Stéphane Buisseret (Air) : « Nous avons besoin de sens, d'expérience et d'amour »

Nous avons échangé avec Stéphane Buisseret autour des tendances qu’il a pu déceler lors du Festival, et les lignes qu’il voit bouger au sein de nos métiers. Les réflexions du CEO de Air sont pour le moins pertinentes
 
Comment avez-vous appréhendé cette édition 2019 des Cannes Lions ?
 
Vous connaissez cette phrase : "I really don’t know. But guess what : Nobody does !"... Cannes 2019, c’est la parfaite illustration d’une industrie qui se cherche. 
 
On se croirait tantôt à un Late Night Show, tantôt à Hollywood, parfois au Concours Lépine de l’invention ou encore à une remise de prix de la WWDC de Apple pour la meilleure amaaaaazing app… 
 
Dans ce mélange de purposeful/tech/innovation/datacentric-user experience/A.I/ automation/storytellinstory/doing, etc., on a du mal à trouver un fil rouge. 
 
Pas de fil rouge certes, mais des mini-tendances, non ? 
 
J’essaie d’attraper cette drôle de bestiole en regardant ce qui est sûr, à travers trois observations : avant tout, le Festival International de la Créativité mérite enfin son nom.

Cannes 2019 est l’expression de la créativité au sens très large. Alors qu’avant tout était communication, tout est maintenant création, et il faut s’en féliciter tant c’est un feu d’artifice. Une bonne innovation A.I, un algorithme, un nouveau produit ou service utile…Pour autant que ce soit créatif et jamais vu - et en ce sens le Festival reste fidèle à lui-même - cela générera du PR et donc potentiellement desLions. A l'exemple des campagnes Xbox et Puritas. 
 
« I will create anything ! », répondait récemment Jeff Goodby à la question de ce journaliste d'Ad Age qui lui demandait : "Mais finalement, vous allez créer quoi dans l’avenir ?". 
 
Cette création au sens large est-elle l’avenir des agences ?
 
Pourquoi pas ? A condition de trouver le business model approprié…
 
Mon deuxième constat est que l’expérience client est l’autre chemin le plus court pour gagner des Lions et le cœur de consommateurs de plus en plus exigeants. Qu'elle soit physique, digitale, ou phygitale, il s’agit de proposer "a delightful user experience". 
 
Et l’on redécouvre ébahi cette loi élémentaire du commerce : quand on veut garder ses clients, il faut les gâter. Les supermarchés Plaza Vea l’ont bien compris, Burger King qui voit tout avant tout le monde l’a bien compris aussi, avec une utilisation simple, créative et utile de la géolocalisation. Et Adidas n’est pas en reste en vous permettant de transformer n’importe quelle basket dans le style des tennis vintage de Billie Jean King.
 
Ma troisième conclusion sera : pas de Lions à Cannes sans recherche d’un sens, d’un purpose, ou du truc meaningful qui va changer le monde, quitte à faire preuve parfois d’un peu d’opportunisme - le fameux woke-washing - en surfant sur les grands thèmes du moment : gender, race, handicap. Mais si ce sens est effectivement ancré dans les racines de la marque et qu’elle l’exprime dans son style unique, on peut obtenir un résultat formidable. 
 
Des coups de cœur ?
 
En dehors des campagnes citées, je salue Ikea qui a adapté ses meubles au mode de vie des personnes handicapées. Cohérentes et jusqu’au-boutistes, la marque et l’agence ont offert au public cannois un des grands moments d’émotion du Festival. L’acteur handicapé de la campagne est en effet monté sur le podium pour chercher son prix, puisqu’il en était aussi le créatif ! 
 
J’ai aussi aimé Guinness qui recommande la prudence dans la consommation d’alcool… en faisant la promotion de l’eau Guinness Clear dans le style unique propre à cette marque emblématique. 
 
Tout cela serait-il trop éloigné du business, comme le pensent certains ? En tous cas, il semblerait que ce soit très proche des gens et de leurs aspirations. Pour preuve, la dernière étude YouTube qui s’est posé la même question. En compilant les data de tous les mots les plus utilisés sur la plateforme, on retrouve en tête - et de loin - les phrase suivantes : "Comment allez-vous ?", "Merci" et "Je t'aime".Au fond, I.A ou pas, notre industrie reste très humaine, comme les gens... Nous avons besoin de sens, d’expérience et d’amour.