Nl

BRANDS

Benjamin Sekkai: les six mois hyperactifs du CMO de Stellantis

Dimanche 23 Février 2025

Benjamin Sekkai: les six mois hyperactifs du CMO de Stellantis

Ceux qui le connaissent le savent déjà légèrement agité de nature, genre tour de contrôle à JFK aux heures de pointe. Benjamin Sekkai est arrivé à point nommé dans le méga-groupe aux 14 marques, pour satisfaire son envie d’apprendre, de changer et aussi, de construire. Nous l’avons interrogé pour connaître ses recettes dans des temps difficiles, à ne pas essayer à la maison.

Vous avez embarqué chez Stellantis à la veille d’un Salon qui n’a plus eu lieu depuis un an, dans un secteur qui ne va pas très bien et une entreprise dont le management est perturbé et les indicateurs, fragiles. Et c’est votre première chez l’annonceur. Comment gère-t-on tous ces challenges en même temps ?

C’est complexe en effet, mais c’est intéressant. Et nous pouvons parler au passé pour certains de ces aspects, parce qu’entretemps nos marques vont mieux et le Salon a été très bon. Le départ de Carlos Tavares un peu brusque, a aussi fait place à une nouvelle approche des marchés que je trouve pour ma part opportune. Un modèle qui convient bien et mieux au "local". Donc nous sortons de la période de turbulence mais il reste encore de grands projets à faire aboutir et des chiffres ambitieux à atteindre.

Vous êtes par ailleurs confirmé dans vos fonctions, après un début un peu chahuté. Votre parcours plutôt agences et tech ne vous prédisposait pas directement à ce type de job.

Selon les apparences. J’ai dû entendre à mon arrivée, en effet, des commentaires comme quoi je n’avais « jamais vendu de bagnoles ». Mais il faut considérer les hard skills nécessaires à la mission qui m’attendaient, et ce n’était pas du commercial au sens strict : nous sommes certainement dans du business pur, s’exprimant ici par de la performance, passant par les technos et l’IT, dont un outil de sales leading en ligne. Et cela, c’est bien mon terrain de jeux. Quant à la pression sur les chiffres, j’ai été biberonné à cela depuis plus de dix ans. Enfin, j’adore le secteur auto, et c’est un plaisir de pouvoir y travailler de l’intérieur.

Quelles sont vos priorités à court terme ?

Le rôle des concessionnaires et des interactions physiques avec les consommateurs est primordial. Mon rôle inclut la reconnexion avec ce réseau, dans une phase complexe pour eux. 

Je vais entreprendre une tournée pour mieux connecter les demandes avec les attentes du groupe. Une priorité consiste aussi à alimenter la plateforme de ventes omnichannels. Sans compter l’animation d’une équipe plutôt nombreuse, qui a connu déjà pas mal de changements en deux ans. Je pense qu’il fallait surtout être agile et humble, si je puis me permettre, pour ne pas se planter et même être rapidement efficace. Car le Salon n’attendait pas et toute la chaîne du travail non plus.

Que dire de ce fameux Brussels Motor Show qui réapparaît alors qu’on craignait pour sa disparition ?

Sur le plan des résultats, ce fut très positif, pour nous, mais aussi pour d’autres constructeurs. Sur le plan personnel, cela a été une expérience humaine incroyable. Ce que vous vivez avec vos collègues et dans un stress plutôt positif, est un événement dans l’événement, et sûrement une façon accélérée d’entrer dans le secteur et l’entreprise. C’est un point d’orgue pour le marketing et tout le marché en général. Je suis tombé dedans directement.

Et quant aux soft skills, de quoi avez-vous pu bénéficier pour non seulement tenir le coup mais être efficace comme vous dites ?

Un peu d’humilité, la capacité à comprendre qu’on n’est pas meilleur que les autres, et que l’on a beaucoup à apprendre. Avoir une vue d’hélicoptère, aussi - je pense que c’est une de mes facultés - et parce que j’ai dû le faire souvent dans le passé. Parvenir à déconnecter enfin, ce qui est lié ! Pas du boulot, mais "au boulot". Voulant dire, donner sa juste importance à toutes choses et ne pas gaspiller du temps et de l’énergie à certains sujets un peu problématiques. Ne pas s’exciter pour rien, comme les contraintes de l’international, par exemple. Vous en avez partout et il « faut faire avec ». J’oriente mes collègues dans ce sens : lâcher prise à certains moments.

Le siège est très directif chez Stellantis ?

Beaucoup moins à présent, justement ! Je parlais au début d’un changement de modèle depuis le départ du CEO : le headquarter est passé de Paris à Turin. Rien à voir avec l’aspect culturel des deux nations, mais le style des nouveaux top managers et les nouvelles lignes de fonctionnement évoluent vers un mieux. Nous bénéficions de plus d’empowerment au niveau local. Et même au niveau des marchés, vous pouvez distinguer le national et le régional. Dans le secteur automobile, l’aspect "local-local" est très important. A savoir le niveau concessionnaire.

Vous travaillez donc à trois niveaux : l’international, la Belgique et par zone.

Oui, vers le haut, c’est ce que j’appellerais du "stakeholders management" pour ne pas dire de la politique. Trouver les bons contacts dans le groupe Stellantis, et bien travailler avec eux, sans se soucier de ce qui s’est passé avant mon arrivée. Vous savez, je suis sans a priori. Dans une grande structure, il faut se faire ses opinions soi-même. Et sur le plan national, j’ai une équipe géniale avec des personnes très capables. Ce sont des experts autonomes, et il me reste suffisamment à faire ! J’avais une tendance fâcheuse à vouloir tout gérer mais ici c’est impossible. Je ne peux pas me disperser, je dois rester cohérent et stable. Dans mes jobs précédents dont plusieurs étaient polyvalents, j’ai été habitué à autre chose.

Cette fonction de CMO vous a changé en quelque sorte ?

Oui, franchement. Une forme de maturité supplémentaire, où j’ai dû apprendre la patience également, qui n’était pas mon fort. Après, je suis retombé sur l’essentiel, à savoir atteindre des KPIs purs et durs, et je fonctionne à cela depuis toujours. En gros, le centre me demande de justifier les budgets, les efforts, sur base de ce qui fonctionne et de façon démontrée. Un peu à la japonaise. Pour certains, c’est pénible ; pour moi, prouver que ce que vous faites est efficace me semble assez normal.

Pouvez-vous nous en dire plus sur les objectifs de Stellantis pour 2025 ?

Je peux certainement partager le fait que nous sortons du marasme et que nous préparons de belles campagnes, avec de beaux produits dans les gammes des différentes marques. Notre priorité stratégique est de regagner la confiance à tous les niveaux. C’est-à-dire en premier, à l’interne et vers le réseau - comme je l’ai dit, c'est essentiel. De la confiance avec nos partenaires car dans un passé récent, nous avons été assez "durs" avec eux, ce qui est révolu. Enfin, et c’est tout aussi important, de la confiance auprès du consommateur d’où, entre autres, nos futures campagnes. Le bas du "funnel" et la plateforme de commande multi-canaux restent aussi un développement de premier plan.

Votre parcours est "riche", pour ne pas dire que vous aimez le changement. Qu’est-ce qui pourrait nous faire croire que vous avez trouvé une position où vous souhaitez vous installer pour un certain temps ?

(sourire) Je vous ai dit que j’aimais le secteur auto, et c’est vrai. Les challenges rencontrés n’étaient pas douloureux et je pense être arrivé dans un bon momentum, à la fois chez Stellantis et dans ce secteur. Je vois l’année 2025 comme positive, au niveau micro- et macro-économique. Je sens aussi que le groupe élargit sa vision des marchés et ne réfléchit pas que sur les bases internes, nos marques, même si elles sont nombreuses : nous regardons plus les concurrents et cela nous enrichit. 

Je dirais, en résumé, que cette fonction dans cette entreprise et moi n’étions pas faits l’un pour l’autre il y a un an d’ici. Mais aujourd’hui et demain, certainement.

Archive / BRANDS