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L'automobile à la croisée des chemins

Mardi 29 Septembre 2020

L'automobile à la croisée des chemins

De la trottinette électrique à la voiture, tout ce qui roule se partage et il y en a pour tous les goûts, tous les types de déplacement. Les offres de mobilité se sont multipliées ces dernières années, au risque de voir les consommateurs délaisser l'achat pur et simple d'un véhicule. Comment le secteur automobile s'adapte-t-il à cette nouvelle donne ? Quelle stratégie marketing déploie-t-il pour inscrire leur marque dans cette nouvelle normalité ? Et quid des nouveaux concurrents ?

La première étape de notre périple pour la rédaction de cet article pour le moins ambitieux a eu lieu chez D'Ieteren Auto, l'importateur et distributeur en Belgique des marques du Groupe Volkswagen, ainsi que, accessoirement, de Yamaha, où nous attend le Chief Customer Experience Officer, CMO & CDO maison, José Fernandez. En poste depuis à peine un an, l'homme, qui a fait le principal de sa carrière en agences média et créa, maîtrise néanmoins parfaitement le sujet, pour preuve les presque deux heures passionnantes et, surtout, instructives que nous avons passées en sa compagnie.
« En Belgique, nous avons une mobilité couverte à environ 85% par le véhicule particulier, privé ou de société, 14% par les transports publics et le solde par la mobilité partagée », nous apprend tout d'abord José Fernandez. « Pour l'heure, on ne peut donc pas lui imputer un impact direct sur la vente de véhicules neufs. Par contre, d'ici 2025, ou 2030, on prévoit que la mobilité se répartira entre 70% de véhicules particuliers, toujours 15% de transports publics et autant de mobilité partagée ! » 
Sachant qu'un véhicule partagé correspond à environ sept ou huit véhicules individuels, on peut donc avancer qu'à terme l'impact de la mobilité partagée sur la vente de véhicules neufs sera bel et bien d'actualité et, avec elle, l'obligation pour les constructeurs automobiles de se réinventer, en revoyant notamment un business model pour le moins ancestral. Sans oublier, et c'est lié, la question environnementale, qui influence toutes les stratégies de développement et décisions des constructeurs.

« Le véhicule de demain se devra d'être décarbonisé, c'est-à-dire qu'il devra émettre le moins de CO2 possible, et donc sera probablement plus électrique ou hybride (selon les derniers chiffres disponibles la vente de "plug-in hybrids" a presque doublé ces sept derniers mois, ndlr.) », poursuit Fernandez. « Par ailleurs, la voiture de demain sera plus connectée, avec une capacité croissante à pouvoir communiquer avec son environnement et une forme d'autonomie qui lui permettra notamment d'éviter les zones de travaux et les accidents, les deux principales causes d'embouteillages et, donc, de pollution. »
Fournisseurs de mobilité
Tous les constructeurs sont conscients de tous ces défis qui les attendent. La plupart ont pris le taureau par les cornes depuis belle lurette, notamment en diversifiant leurs activités, avec plus ou moins de succès. En 2011 déjà, BMW lançait dans plusieurs grandes villes européennes, dont Bruxelles, DriveNow, une offre de voitures partagées. 
Ewoud Van Der Heyden, Marketing Director Belux : « Chez BMW, nous voulons être prêts pour toutes les solutions de mobilité, et faire partie intégrante de cette évolution, la gérer, l'influencer et en apprendre un maximum. Forcément, parfois cela se passe très bien et d'autres fois un peu moins bien, comme à Bruxelles, où nous avons dû supprimer le service en février (après 3,5 ans d'activité, ndlr.) par manque de profitabilité. » 
« Mais, au moins, depuis presque dix ans maintenant, BMW tire les leçons de comment ce business pourrait continuer à évoluer, afin notamment de compenser une éventuelle diminution des ventes de véhicules particuliers », ajoute-t-il. « A ce niveau, il faut savoir que DriveNow est aussi un excellent booster de business ! Pour certains utilisateurs, le service a eu l'effet d'un test routier grandeur nature, qui les a finalement convaincus de devenir propriétaires de leur propre BMW... » Un test routier payant, bien vu BMW !

La plupart des acteurs du secteur ne se contentent pas de proposer uniquement un service de véhicules partagés, ils investissent aussi massivement dans un registre de plus en plus large de produits et services liés à la mobilité, bien au-delà de la commercialisation et la distribution de véhicules. Chez BMW et Daimler AG, puisque les deux groupes ont uni leurs forces en 2019 pour créer Share Now, un nouveau service de partage de voitures né du regroupement de DriveNow et car2go, citons Park Now (parking), Charge Now (charging), Free Now (pendant de Uber) ou encore Reach Now (multimodal)... 
« Nous avons un objectif clair au niveau mondial », développe la Head of Corporate Communications de Mercedes-Benz BeLux, Helen Van Nuffelen. « Nous voulons participer au maximum au développement de la mobilité dans notre société. Dans ce but, nous nous réinventons autour de quatre piliers : la connectivité, le véhicule autonome, le partage et l'électrification. Tout ce que nous entreprenons tend à concrétiser cet objectif. »
« A commencer donc par le partage de voitures et de services, qui fait clairement partie de nos priorités, mais également d'autres projets, comme par exemple la combinaison de différents modes de transport. En un mot, nous voulons offrir le meilleur moyen d'aller d'un point A à un point B, en combinant l'usage de la voiture, des bus ou d'autres modes de transport. »

Idem chez D'Ieteren Auto qui croit aussi dur comme faire en la mobilité multimodale, comme en témoignent la flotte de véhicules partagés Poppy et la Lab Box, "un incubateur d'entreprise 100% dédié à la mobilité du futur", dont l'ambition est de "déjouer la fatalité et de rendre les villes plus fluides et agréables à vivre"... L'incubateur propose des services et solutions similaires aux précités, mais également Skipr (une app de mobilité multimodale qui propose à l'utilisateur les solutions de déplacement les plus adaptées, mais aussi la possibilité de les réserver et de les payer directement), My Move (une alternative à la voiture de société), Lizy (leasing de véhicules de seconde main récents à destination des entreprises ou des indépendants) ou encore Ush... « Le premier fournisseur de mobilité partagée autonome dédié en Belgique », précise José Fernandez. « Évidemment, pour le moment, Ush reste encore très expérimental, mais cela témoigne de la volonté de D'Ieteren d'améliorer la mobilité de demain, en identifiant les initiatives en la matière, avant de les rendre évolutives et les accompagner dans une méthodologie éprouvée. »
Décarbonisation électrique
On pourrait encore citer les exemples français : Renault, qui s'est également lancé dans l'aventure de l'auto-partage avec Moov'in Paris, soit plusieurs centaines de Zoé proposées en location de courte durée, et PSA, qui, via Free2Move, met aussi à disposition des Parisiens plusieurs centaines de Citroën C-Zero et Peugeot iOn, ses mini-citadines électriques... Si la majorité des acteurs semblent avoir pleinement pris la mesure des phénomènes de mobilité partagée, voire multimodale, il est néanmoins intéressant de constater combien leurs stratégies peuvent diverger quand il s'agit de leur core business : vendre des voitures adaptées à leur époque. Ici, deux écoles s'affrontent. La première mise sur la décarbonisation absolue, et donc sur le tout électrique, processus de production compris, ainsi que sur la digitalisation à outrance. La seconde sur le meilleur des deux mondes, le client restant le roi par excellence.

Mercedes-Benz et Volkswagen font résolument partie de la première classe. « Il est clair qu'actuellement, l'accent est principalement mis sur la digitalisation et l'électrification », poursuit Helen Van Nuffelen. « Cette priorité est liée à notre volonté, traduite dans notre programme "Ambition 2039", de devenir totalement neutres en CO2 d'ici 20 ans. Au niveau des voitures que nous offrons avec des modèles électriques qui représenteront plus de la moitié des ventes de véhicules, ce qui inclut les voitures tout électriques et les hybrides rechargeables, mais aussi du processus de production et des solutions de mobilité, en ce compris le développement de solutions de recharge des voitures, que nous souhaitons les plus aisées et efficaces possibles pour l'utilisateur. » 

Même discours chez VW : « Le groupe a récemment annoncé son intention d'investir 60 milliards d'euros dans l'électrification de ses gammes », confirme José Fernandez. « D'ici cinq ans, plus de 35 modèles du groupe - VW et Audi, mais aussi Skoda, Porsche, Seat et Cupra - seront ainsi disponibles en version électrique... Résultat, en termes de marketing, nous sommes entrés dans une phase d'évangélisation totale au niveau du véhicule électrique, qui, aujourd'hui, représente moins de 3% de parts de marché. Nous sommes donc encore très loin d'avoir décarbonisé la flotte, et ce, parce que ce type de véhicule présente un certain nombre de barrières à l'entrée, qu'il faut relever... »

A savoir, prioritairement, la question de l'autonomie, qui, pour Fernandez est un mythe, fort du constat que 90% des déplacements en Belgique se font sur une distance inférieure à 150 km : les modèles disponibles aujourd'hui ont donc de la marge. Mais surtout, on y revient, la question de la recharge, et plus précisément de la vitesse de chargement, les bornes permettant de recharger son véhicule en 30' montre en main, n'étant pour le coup pas encore légion. Mais là, c'est avant tout une question de volonté politique, ou plutôt de bon vouloir des pouvoirs publics, et ça, c'est une tout autre histoire. Ce qui, au demeurant, ne freine pas trop les nouveaux acteurs du secteur. En témoigne Polestar qui vient tout juste de faire sa joyeuse entrée sur le marché belge. 
« Notre objectif est clairement de créer la vague électrique, même si elle est déjà un petit peu présente grâce à Tesla, mais surtout de l'accélérer », avance Lies Eeckman, Managing Director pour la Belgique de la nouvelle marque suédoise.

« Tout l'enjeu consiste à suffisamment motiver les consommateurs pour qu'ils sautent le pas et laissent enfin de côté les moteurs à combustion. » 
« Concernant la problématique des recharges, nous avons développé un partenariat avec Plugsurfing, qui est l'un des fournisseurs leaders en Europe, avec plus de 150.000 bornes à disposition, et aussi l'un des plus qualitatifs. Cela ne veut pas dire que nous allons nous limiter à eux seuls. Contrairement à Tesla, notre stratégie n'est pas d'avoir un système fermé. Au contraire, nos clients doivent pouvoir s'appuyer sur chaque borne disponible. »
Digitalisation à tous les niveaux
L'autre particularité de Polestar, c'est de vendre ses voitures exclusivement en ligne, à un prix fixe non négociable. Le premier showroom, et plus précisément "space" comme le définit la marque, inauguré cet été à Bruxelles, ne servant prioritairement qu'à recevoir les prospects pour des essais routiers. « Notre business model est vraiment ancré sur une approche direct-to-consumer, 100% digital », poursuit Lies Eeckman. « Autrement formulé, nous ne travaillons pas avec des dealers ou concessionnaires, la vente se fait exclusivement en ligne, mais avec des investisseurs, qui sont également des Volvo Dealers (les deux marques appartiennent au groupe automobile chinois Geely, ndlr.), mais qui n'ont pas de commissions sur les ventes. Ils sont rémunérés sur base de la satisfaction du client, suite à une enquête réalisée dans la foulée de sa visite dans le "space". » 

 « Le secteur automobile aujourd'hui est encore trop fortement orienté uniquement produit », ajoute-t-elle. « Les constructeurs et les revendeurs adorent leurs produits, et c'est évidemment génial de travailler avec des gens aussi passionnés, mais ce n'est pas toujours au profit du consommateur. Leur propre intérêt passe souvent avant. C'est clairement le talon d'Achille du secteur. Chez Polestar, l'orientation consommateur est la base de tout, parce qu'aujourd'hui, les consommateurs jugent avant tout une marque sur le service et l'expérience. Nous vivons à une époque de la culture du service. » 

La vente en ligne, ou du moins son développement, est également une priorité pour D'Ieteren. « Aujourd'hui, 95% de la consumer journey (pour le B2C, ndlr.) est totalement digitale dans le secteur automobile », reprend José Fernandez. « Le client ne se rend plus dans un concession qu'une fois son choix fixé, alors qu'auparavant il en visitait quatre ou cinq avant de se décider. En revanche, ce qui est encore très peu développé, c'est la vente en ligne. Le réseau de concessions reste un point important, de par ses côtés physique et émotionnel liés à la voiture, qui font que les gens n'ont pas encore passé le cap de se dire qu'ils vont tout faire en ligne, en ce compris la commande et le paiement de leur nouvelle voiture. Mais les mentalités sont en train de changer. Des études que nous avons menées avec des partenaires indépendants ont démontré que 12 à 15% des consommateurs belges sont désormais tout à fait prêts à acheter leur prochain véhicule en ligne. La digitalisation complète du parcours du client, en ce compris la vente, est donc notre prochain grand défi. Cela demandera des investissements massifs. Et ce pas uniquement au niveau de la vente en ligne, mais également de tous les nouveaux services, comme Poppy, par exemple, qui avant d'être une flotte partagée, est surtout une application mobile. »
Le défi digital se jouera également au niveau du marketing, estime Peter Zijlstra, Head of Marketing chez Mercedes-Benz Cars Benelux.

« Plusieurs initiatives ont été lancées. En premier lieu, nous construisons une nouvelle infrastructure digitale complète pour notre marque. De nouveaux outils et systèmes sont ajoutés chaque mois à ce nouvel écosystème de communication. » 
« Nous continuons évidemment à communiquer via les médias traditionnels, mais nous utilisons de plus en plus les médias digitaux et aussi, entre autres, l'application Mercedes, qui nous permet de toucher le consommateur directement. Nous venons précisément de lancer une nouvelle version de cette application, qui permet au consommateur d'acheter de nouveaux services de manière fluide. C'est un exemple de la manière très directe que nous utilisons pour toucher notre consommateur. Et ceux qui ne sont pas encore nos clients sont ciblés en ligne grâce aux outils et systèmes que nous avons mis en place, et qui permettent d'envoyer des messages personnalisés et sur-mesure. Nous sommes également occupés à tester énormément de nouveaux outils. Nous pouvons faire cela très efficacement en nous appuyant sur les données que nous collectons constamment. » 

« Cette approche nous permet également de décider si nous poursuivons ou au contraire abandonnons le contact avec un prospect », poursuit-il. « Nous pouvons toucher énormément de gens en même temps et cela au travers d'un très grand nombre de messages différents. Nous passons de plus en plus des campagnes de communication classiques à la communication continue, dans laquelle nous ne parlons plus uniquement de voitures, mais aussi de services et de mobilité. La communication est devenue davantage une activité quotidienne et permanente. »
Vision et tradition
Terminons avec BMW, qui fait partie de la seconde école précitée : celle qui croit encore fortement au contact réel et physique. « Notre CEO a une vision, qu'il a baptisée "Power of Choice" », conclut Ewoud Van Der Heyden. 

« L'idée, c'est que chaque modèle BMW soit disponible dans tous les types de propulsions - essence, diesel, plug-in hybride et électrique - et, surtout, que chacun de ces modèles soit produit sur la même chaîne dans ces différentes versions. A part quelques petites limitations techniques, cela nous rendra totalement flexible. Par exemple, si du jour au lendemain un grand marché passait subitement de l'essence à l'électrique ou ne croyait plus en l'électrique et se tournait à nouveau vers l'essence ou le diesel, nous pourrions réagir relativement vite par rapport à nos concurrents qui ont tout misé sur des plateformes spécifiques électriques, ce qui a également des avantages, mais les met dans une position très rigide... Idem avec le tout digital. Notre expérience nous a démontré que la décision d'acheter une voiture repose encore fortement sur la relation confidentielle et de confiance que l'acheteur lie avec le concessionnaire. » 

« Notre vision à moyen et long terme est donc de garder nos concessions, tout simplement pour conserver ce contact avec le client, qui reste crucial », résume-t-il. « Nous sommes convaincus que si nous éliminions le concessionnaire du processus de vente, il se sentira beaucoup moins impliqué dans le service, à commencer par l'après-vente qui est primordial dans notre secteur pour la satisfaction client. L'après-vente, c'est la pré-vente. » 

Le secteur automobile vient seulement d'entamer sa révolution, dictée non seulement par des impératifs de mobilité, mais aussi environnementaux. Bien malin qui peut dire aujourd'hui, qui des marques historiques ou des nouvelles venues gagnera cette course de fond, mais surtout, de choix...

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