moins décoratif, Pizza Hut a mis en vente chaque semaine aux enchères sur la plateforme Rarible des portions de pizza pixellisées. La première tranche de pizza virtuelle, une pepperoni, s'est vendue environ 5 ETH ($8.900). Même initiative chez Taco Bell, autre enseigne du groupe Yum! Brands, qui a proposé ses cinq premiers tacos virtuels, assortis pour le coup d'un bon d'achat de $500. Idem pour Campbell's Soup qui a fait appel à l'artiste Sophia Chang pour revisiter ses produits les plus iconiques avec, à la clé, une collection de 100 oeuvres virtuelles mises en vente sur Ntwrk. Les bénéfices devaient être reversés à l'association Feeding America. On citera encore la marque Charmin (P&G), qui a lancé trois NFTP pour... Non-Fungible Toilet Paper. Des oeuvres d'art sur papier toilette, ou plutôt des créations digitales inspirées de rouleaux, vendues au départ environ $250 sur Rarible. 
Là aussi, l'objectif déclaré de Charmin était de lever des fonds au profit d'une association. Autre exemple : pour soutenir le lancement du Reserva Ocho Sherry Cask, un rhum en édition limitée qui sera mis en vente en septembre, un NFT Bacardi mettra en valeur cette première série limitée (cinq sont prévues jusqu'en 2025) au travers d'effets numériques conçus par l'artiste Cam Kirk. Une partie de la somme récoltée via la vente aux enchères sera reversée aux bars partenaires de la marque qui sont gérés par des Afro-américains, dans le cadre de l'initiative Backing the BAR. Toujours aux Etats-Unis, à l'occasion du National Fried Chicken Day, Stella Artois a proposé cet été à la vente un NFT de recettes de poulet à la vente. Celui-ci a été réalisé en collaboration avec le chef Marcus Samuelsson, au profit de restaurants impactés par la pandémie.
Créer de nouveaux modèles
Les NFT peuvent également ouvrir la voie à de nouveaux business. On sait par exemple que les amateurs de sneakers sont prêts à débourser des sommes folles pour des modèles collectors.

RTFKT Studios a surfé sur cette tendance avec une série de 600 paires de RTFKT Sneakers et autres goodies virtuels réalisés par l'artiste Fewocious. 
La vente flash de 7 minutes sur la plateforme Nifty Gateway a généré un chiffre d'affaires de $3,1 millions. En plus de pouvoir les essayer virtuellement sur Snapchat, les possesseurs de ces NFT auront la possibilité de les échanger contre une version physique du produit. RTKFT Studios s'est aussi associé à Atari pour produire une série de chaussures virtuelles pouvant être portées dans des jeux en ligne comme "Decentraland" ou "The Sandbox".
De nouvelles entreprises entendent également investir cette niche. C'est le cas de Vuele, une place marché de marché pour les films NFT. Celle-ci va distribuer le premier long-métrage NFT au monde. Produit par Enderby Entertainment, ce thriller intitulé "Zero Contact" est porté par l'acteur Anthony Hopkins : « Le fait que le tout premier film de Vuele mette en scène une star aussi connue est une reconnaissance majeure de ce que nous considérons comme la prochaine frontière d'Hollywood, et de la manière dont elle va lancer des longs métrages et des produits dérivés à collectionner autour des films produits », déclarait Cameron Chell, co-directeur de Vuele. 
Et lorsqu'on parle d'entertainment, de blockchain et de cryptomonnaies, les Gafam et les Batx, leurs cousins chinois, ne sont jamais loin. Après eBay qui a investi le secteur des NFT en intégrant en mai dernier la vente des jetons non fongibles à sa plateforme, le groupe Alibaba vient d'annoncer qu'il allait très bientôt inaugurer sa plateforme NFT pour la vente des droits d'auteur. Baptisé Blockchain Digital Copyright and Asset Trade, le projet entend permettre aux créateurs de vendre la propriété intellectuelle de leurs oeuvres. La plateforme sera gérée par le Comité des droits d'auteur de l'association Blockchain de Sichuan. En ce qui concerne les acheteurs, ils pourront avoir accès à leurs biens via Bit Universe, une application de portefeuille de cryptomonnaies intégrée à WeChat.
Vous avez dit sustainable ?
On l'a vu, en creux, nombre d'initiatives liées aux NFT s'associent à des levées de fond caritatives 2.0. De là à dire que l'emploi des NFT pourrait trouver sa place dans le meaningful framework de BAM, il y a de la marge. D'autant que ces jetons ne sont pas vraiment "sustainable". Ogilvy Social.Lab, qui a récemment publié un rapport très complet sur les opportunités que les tokens non-fongibles sont en mesure d'offrir aux marques, évoque aussi le coût écologique de cette technologie. « Le Bitcoin consomme à lui seul autant d'énergie que YouTube et le gaming réunis. Pour l'heure, l'Ethereum utilise la même charge énergétique pour valider et stocker l'information », souligne le rapport.

Les deux cryptomonnaies fonctionnent grâce au minage et "Proof of Work", qui nécessitent de grande capacité de calcul et sont en effet très énergivores. D'où les enjeux autour des blockchains de nouvelles générations comme Ethereum 2.0, qui utilisent le "Proof of Stake", une autre méthode de validation des transactions, plus rapide et moins gourmande en énergie... « Une fois ces considérations environnementales évacuées, les NFT et la blockchain cesseront d'être des pommes de discorde », estime Ogilvy Social.Lab. 
Un changement de paradigme
L'agence relève cependant un autre écueil : le risque de « brand alienation ». Sachant que les cryptomonnaies et la blockchain n'intéressent qu'une faible proportion de la population à l'heure actuelle, les actions de promo faisant appel aux NFT doivent être ciblées au plus juste pour éviter qu'elles soient inaudibles et donner l'impression que les marques passent à côté des consommateurs.

Quoi qu'il en soit, pour les auteurs du Red Paper d'Ogilvy Social.Lab dédié aux NFT, « cette technologie constitue une véritable rupture dans la façon dont l'humain évalue l'authenticité d'un produit à l'ère digitale ». L'agence considère que cette fonction bien spécifique des NFT introduit une toute nouvelle dimension dans la boîte à outil du marketing digital, plus précisément une nouvelle rareté digitale qui promet « des implications sans précédent dans la stimulation du désir chez le consommateur pour un produit ou un service ». 

Dans leur dernier rapport Hype Cycle des technologies émergentes, qui accorde cette année une importance particulière au thème de la confiance numérique, les analystes de Gartner ne disent pas autre chose : ils estiment eux aussi que les NFT pourraient sortir du statut de technologie tendance et se profiler comme un marché mature d'ici deux à cinq ans.... On demande à voir.

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