Après plusieurs atermoiements et reports, la fin des cookies tiers sur Chrome semble désormais imminente. Toutefois, Google souligne l’importance d’accorder une transition progressive aux annonceurs à partir du début de l’année 2024, permettant ainsi le déploiement de sa Privacy Sandbox.
D'ici là, les éditeurs se préparent et la plupart mettent en place des alternatives qui placent leur donnée propriétaire - la "first party data" - et les contextes de navigation au centre de leurs solutions.
Globalement, tous les éditeurs que nous avons interrogés dans ce dossier se montrent résolument optimistes. Ils pensent même profiter de la fin des cookies tiers comme d’une opportunité pour se différencier grâce à leurs data et la à qualité de leurs contenus locaux.
Voici leurs témoignages.
DPG MEDIA - Toon Coppens
« La suppression des cookies tiers est en fait en cours depuis plusieurs années. Safari avait déjà donné le ton en 2017, suivi par Firefox et ensuite par la disparition des 'mobile identifiers' sur IOS. Restait Chrome qui mène aujourd’hui des tests en supprimant les cookies sur une partie des browsers avec un objectif de les supprimer entièrement l’année prochaine. L’annonce de Google n’est donc pas une catastrophe et même plutôt une opportunité pour nous et les annonceurs », introduit Toon Coppens, Director Advertising Data BENE chez DPG Media. « Dans le monde des cookies tiers, ce sont les AdTech qui sont les principaux bénéficiaires, bien plus que les éditeurs. Ils prennent beaucoup d’argent avec des solutions qui ne sont pas ‘"privacy proof’". Ce alors que le consommateur veut avoir plus de contrôle : il ne veut plus être suivi, harcelé, d’un site à l’autre sans comprendre pourquoi et sans avoir le contrôle de ses données. Ce même consommateur préfère cependant voir de la publicité ciblée plutôt que des publicités génériques comme en témoigne l'étude réalisée par l’EDAA réalisée en juillet 2022 (disponible
ici, ndlr.). Et les annonceurs veulent évidemment toucher le bon consommateur. »
« Notre défi est donc de savoir comment cibler sans être intrusif. Aujourd’hui, nous considérons que le ‘’Cross-Company Tracking’’ basé sur les cookies tiers est mort. »
« On arrive aujourd’hui dans un monde plus sûr où les annonceurs et les éditeurs peuvent notamment collaborer avec leurs first party data respectives. Dans ce monde, il y a un lien direct entre éditeurs et annonceurs sans plus avoir besoin de beaucoup d’AdTech entre les deux. C’est clairement une bonne nouvelle. »
Pouvez-vous nous dévoiler comment vous avez abordé cette problématique ?
Toon Coppens : Nous avons tout d’abord identifié et analysé les quatre groupes de solutions de ciblage : le contextuel, les first party data, les solutions ‘’on device interest group’’ et enfin, le groupe des Universal ID et Fingerprints.
Nous avons ensuite évalué ces quatre groupes en fonction du GDPR.
> Le contextuel
Solution, totalement ‘’privacy proof’’, basée sur ce que l’internaute regarde. Nous avons notre propre solution et il existe aussi des AdTech qui proposent cette approche contextuelle en "multi-sites", Seedtag entre autres. La limite de ces solutions étant que les articles derrière un paywall ou sur les applications ne leur sont par exemple pas accessibles.
> Les First Party Data
On parle ici des données récoltées directement par des éditeurs comme nous, par les Meta, Google & Co - les ‘’walled gardens’’ -, celles récoltées par les annonceurs et enfin celles d’acteurs-tiers tels que les distributeurs, les telco, etc.
> Les On Device Interest Groups
Le principe est de créer un profil sur base des informations récoltées par les navigateurs et les systèmes d’exploitation. Un profil est ici créé localement dans le navigateur sur la base du comportement de navigation du consommateur. C’est typiquement ce qu’expérimente Google avec sa Privacy Sandbox en créant des groupes d’intérêt qui regroupent ces profils. Microsoft travaille également sur ce type de solutions, même si Google est le plus actif vu sa dépendance à la publicité.
Elles sont a priori en phase avec le RGPD mais les autorités publiques sont très attentives, notamment sur la gestion de ces profils qui n’est pas très transparente. De plus, le contrôle des navigateurs et des systèmes d'exploitation par un nombre limité de parties pourrait renforcer leur position dominante.
> L'Universal ID et le Fingerprinting
Ces solutions tentent de remplacer les cookies tiers par un autre type d’ID ou d’identifier les internautes sur la base d'informations techniques du navigateur telles que la taille de l'écran, la langue du navigateur, etc. Si ces identifiants sont distribués dans le cadre d'enchères publicitaires, cela reste problématique par rapport à la privacy parce que le consommateur ne peut pas donner son consentement éclairé à une entreprise dont il n’a jamais entendu parler.
Quelles sont les conclusions de votre analyse ?
Le contextuel, nos first party data et la combinaison avec celles des annonceurs sont pour nous les trois seules solutions véritablement ‘"privacy proof".
Du côté contextuel, notre solution analyse l’ensemble de nos contenus en temps réel, y compris l’analyse des images ou encore le texte des dialogues des vidéos. Toute chose qui améliore la pertinence et la brand safety. Prochainement, nous pourrons aussi intégrer l’analyse du contenu des images elles-mêmes grâce à l’intelligence artificielle.
Les first party data sont au cœur de notre stratégie "The Trusted Web’’ : elles sont la clé de ce monde plus sûr dont je parlais plus haut. Les données et le consentement que nous récoltons s’appliquent à l’ensemble de nos publications et nous permettent de créer des profils très riches, et 100% en phase avec les prescriptions légales.
Grâce à cela, nos clients accèdent à une bibliothèque de 300 segments d’audience et notre outil Datalab leur permet définir leurs propres critères de sélection et créer des segments adhoc.
Nos clients peuvent aussi uploader leurs données pour cibler uniquement leurs clients parmi nos visiteurs, les exclure ou encore chercher des ‘’lookalikes’’. Ce partage de données est une solution très prometteuse, déjà utilisée par 75 annonceurs à ce jour chez DPG Media, même si cela implique un ‘’data sharing agreement’’ qui prouve la conformité des données de part et d’autre.
Une autre option pour ce partage de données reste l’utilisation de ‘’Data clean room’’. On en parle beaucoup mais en réalité, 90% des annonceurs se connectent directement sur notre datalab. Nous travaillons néanmoins avec Infosum et nous analysons les autres solutions disponibles sur le marché telles que Snowflake, Digital Audience ou encore Habu.
Quelle est le succès de votre approche ?
En 2019, seulement 10% de notre chiffre d’affaires était lié au first party data. Aujourd’hui, c’est presque 50% avec 220 annonceurs qui sont connectés sur notre Datalab et 75 qui partagent leurs données avec nous. C’est vraiment significatif, et en progression constante.
Les performances de ces solutions first party data expliquent cette évolution. E5 Mode, Samsung, Pepsico, TUI font partie des annonceurs qui ont partagé leurs données avec nous. Le ciblage sur base de la comparaison de données ou de ‘’lookalikes’’ a multiplié le CTR moyen par trois ou par quatre.
VRT + VAR - Emilie Nenquin et Marit Ginevro
Dans l’univers des régies, la Var occupe une place assez atypique, puisqu’elle opère pour un diffuseur public qui n’a pas les mêmes priorités publicitaires que ses concurrents privés. Comment la VRT et la Var travaillent-elles sur une stratégie data destinée à s’inscrire dans la durée ? C'est la question que nous avons posée à Marit Ginevro, Head of Marketing à la Var, et sa collègue Emilie Nenquin, Head of Data & Intelligence à la VRT.
Emilie Nenquin : La stratégie data de la Var démarre à la VRT, là où les données sont collectées. La VRT ne joue pas un rôle de pionnier dans ce domaine. En effet, en raison de notre mission publique, nous nous devons d'être très prudents en matière de données qui, par définition, doivent être au service de cette mission.
Au cœur de notre stratégie se trouve le profil VRT que les utilisateurs peuvent créer pour améliorer leur expérience sur nos plateformes.
Ces utilisateurs peuvent donner un consentement optionnel pour recevoir des publicités personnalisées basées sur leur comportement d'écoute, de vision et de lecture. Le profil VRT fonctionne sur base du principe "single sign-on". Ce qui augmente considérablement le nombre d'utilisateurs.
En outre, nous constatons que nos profils se sont sensiblement rajeunis, en particulier grâce à l’apport de VRT MAX. Cette plateforme offre à la fois de la vidéo et de l'audio et mise sur l'interaction et l'expérience dans un environnement 100% basé sur l'identification, totalement adapté aux besoins des utilisateurs et entièrement sécurisé.
Pour répondre à ces besoins, vous travaillez avec un algorithme unique développé en interne.
En effet, l'algorithme de VRT MAX suggère naturellement aux utilisateurs des programmes similaires à ceux qu'ils ont regardés récemment et, grâce aux métadonnées disponibles, il suggère des contenus issus d'autres catégories de la plateforme. Cela permet d’amener les utilisateurs vers des contenus qu’ils ne consulteraient pas spontanément.
Les recherches sur l'impact de l'élargissement des centres d’intérêt, basées sur les données de l'année dernière, montrent que des recommandations diversifiées conduisent effectivement à des comportements de vision et d'écoute plus larges. Les séries, par exemple, sont relativement moins consommées grâce à cette fonctionnalité de l’algorithme. Ceci en faveur de catégories comme la politique, l'économie, les loisirs, le cinéma, les spectacles et le théâtre, les arts et la culture. Ce qui est important dans le contexte de notre mission de service public.
Marit Ginevro : En outre, si les utilisateurs de la VRT regardent différents types de contenu, cela crée également des profils plus riches, qui peuvent s'avérer intéressants pour les annonceurs.
Emilie Nenquin : Le fait qu'en termes de stratégie, nous migrions vers VRT MAX dans un environnement entièrement basé sur le login nous permet également de développer le ciblage contextuel. C'est de notre point de vue une opportunité énorme qui permet d'évoluer dans un environnement contrôlé, d'arrêter la prolifération de tous ces cookies des dernières décennies et de s'engager pleinement à garantir la sécurité des données. Comme nous avons des marques fortes, nos contenus bénéficient d'une grande confiance.
Avec quels partenaires techniques la VRT travaille-t-elle pour sa stratégie en matière de données ?
Nous nous préparons à être entièrement cookieless. En tant qu'organisme public, nous devons lancer des appels d'offres tous les deux ans. C'est beaucoup de travail, mais cela nous permet de rester vigilants.
Nous sommes actuellement en partenariat avec TripleLift pour 1plusX. Il s'agit d'une plateforme mondiale d'activation qui permet aux éditeurs et aux annonceurs de toucher leur public cible grâce à des first party data. La combinaison du SSP de TripleLift et de la DMP de 1plusX optimise le potentiel de l'espace publicitaire d'un éditeur. Elle fournit notamment des informations plus approfondies sur les publics cibles, à l'heure où le respect de la vie privée devient de plus en plus important.
Cela nous permet de travailler avec des cookies first party pour la collecte et la gestion des données. Ceci afin d'identifier des segments d'audience pour cibler les utilisateurs et les contextes de la VRT dans les campagnes publicitaires en ligne.
Nous voulons mettre ces profils à la disposition des annonceurs à partir de 2024 afin qu'ils puissent toucher encore mieux leur public cible, tout en gardant évidemment à l'esprit les normes en matière de vie privée. Nous travaillons toujours à partir du consentement et nous voulons en informer l'utilisateur. C'est une priorité pour nous.
Marit Ginevro : Nous pensons également que cette évolution offre aux annonceurs la possibilité de sortir de la zone grise - les cookies tiers sont en contradiction avec l'expérience globale du consommateur -, et c'est pourquoi nous voulons et nous devons à la VRT penser sur le long terme.
ADS & DATA - Jochem Vermeiren, Maarten Galle et Philippe Degueldre
Chez Ads & Data, l'ambition est aussi de développer une stratégie data "future proof". Pour en savoir plus sur les velléités de la régie commune de Mediahuis, Telenet et Proximus, nous avons échangé avec Philippe Degueldre (Data Product Lead), Maarten Galle (Digital Studio Director) et Jochem Vermeiren (Product Lead Total Data & Digital Advertising).
« La suppression des cookies tiers présente à la fois des avantages et des inconvénients », explique ce dernier. « Les utilisateurs bénéficieront d’une plus grande protection de leur vie privée, ce qui est positif. D'un autre côté, il sera plus difficile pour les annonceurs d'atteindre de larges cibles ou d’avoir une grande couverture des publics ciblés. Les éditeurs, quant à eux, seront confrontés à une diminution des revenus qu'ils peuvent ainsi générer. »
Jochem Vermeiren remarque également que tous les acteurs sont contraints d’investir davantage et en permanence, tant au niveau de la technologie que de l'expertise. « Et tous les projets nécessitent des délais plus longs, car ils comportent toujours un volet juridique. Il n'est donc pas toujours évident de s’adapter rapidement. »
« Certaines questions de base deviennent en effet plus complexes », ajoute Maarten Galle.
« Prenons l'exemple de la viewability : aujourd'hui, nous la considérons comme une évidence, mais nous devrons trouver un moyen de la garantir et de la mesurer même sans cookies tiers. »
L'un des piliers de votre stratégie est le consentement unique utilisé dans l'ensemble de votre écosystème TV. Comment cela fonctionne-t-il ?
Philippe Degueldre : D'un côté, chaque éditeur recueille des données first-party auprès de ses utilisateurs par le biais de leurs données de profil lors de leur inscription (sexe, âge, etc.). De l’autre, l'idée est de capter le comportement de navigation sur tous les touchpoints possibles.
Pour ce faire, les internautes ne doivent donner qu’une seule fois leur consentement, qui s'applique ensuite à tous les sites d'Ads & Data.
Ce consentement implique qu'Ads & Data peut suivre votre comportement sur tous ses canaux médias afin de vous envoyer des publicités personnalisées. Il est important de rappeler que toutes les données ainsi collectées sont cryptées et anonymisées avant d'être traitées.
Jochem Vermeiren : Pour simplifier les choses, disons que les données first-party seront en fait les cookies de demain. Par conséquent, l'un de nos principaux objectifs, pour nous et nos éditeurs, est de veiller à obtenir ce "consent" d’un maximum d’utilisateurs. Et de rester dans le cadre légal. C'est un véritable défi, mais c'est aussi là que réside le positionnement unique d'Ads & Data. Nous pouvons en effet combiner les données en ligne de nos éditeurs avec les données TV et telco, et les exploiter pour l’ensemble de notre réseau.
Pour les aspects tech pour lesquels s’appliquent des règles strictes en matière de protection de la vie privée, comment choisissez-vous vos partenraires ?
Nous adoptons un point de vue très large et agnostique : je pense qu'il existe un très large éventail de solutions sur le marché aujourd'hui. Nous avons pour philosophie de garder nos yeux et nos oreilles grand ouverts en permanence. Le défi consiste à évaluer toutes ces possibilités sur les plans technologique, commercial et juridique.
Philippe Degueldre : Entretemps, nous travaillons en effet avec un certain nombre de partenaires, tels que Google pour la diffusion de nos publicités et Infosum pour nos data clean rooms. Cela permet un matching entre, d’une part, les données TV, et de l’autre les données des clients, si le client est ouvert à cette idée. C'est là que le RGPD et les contrats appropriés ont énormément d’importance. C'est complexe, mais une fois le cadre défini, la collaboration peut être très intéressante, tant pour le client que pour nous.
À terme, comptez-vous opter pour une solution unique ?
Maarten Galle : Non. Il n’existe actuellement aucun standard sur le marché. On ne peut donc pas supposer qu'en choisissant une technologie particulière, on pourra répondre à tous les besoins. Il s'agit d'un exercice d'équilibre permanent entre l'exclusion d'un minimum de demandes de par notre approche agnostique et l'offre de solutions multiples. Dans le même temps, nous devons toujours nous demander dans quelle mesure elles sont évolutives. Beaucoup de choses peuvent changer dans les années à venir, des consolidations pourraient voir le jour.
RMB - Valérie Janssens et Stéphane Lucien
Stéphane Lucien, avec sa casquette de Digital Director chez RMB : « Depuis le temps que je travaille dans le domaine de la publicité digitale, j’ai pu constater que les technologies s’adaptent à toutes les problématiques. La disparation des cookies tiers ne fait pas exception d’autant que ces cookies ont déjà largement disparus du paysage depuis quelques années. Du reste, RMB n’a pas attendu la décision de Google pour mettre en place une approche cookieless, et nous le sommes déjà aujourd’hui pour 95% de nos opérations. »
« Nous avons installé depuis plus de deux ans une DMP cookieless, 1PlusX en l’occurrence. Cette DMP attribue un ID, anonymisé à tous nos visiteurs. Ce qui nous permet d’analyser leurs parcours et de créer des segments forts notamment sur base de l'analyse sémantique et comportementale. Segments qui sont créés et gérés par les data scientists de notre département Vibe. »
« D’autre part, nous disposons d’une base de 4,3 millions de profils ‘’first party data’’ très complets notamment sur l’aspect socio-démo. Ils proviennent majoritairement de la plateforme Auvio, dont la richesse est clairement une force. Notamment parce qu’aujourd’hui, 70% de la demande des agences en deal programmatique sont liées à de la donnée, particulièrement à de la donnée socio-démo. »
Quels outils de Data Clean Room utilisez-vous ?
Valérie Janssens (Development Director) : Nous ne proposons pas encore de ‘’data matching’’ mais nous y travaillons. Nous avons fait un audit de conformité aux réglementations RGPD de la plateforme InfoSum. Plateforme que nous connaissions déjà puisqu’elle est notamment utilisée par Telenet et Proximus dans le cadre de l’Addressable TV.
Cet audit est un travail énorme qui a été réalisé avec les équipes de la RTBF, sachant qu’un service public porte évidemment une attention particulière à la collecte et aux traitements des données personnelles.
Pour finaliser la mise en place de cette plateforme, il nous faut encore adapter le processus de collecte des consentements sur Auvio ce qui devrait être fait d’ici à la fin de l’année.
Nous avons également été sollicité par LiveRamp, très actif sur le marché belge, mais dont l’origine américaine pose problème à la RTBF, toujours pour des questions de respect du RGPD. La porte ne leur est cependant pas définitivement fermée.
Y a-t-il de la demande du marché pour ce data matching ?
Nous avons régulièrement des demandes ou des questions sur le data matching mais ce n’est pas encore significatif. Notamment vu la complexité juridique et contractuelle de ce processus qui implique la signature de ‘’data sharing agreements’’ entre les parties et donc l’intervention des DPO des partenaires. Il faut aussi que le jeu en vaille la chandelle et disposer des bases de données importantes de part et d’autre. Le targeting contextuel et comportemental reste donc à ce jour au premier plan.
Stéphane Lucien : Je confirme que la tendance est bien là, mais on en est encore au stade du proof of concept, pas du vrai business.
ROSSEL ADVERTISING - Coralie Vrancken et Edouard De Witte
« Pour Rossel, la disparition des cookie tiers est surtout l’opportunité d’avancer sur la first party data, d’accroître notre connaissance de nos clients et de nos lecteurs. C’est aussi une occasion d’aller encore plus loin sur le contextuel et le sémantique », introduit Coralie Vrancken, Director Revenue Management & Digital AdOps chez Rossel Advertising.
« Globalement, cette disparition nous impose une réflexion sur le choix des technologies à utiliser, les investissements à réaliser, les compétences en interne, la formation, la manière de sensibiliser l’ensemble de l’entreprise à ces enjeux. C’est l’occasion de faire grandir tout le monde au sein du groupe. Le sujet est multifacette, il touche aux RH, à la technologie, au marketing et même à l’éditorial. »
Edouard De Witte, Marketing Director de la régie, rappelle que le cookie tiers était la base du ciblage, mais également celle de la mesure d’audience.
« Aujourd’hui, avec RTL Belgium, le groupe Rossel fédère 35 marques dans des domaines très divers. La mesure d’audience revêt dès lors une dimension cruciale », relève-t-il.
« Nous sommes donc face à des défis, mais pas à une menace, puisque nous pourrons de toute façon toujours mesurer nos audiences sous l’angle du first party cookie. Et pour le reste, le cas échéant, on en reviendra à de la statistique panélisée plus traditionnelle. »
« La disparition des cookies tiers va aussi permettre aux éditeurs de se réapproprier la sécurité de leurs inventaires. Ils seront plus sereins quant à ce qui se passe sur leurs sites et au partage d’informations avec leurs partenaires. »
Quelle est votre approche pour la récolte des consentements ?
Coralie Vrancken: Aujourd’hui nous n’avons pas de base de données unifiée. Un utilisateur donne son consentement pour l’environnement sur lequel il se trouve, site par site. Le fait est que nous avons un très grand volume de données et des questions importantes liées au RGPD se posent pour associer toutes ces données. Le but est de pouvoir les utiliser pour nous-mêmes en termes de connaissance client mais évidemment aussi de les mettre à disposition du marché.
Notre priorité est donc de travailler intensivement sur l’amélioration de la qualité et de la diversité de ces bases de données. Au plus la donnée est riche, au plus on peut combiner de la socio-démo fine, et au plus on est capable de construire des modèles prédictifs et déductifs, de créer des segments pertinents.
Par ailleurs, la pédagogie et l’accompagnement de nos lecteurs sont cruciaux. Il faut leur expliquer l’échange de valeur, le bénéfice qu’ils ont à partager leurs données, les rassurer sur leur utilisation, montrer que nous sommes un partenaire local, fiable et de confiance. Nous traitons donc ce chantier sérieusement mais sans nous précipiter, pour que tout soit impeccablement géré. Cela requiert beaucoup de travail que nous effectuons avec nos éditeurs au sein d'une cellule dédiée à la customer experience. Elle rassemble une quarantaine de personnes et elle est active pour la Belgique et la France.
Edouard De Witte : Cette gestion des données est un exercice technologique complexe qu’il faut aborder de manière transversale parce que les besoins sont différents. Toute la difficulté est de combiner les besoins des éditeurs et de la régie pour créer une base commune.
Votre approche technologique est-elle liée à celle de votre partenaire DPG Media qui a mis en place son Datalab ?
Coralie Vrancken : Pas à ce stade. Pour le moment nous avons des approches technologiques distinctes.
Travaillez-vous sur le partage de données avec les Data Clean Rooms ?
Edouard De Witte : Nous avons développé une solution interne pour agréger les audiences des différents sites du groupe Rossel mais pour ce qui concerne le partage de données avec des acteurs extérieurs, il n’y a rien de concret à l’heure actuelle. Nous n’avons pas encore opéré de campagnes mixant nos données à celles de partenaires et nous n’avons pas défini une solution DCR particulière. Notamment parce que la vraie question est de savoir s’il y a un réel potentiel commercial.
Cette ère post cookies tiers est-elle un vecteur de progression de chiffre d’affaires ?
Coralie Vrancken : Nous n’avons pas de boule de cristal, mais je pense que les médias qui seront bien préparés sur la first party data de qualité feront la différence. Il s’agit avant tout de garder les bonnes alternatives, de garantir le respect de la vie privée, d’être bon sur la first party data et sur l’accompagnement de l’utilisateur.
Edouard De Witte : Je suis encore plus positif. La disparition des cookies tiers est une vraie opportunité à terme, cela va assainir l’ensemble de l’écosystème au profit des éditeurs locaux qui investissent beaucoup d’argent dans leurs rédactions pour produire du contenu de qualité.
IPM ADVERTISING - Thierry Hottat et Mathias Beke
Mathias Beke, Head of Digital chez IPM Advertising : « La fin des cookies sera une prime à la taille. Au plus on est grand, au mieux on pourra continuer à répondre aux besoins de ciblage du marché. Il y a bien sûr les grands acteurs internationaux, mais avec nos 3 millions de visiteurs uniques par mois nous avons une taille importante sur notre marché francophone. Et grâce aux larges transformations technologiques et systémiques opérées par la régie au cours des dernières années, nous disposons de solutions depuis un moment déjà. La fin des cookies tiers est donc plutôt une opportunité, parce que cela va effectivement favoriser les médias de taille importante. »
« Ce sera clairement plus compliqué pour les petits éditeurs », ajoute son collègue Thierry Hottat, Director of Operations. « Travailler le login based, le first party data, suppose du volume, les petits sites pointus et très ciblés auront une audience probablement très qualitative, mais très peu de volume. »
Quelle est votre approche pour aborder cette nouvelle ère ?
Thierry Hottat : Cela fait trois ans que IPM travaille sur le cookieless. C'est un travail de fond qui a impliqué une remise à plat fondamentale de nos systèmes. De l’édition du contenu à l’identification des audiences, du travail de matching à l’analyse de l’intention, du comportement et de l’intérêt de nos audiences. Cela nous a amené à mettre en place une nouvelle plateforme de publication pour les rédactions et une solution européenne de gestion des identités, Piano. Une suite logicielle dont les éléments sont interconnectés et qui nous permet une analyse fine de nos contenus et de suivre nos différents surfeurs, sans l’apport de cookies.
Mathias Beke : Ce qui est remarquable, c’est que la réponse d’IPM à cette évolution des cookies n’a pas été basée uniquement sur une approche publicitaire. Elle a impliqué toute la chaîne de production, de la rédaction à la régie en passant évidemment par l’IT. Aujourd’hui, nous pouvons identifier des contextes et des thématiques clairs sur l’ensemble du portefeuille et donc de pouvoir proposer un ciblage intelligent.
Thierry Hottat : Nous utilisons beaucoup de machine learning pour tout ce qui concerne la structuration des textes et nous testons des outils pour avoir la même richesse de segmentation pour la vidéo. Pour l’instant, nous nous appuyons ici sur l’humain, parce que nous sommes certains que cela fonctionne mieux.
ROULARTA MEDIA - Lara Chammah
« Nous ne voyons pas cette disparition des cookie tiers comme une menace tout simplement parce que nous y sommes préparés, et depuis longtemps. » Chez Roularta Media, la Head of Digital, Lara Chammah, partage le même optimisme que ses collègues des autres régies.
« Il faut tout d’abord comprendre que nous disposons de beaucoup d’abonnés. Toutes ces first party data sont rassemblées dans une seule et même base de données. Ce qui est évidemment une force pour nous. A partir de là, nous avons commencé par tester la Data Clean Room InfoSum, en programmatique garanti, en collaboration avec Carrefour. Cette première expérience nous a permis d’identifier les bons et les mauvais côtés de ce type d’outil. Depuis, nous avons aussi testé LiveRamp, toujours avec Carrefour, et de nombreuses autres solutions. »
Quel est l’avenir des Data Clean Rooms de votre point de vue ?
Lara Chammah : Comme je le disais, de notre côté, nous sommes prêts avec quasiment toutes les technos disponibles puisqu’il nous faut nous adapter au choix du client.
Aujourd’hui, nous en avons quelques-uns qui sont prêts à utiliser ces DCR mais globalement, le marché est encore en phase de découverte. Vu la situation économique actuelle, je peux comprendre que ce ne soit pas une priorité pour certains annonceurs et publishers. La mise en place de ces solutions est très chronophage et cela demande l’intervention de plusieurs interlocuteurs au sein des entreprises, encore plus s’il s’agit de groupes internationaux.
Quelles sont les autres options ?
Nous avons travaillé nos segments sur base des parcours de nos visiteurs et mis en place des thématiques-clés - l’axe féminin évidemment, les news business, la santé, etc. Nous proposons aussi des segments transversaux à travers nos quelque 40 sites, sans oublier que nous avons la chance d’avoir un contextuel très varié de par le nombre de marques que nous avons en régie. Cela nous permet de proposer par exemple une pub beauté sur un contexte beauté.
Par ailleurs, nous travaillons aussi sur base de mots-clés avec la solution Grapeshot qui nous permet de créer des segments à la demande, une meilleure brand safety en fonction de l’actualité et aussi des segments basés sur les sentiments.
Nous avons clairement l’avantage de disposer de marques très fortes sur le marché et d’un très gros volume d’impressions. Nous développons aussi notre app "Mes Magazines" ‘’sur laquelle les utilisateurs accèdent aux contenus qui les intéressent quel que soit le titre qui les a produits. Une lecture thématique donc, plutôt que par titre. Nous cherchons ici un confort pour le lecteur, basé sur ses intérêts, et non plus nécessairement par marques.
Pour le reste, nous proposons toujours les approches classiques de Run On Network (RON), Run Of Site (ROS) et de nombreux packages, en direct ou en programmatique.
La disparition des cookies tiers va-t-elle impacter votre chiffre d’affaires ?
Non, je ne pense pas parce que tous les acteurs se retrouvent dans le même bain. Chacun s’adapte, nous les premiers, et nous utiliserons les solutions les plus adéquates en connaissance de cause. Les besoins de communication ne vont pas disparaître, encore moins dans le digital. C’est plus au niveau du reporting que cela pose problème. Cela engendre plus de travail pour nos équipes.
Aujourd’hui, c’est le flou actuel de Google qui est inconfortable. Si on se doute de la finalité, on ne sait pas quand et même pas quoi... Cela nous oblige à anticiper sur des suppositions, à nous préparer à tout - ce que nous avons fait - et à rester à niveau.
MEDIAFIN + TRUSTMEDIA - Sven Lybaert et Tim Lacroix
Avec ses titres De Tijd et L’Echo, Mediafin et sa régie Trustmedia occupent une position particulière. Absents de l’open market programmatique, les sites du groupe ne sont pas directement impactés par cette disparition des cookies tiers qui ouvre cependant une nouvelle ère pour l’écosystème publicitaire global. Explications avec Tim Lacroix, Data & Analytics Manager de Mediafin, et Sven Lybaert, Head of Digital & Agencies de Trustmedia.
« Cela fait plus de 10 ans que nous collectons les données de nos abonnés. C’est ce qui fait notre force d’autant que notre lectorat se développe et que l’acquisition des sites Luxe Vastgoed/Immo de luxe et Open The Box nous a permis d’enrichir notre base de données avec des profils à haut pouvoir d’achat et avec des données professionnelles telles que les fonctions dans les entreprises et les secteurs d’activité de celles-ci », confirme ce dernier.
Tim Lacroix : Le traitement de ces données repose sur notre propre DMP qui nous offre une très grande flexibilité, notamment pour gérer l’intégration des données de ces acquisitions. Le travail d’enrichissement est cependant un processus continu. Outre les acquisitions dont parle Sven, nous intégrons également les données des participants à nos événements et nous organisons régulièrement des campagnes d’enrichissement. La prochaine portera justement sur les fonctions et les secteurs d’activités de nos abonnés.
Les informations que nous recueillons sont aujourd’hui centrales pour toutes nos activités. Pour la régie évidemment mais aussi pour la rédaction, notre pôle événements ou encore pour le développement des processus de recommandation de contenu.
Sven Lybaert : Ces données, nous permettent de construire des segments strictement en phase avec l’ADN de nos titres et le profil de nos lecteurs : entrepreneurs, chef d’entreprises, investisseurs. Des profils disposant généralement d’un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne.
Tim Lacroix : Nous travaillons ces segments en permanence et les traduisons dans notre ‘’Audience Playbook’’, le document qui regroupe nos principaux segments à destination de l’équipe commerciale. Il reprend les caractéristiques détaillées de chacun de ces segments pour une transparence maximale.
Sven Lybaert : Cette transparence est très importante pour nous, de même que la qualité de nos offres commerciales. Notre atout est que 90% des visiteurs réguliers de nos sites sont enregistrés et que 60% sont logués lors de leurs visites, ce qui nous permet d’offrir une très grande qualité de targeting.
Nous avons aussi travaillé la qualité de notre offre contextuelle avec la solution ADmantX d’Integral Ad Science qui analyse le contenu mais aussi la tonalité des articles. Ceci s’intégrant dans notre ‘’Charte Numérique’’ mise en place en 2017 qui garantit les standards de qualité les plus élevés du marché numérique belge.
Quelle est votre approche en matière de Data Clean Rooms ?
Nous avons réalisé des tests avec les acteurs présents en Belgique et nous restons en contact permanent avec eux mais c’est encore un peu tôt. La demande n’est pas encore très forte, peut-être parce que ces plateformes se sont focalisées sur les éditeurs et un peu moins sur les annonceurs.
Tim Lacroix : En fait, à ce stade, nous pouvons même gérer ces échanges de données en interne. Techniquement parlant ce n’est pas insurmontable. Nous l’avons fait pour une campagne avec l’UBA par exemple. Cela demande évidemment d’avoir une relation de confiance avec l’annonceur mais c’est faisable même avec des gros volumes de données.
Sven Lybaert : il ne faut pas non plus négliger le coût et le délai de mise en place. Chacune de ces solutions a évidemment un coût qui s’ajoute à celui des outils que nous utilisons déjà. La mise en place quant à elle implique le département légal, les DPO et les équipes IT des entreprises. Si de notre côté, nous pouvons être opérationnels en deux mois, ce processus peut prendre de 12 à 18 mois chez certains annonceurs. D’autant plus pour ceux qui dépendent d’un siège social à l’étranger.
Enfin, l’overlap n’est pas toujours suffisamment important, particulièrement dans nos segments premium. On arrive alors dans l’hyper targeting avec des volumes trop peu significatifs que pour être activés.
Comment appréhendez-vous l’avenir ?
Tim Lacroix : La disparition des cookies est une vraie opportunité pour le marché, elle va avoir un impact considérable sur la qualité des données utilisées dans l’écosystème publicitaire digital. Cela valorise tout le travail que nous faisons sur nos données. Notre avenir est plus basé sur ces enrichissements que sur la technologie elle-même.
TOUTES CES INTERVIEWS SONT ISSUES DE NOTRE NEWSLETTER MM TECH.`