Nl

AGENCIES

Les pitches, ce mal nécessaire

Dimanche 26 Mai 2024

Les pitches, ce mal nécessaire

Dans le monde ultra-compétitif des agences, les pitches représentent une facette à la fois cruciale et contestée du développement des affaires. Dans ce dossier, nous vous proposons de plonger au cœur des enjeux des compétitions d'agences, plus précisément des pitches créatifs. Avec à la clé, des perspectives pour optimiser cette pratique incontournable.

Dossier réalisé par Bruno Liesse et Damien Lemaire
 
En mars dernier, en collaboration avec PitchPoint, l’UBA et l’ACC publiaient un livre blanc très complet d’une cinquantaine de pages consacré aux pitches dits créatifs, décrits comme « la pierre angulaire du processus d'appel d'offres ». 
 
Principal enseignement : le document confirme que ces compétitions d’agence coûtent cher : en moyenne, entre 412.000 euros/an par agence, si l’on se base sur les 62 membres ACC qui ont documenté le rapport. Avec aussi un effet collatéral pour les annonceurs, comme le relevait Luc Suykens, CEO de l’UBA : « Cela signifie que sur 100 euros qu'un client verse à son agence, près de 10 euros sont utilisés pour essayer de gagner de nouveaux clients. »
 
Du reste, ces chiffres sont encore plus élevés pour les agences full service : en moyenne, 664.000 euros/agence. Soit pas moins de 83% du bénéfice avant impôt d'une agence moyenne. 
 
« Il est donc important que chacun réfléchisse bien avant de se lancer dans une compétition. Les marques doivent d'abord vérifier comment elles peuvent optimiser la relation avec leur agence actuelle. Si une nouvelle compétition est vraiment nécessaire, elles devraient suivre de bonnes règles pour la gérer, comme celles édictées par l'UBA, l’ACC et l’UMA (dans le cas des pitches médias, ndlr.) », ajoute Luc Suykens.
 
« En collaboration, nous avons donc décidé de mettre l'accent cette année sur l'ajustement des procédures de pitch. Notre approche s’apparente à une fusée à sept étages », explique Johan Vandepoel, CEO de l’ACC. Soit dans le détail : 

« Une cartographie des coûts horaires et des coûts directs du pitching pour toutes les disciplines ; 
suivi d'un livre blanc sur les coûts directs et cachés du pitching ;
le lancement d'un Self Service Pitch Pack par PitchPoint ;
la publication d'un modèle type de briefing de pitch ; 
la remise à niveau des lignes directrices de l'UBA/ACC/UMA en matière de pitch, avec une répartition claire entre les pitches ad hoc et les pitches à long terme, et avec la recommandation de choisir l'agence par le biais de chemistry meetings et l'indication des seuils de revenus par catégorie avant de procéder à un pitch ;
la mise à jour du contrat UBA/ACC existant et son extension à l'UMA ;
et enfin, la gestion des appels d'offres des pouvoirs publics, au programme pour 2025. » 

L'UBA et l'ACC se sont toutes deux engagées à communiquer largement sur toutes ces étapes, avec notamment une campagne sur LinkedIn pour promouvoir le livre blanc et inciter les prospects à suivre les lignes directrices des associations précitées.
 
Preuve que la thématique est sensible, non pas sur le plan du principe même de ces confrontations, mais quant à leur déroulement et la façon correcte d’appliquer des processus qui soient justes.

« Pour sélectionner une agence, il n'est pas nécessaire de lancer un appel d'offres. Dans la plupart des cas, une présentation ciblée des références combinée à un chemistry meeting suffit. »
La présidente de l’ACC, Karen Corrigan (Happiness), évoque d’ailleurs les effets bénéfiques indirects des pitches : « C’est aussi un benchmark pour savoir où vous en êtes, surtout en cas d’échec, notamment quand vous ne passez pas le cap de la shortlist. Une occasion unique d’apprendre et de s’améliorer, de ne pas rester conservateur dans la gestion de votre agence et des métiers. » 

Johan Vandepoel confirme, avec un autre angle :
« Les sélections d'agences sont un "mal nécessaire" dans notre secteur. Sans elles, les clients ne peuvent pas connaître les agences et les nouvelles agences ne peuvent pas se faire connaître. Mais pour sélectionner une agence, il n'est pas nécessaire de lancer un appel d'offres. Dans la plupart des cas, une présentation ciblée des références combinée à un chemistry meeting suffit. »
 
La patronne de Happiness nous décrit "son" process qui se limiterait idéalement à cette phase de chemistry meeting, sur le mode du RFI, plutôt que du RFP d’office : « Il faut surtout poser les bonnes questions, sujet où l’ACC peut aider, et par exemple demander à l’agence de présenter des cas de campagnes existantes, mais où celles et ceux qui en ont été responsables travaillent encore pour l’agence. » 
 
« Nous mettons donc en place des barèmes qui montrent comment l'organisation de pitches peut entraîner une fuite de talents dans l'industrie », enchaîne le CEO de l’ACC. « Malheureusement, en vertu de la législation sur la libre concurrence et la tarification, nous ne pouvons pas imposer ces règles. Pour la même raison, il n'est pas permis non plus d'exiger des prospects qu'ils offrent une compensation financière, mais l'ACC fournit à ses membres des directives sur ce que pourrait être une juste rétribution pour les agences non retenues. Cette compensation est symbolique, certes, mais elle assure que l’organisateur d’un pitch prépare minutieusement son briefing en interne et obtienne l'approbation de sa direction avant de lancer le processus. Cela aide également à prévenir l'ajout inopportun d'agences sur la liste des prospects. »
 
Il faut savoir que la procédure des grandes compétitions créatives ne connaît pas sa correspondance dans d’autres secteurs, s’agissant des nombreux exercices et analyses qui sont parfois demandés. Karen Corrigan évoque une référence intéressante, celle des projets architecturaux aux Pays-Bas : « Ils sont rémunérés sur base de tarifs précis après la première phase de consultation, pour les questions concrètes et les maquettes. Ce qui est particulier ? Ils en ont fait une loi ! » D’après la présidente de l’ACC, le coût minimum pour les côtés pratiques des appels d’offres chez nous serait de minimum 50.000 euros et montent jusqu’à 100.000 euros pour la plupart. 
La meilleure façon de justifier ces dépenses serait d’avoir un scope de départ pertinent, d’après Johan Vandepoel : « L'ACC aide ses membres à poser les bonnes questions dès le début d'un pitch, y compris sur la rémunération. Toutefois, dans de nombreux cas, les agences cherchent à acquérir de nouveaux clients et à augmenter leurs revenus ou simplement à obtenir des contrats supplémentaires pour optimiser l'occupation de leurs talents, ce qui les rend prêtes à beaucoup de concessions. »
« Au sein des agences créatives, la négociation des investissements n'est généralement pas le principal moteur pour participer à un pitch, mais nous constatons que cela devient un problème lorsque le procurement du client est impliqué dans le processus. L'UBA s'est engagée à mieux connaître cette audience et à mieux communiquer avec elle. »

 « Vous avez tout simplement deux catégories de pitches : les "clean" et les "pas clean". »

Reste le point difficilement abordable de la transparence de ces compétitions, de l’intention réelle de changer d’agence ou, a contrario, de l’intérêt réel pour l’agence sortante d’y participer, voire du fait d’une préférence installée pour une agence dès le départ. 

Karen Corrigan n’est pas tendre, et l’on sent qu’elle a dû vivre quelques expériences décevantes : « PitchPoint fait un travail très positif, mais toutes les compétitions ne sont pas pilotées par des consultants spécialisés. Vous avez tout simplement deux catégories de pitches : les "clean" et les "pas clean", voulant dire les vraies compétitions, et les autres… Pour autant, ne soyons pas mauvais perdants : les agences doivent à ce sujet arrêter de jouer les Calimero pour des conclusions qui seraient injustes, et dire que c’était mal géré parce qu’elles ont perdu. Ici je parle des processus où l’on ne communique pas tout, ou pas clairement. Il faut de la transparence et de la neutralité, de l’objectivité de toutes les parties. Aussi de la part des agences, qui parfois d’ailleurs ne sont pas des agences - les régies abordent de plus en plus des compétitions sur les contenus - alors que nous ne sommes pas tous capables ou vraiment compétents pour tout. »

« La course vers le bas est un grand danger pour notre secteur, c'est pourquoi l'ACC, conformément à sa note de vision, va fortement miser sur la "Connexion Client" dans les années à venir, en démontant le succès de partenariats solides sous plusieurs aspects », conclut Johan Vandepoel.
Les Best Practices
« Pitches are a good thing ». Le CEO de l’UBA, Luc Suykens, joue la carte de la phrase-choc et simple, limite provoc’. Mais il poursuit très vite : « Le problème est qu’il y en a trop, et pour de mauvaises raisons ». Le marché respire : l’association des annonceurs reconnaît une problématique cruciale avant de parler des processus eux-mêmes - la fréquence des mises en question des prestataires, et les motivations parfois erratiques derrière ces appels d’offres. 

Constat que confirme Martine Ballegeer chez PitchPoint : « Je peux dire que dans 50% des cas, la compétition n’était pas justifiée ou en tous cas, peu explicable. En fait, en demandant à mes clients quelles étaient leurs attentes par rapport à une future agence idéale, force est de constater que le partenaire en place preste correctement sur les qualités et services attendus, en tous cas selon ma connaissance des agences. »

Mais pour quelles mauvaises raisons dès lors tout remettre à plat ? « Pour des causes parfois très opérationnelles », se désole Martine Ballegeer. « Peut-être pas des détails, mais certaines erreurs à répétition ou des petites faiblesses non dites sur la longueur... En fait, la raison est in fine liée à un manque de communication directe et transparente. » Et la responsable de PitchPoint de préciser que l’essentiel de son activité ne consiste pas à gérer des "sélections d’agences" – un terme qu’elle préfère nettement à celui de pitch où la notion confrontative serait excessive. En effet, le core business de PitchPoint relève plus du conseil et de l’accompagnement aux clients. 

« Certaines exagérations dans la dépense viennent proactivement de certains soumissionnaires, pas toujours de l’annonceur. Il faut de la discipline des deux cotés. » 
Martine Ballegeer revient sur les propos de Luc Suykens : « Les compétitions sans doute trop fréquentes et pas toujours clairement justifiées, mais elles sont de plus en plus lourdes, aussi. A ce sujet, il faut souligner que ce sont parfois les agences qui en font trop. Et qui développent de la création dans un stade précoce, par motivation. Certaines exagérations dans la dépense viennent proactivement de certains soumissionnaires, pas toujours de l’annonceur. Il faut de la discipline des deux cotés. » 
Reste le point central de la charte UBA-ACC, qui serait trop peu et même de moins en moins respectée : « Je n’ai pas de solution pour cela », regrette Martine Ballegeer, notant au passage que « le paiement d’une compensation est difficile pour les petits annonceurs. » Étant entendu que les deux associations devraient preuve d’un peu plus de pression auprès de leurs membres, mais il s’agit d’autorégulation et non d’un cadre juridique, comme l’expliquait Johan Vandepoel. 

Elle poursuit : « Il faudrait surtout que les clients et leurs agences adoptent de meilleures pratiques dans leur collaboration pour ne pas en arriver à devoir rompre. D’ailleurs en cas de consultation, nous commençons par diagnostiquer le problème pour voir dans quelle mesure nous pouvons éviter le pitch. » Sans parler de détails ou de problèmes anecdotiques, la crise peut provenir d’un souci relationnel entre deux personnes, des erreurs de facturation, une trop faible expertise dans une discipline de plus en plus sollicitée, des problèmes de délai ou de respect de processus, des changements divers… « A la base, les clients ne demandent que trois choses aux agences : comprendre la marque, son business et avoir envie de travailler avec eux tous les jours. Il peut y avoir des variances dans le temps, mais il suffit parfois d’être cash dans les commentaires, de réaliser des points intermédiaires - en dehors des bilans de campagne - et de se montrer créatif dans les processus. » 

Et d’évoquer le fait que, parfois, dans les évaluations, les critiques ou avertissements sont parfois évasifs, édulcorés, adoucis, et du coup ne passent pas comme des remédiations à adopter. PitchPoint propose à cet égard et depuis plusieurs années un modèle dénommé "Collab" qui sert de guide actif pour ne rien oublier. « Trois grand sujets : l’expertise, les processus et la lassitude - pour l’éviter donc - avec 10 questions à la clé pour chacun d’eux », explique Martine Ballegeer. 

A ce niveau, on notera un élément intéressant : sur base des données de son outil d'évaluation, en 2022, PitchPoint établissait un nouveau benchmark des relations agences-annonceurs. Il ressortait de ces analyses que, dans l'ensemble, celles-ci étaient très bonnes : les marques attribuaient un score moyen de 7,4 à leur agence, identique au score moyen de 2021. Dans le détail, pour les dimensions "process" et attitude, les notes allaient de 7,1 à 7,6. Soit là aussi, les mêmes moyennes qu'en 2021. De leurs côtés, les agences donnaient à leurs clients une meilleure note moyenne en 2022 qu'en 2021 : 7,7 vs. 7,4 (7,5 pour l'expertise, 7,7 pour le process et 8 pour l'attitude). Alors qu'en 2021, les annonceurs demandaient une attention particulière au planning et au ROI, ces éléments se sont aussi améliorés en 2022 (respectivement 7 et 7,1). Dans le même temps, le feedback autour de la notion d'insight évoluait également positivement (de 6,6 à 6,8).

Pour en revenir à la questions des pitches, Luc Suykens conclut d’une nouvelle phrase-choc, mais s’en explique aussi vite : « Les compétitions représentent un gros chantier tant pour les agences que pour l’annonceur ! Et pas uniquement durant la consultation, mais aussi dans la période de transition qui va suivre. Une rupture (avec son agence, ndlr.) représente un gros travail d’immersion pour la nouvelle agence, et aussi pour le client. Donc outre le risque, la déperdition économique est importante… Personnellement, en 30 ans, je pense que j’ai dû mettre en cause deux fois un partenaire. Dans la mesure du possible, l’établissement d’une bonne collaboration et sur base d’un modèle complet et sérieux comme le propose PitchPoint, permet aux marques et à leurs agences de rester efficaces sur le long terme. »
Are you pitching to me?
Pour clôturer ce dossier, nous sommes allés à la rencontre de quelques agences de taille modeste ou moyenne, a priori les plus représentatives de la problématique, leur bonne santé financière, voire prospérité, dépendant souvent de leurs participations aux compétitions.
 
Première question, histoire de rentrer immédiatement dans le vif du sujet : "Dans l’absolu, comment se déroulent les pitches auxquels vous participez ?"
 
« Ce sont des processus intenses », se lance tout d’abord le co-fondateur et Managing Director de Federate, Thomas Danthine. « À notre échelle (l’agence emploie moins de 10 collaborateurs, ndlr.), en coût réel, un pitch représente un investissement compris entre 10.000 et 20.000 euros pour les plus petits, et entre 50.000 et 75.000 euros pour les gros. Pas étonnant, dès lors, que la rentabilité des agences soit sous pression, avec souvent en année 1, une marge bénéficiaire permettant tout juste d’éponger l’investissement ! Ajoutez à cela le fait, pas si rare non plus, que le gain d’un pitch ne débouche pas forcément sur une relation long terme - car simple one shot, relation qui se dégrade, arrivée d’un nouveau CMO ou CEO, coupe dans le budget, ou encore, changement de plan marketing -, et vous comprendrez aisément que l’exercice est parfois périlleux pour une agence de notre taille. »
« De manière générale, les pitches sont le reflet des demandes du marché : toujours plus vite et moins cher, mais avec une qualité équivalente », enchaîne Pauline Heraly, Managing Partner & CEO de Air. « Une équation difficile à résoudre, contre laquelle nous continuons néanmoins de nous battre à coup de longues explications et de pédagogie bien cadrée, afin de clarifier à nouveau l’expertise des agences, ainsi que leur valeur ajoutée. »
 
Selon elle, le (bon) déroulement des compétitions dépend essentiellement de leur provenance : pitch institutionnel, pitch orchestré par PitchPoint et équivalent ou pitch en direct avec l’annonceur. « Généralement, les deux premiers sont bien encadrés ; en revanche, les troisièmes posent davantage problème, et ce, à plusieurs niveaux : sélection des agences participantes sans avoir parfaitement clarifié les besoins réels et les attentes, processus de travail très court, grilles d’évaluation manquantes ou incomplètes, briefing souvent revu en cours de route, ou encore, dans certains cas, non partage des informations business, pourtant fondamentales pour permettre à l’agence de faire du bon boulot… »
Même son de cloche chez at-thetable, qui participe beaucoup à des appels d’offres publics, où la Managing Director, Eva De Gendt, reconnaît également que les pitches sont dans l’ensemble « assez efficaces », mais que « cela reste quand même un peu une "boîte noire", où tout se déroule via une plateforme officielle, sans aucun contact humain ! Par ailleurs, quiconque souhaite participer peut facilement le faire, la concurrence est donc souvent très forte et féroce. »
More is less
 

Question suivante : "Que reprochez-vous principalement aux pitches, tels qu’ils sont organisés aujourd’hui ?"
 
« Nous remarquons de plus en plus de contraintes, un manque d’informations - notamment au niveau des briefings à nouveau, rarement complets - et de transparence, ainsi que, comme je l’ai évoqué, un retour à l’inflation du nombre de participants… Tout cela complique inutilement le processus et crée un contexte dans lequel une agence ne peut pas donner à l’annonceur le meilleur d’elle-même », répond la boss de Air. 

« Un pitch n’est jamais représentatif d’une véritable collaboration, comme celle que nous nouons généralement avec nos clients, qui engendre un travail souvent bien meilleur, parce que collectif et non uniquement le résultat de cogitations isolées sur un brief pendant deux ou trois mois », constate pour sa part le Managing Director de Lucy, Jonas De Wit. « Les annonceurs, en particulier les gouvernements, ne se rendent pas toujours compte qu'ils risquent de passer à côté de l'agence idéale en s’obstinant à trop s’appuyer sur le produit fini, au lieu de tester une véritable collaboration… »
Et le patron de Lucy d’ajouter : « Dans le même esprit, il y a à peine cinq ans, la présentation d’une bonne stratégie et d’un bon concept créatif suffisait amplement. Aujourd’hui, il n’est pas rare que le prospect attende également une étude préalable, un plan média détaillé, l’intégralité du funnel, les touchpoints, une analyse des KPI, etc. Autrement formulé, les annonceurs recherchent avant tout une sorte de guichet unique, plutôt qu’une agence créative à proprement parler. »
Thomas Danthine abonde : « Il ne s’agit plus d’uniquement faire preuve de créativité avec des cases existants, de présenter l’équipe et son expérience, ou de démontrer que l’on pourrait être un bon partenaire grâce à des premières réflexions stratégiques pertinentes. Désormais on vous demande de réaliser une ou plusieurs campagnes de A à Z, avec une réflexion stratégique en amont et un plan média en aval, en incluant toutes les déclinaisons en termes de notoriété, conversion, rétention, etc. Le tout évalué sur la base d’un simple document écrit et souvent sans grandéchange possible au préalable avec le prospect. »
 
« Si l’on examine d’un œil critique la manière dont les pitches sont organisés actuellement, il y a certainement place à l’amélioration », renchérit Eva De Gendt. « À commencer au niveau du briefing, qui, dans la plupart des cas, demande de réfléchir sur une mission fictive, alors que travailler sur un cas réel et concret dès le départ serait beaucoup plus profitable à tout le monde. Cela aurait notamment l’avantage non négligeable de pouvoir commencer la collaboration immédiatement en cas de gain du budget. »
 
« Par ailleurs, la transparence fait souvent défaut à plusieurs niveaux, les briefings pèchent également par leur manque de précision et clarté, et idem pour les attentes budgétaires, voire tout simplement le déroulement des compétitions en elles-mêmes : comment le pitch va-t-il concrètement se dérouler ? Quelles sont les prochaines étapes? Les timings ? Contre quelles agences sommes-nous en compétition ? Ou, enfin, qui évaluera les différentes propositions ? »
 
Plus fondamentalement, Eva De Gendt constate régulièrement un flou quelque peu artistique quant à la raison-même pour laquelle l’annonceur remet son budget en compétition : est-il mécontent de la collaboration avec son partenaire actuel ou s’agit-il de raisons financières, voire d’obligations légales ? Toutes ces informations sont manifestement rarement communiquées et, forcément, cela plonge les agences dans l’expectative la plus totale… « En un mot, que recherche in fine l’annonceur ? », questionne encore Eva De Gendt. « Quelles sont concrètement ses attentes ? Et, après coup, quels étaient ses critères d’évaluation ? Qu’on ait gagné le pitch, ou pas, un débriefing en bonne et due forme est toujours le bienvenu. »
 
Réseautage
 
Manifestement, les compétitions n’ont jamais aussi bien porté leur nom, tant la course au new business semble devenue une véritable course à obstacles, voire carrément un parcours du combattant. Mais, au fond, ces pitches sont-ils incontournables ? Et existe-t-il une alternative pour que tout le monde, dans les tribunes et l’arène, y trouve enfin son compte ?
 
« J'ai bien peur que les compétitions soient une évidence pour la plupart des annonceurs », reprend la Managing Director de at-thetable. « Pourtant, je reste convaincue qu’un annonceur pourrait très bien sélectionner une nouvelle agence d’une toute autre manière, et ce, tout en mettant un maximum de chances de son côté. Dans le choix d’un nouveau partenaire de communication, la vision stratégique et, surtout, l’adéquation entre les personnes sont primordiales… Une bonne collaboration n’est possible que si l’alchimie opère entre les différents intervenants, et force est de constater que cet aspect n’est pas suffisamment mis en avant dans le processus de pitch classique. Dans le meilleur des mondes, l’annonceur devrait fortement limiter le nombre d’agences qu’il met en compétition, ce qui lui permettrait d’être aussi méticuleux au niveau des rapports humains. » 
 
« Les compétitions sont certes incontournables, mais elles ne sont certainement pas la panacée », enchaîne Pauline Heraly. « Nous savons depuis longtemps que les conditions particulières d’un pitch font qu’une agence peut exceller dans l’exercice, mais ne pas délivrer en vitesse de croisière… D’expérience, nous remarquons que deux étapes sont cruciales dans le choix du bon partenaire pour un annonceur : une bonne session de "credentials" doublée d’une bonne session de workshop stratégique. La première, c’est le "conversation starter", là où l’on se rencontre et où l’on présente la méthode de travail, ainsi que l’équipe et des cases qui répondent aux attentes du client. La seconde, c’est le moment où l’on peut cette fois décortiquer le briefing avec le client, entrer dans sa cuisine et le faire entrer dans la nôtre. C’est uniquement à ces moments que les esprits matchent, ou pas, et que l’on peut entrevoir une bonne collaboration et vérifier si l’envie de bosser ensemble est présente. En bref, c’est la conjugaison du "fit humain" – pourrons-nous collaborer et construire ensemble ? - et du "fit créatif" - l’annonceur a-t-il l’ambition de construire une histoire forte pour sa marque et de s’y tenir ? »
Du côté de Federate, par contre, pas directement d’alternatives en tête, l’argent restant le nerf de la guerre, comme soulevé d’entrée. « Le combat mené en France par l’Agence des Agences mérite d’être suivi », suggère Thomas Danthine.

« Ils proposent, entre autres, d’indiquer à la fin des dossiers le montant investi et les heures englouties, afin de faire prendre conscience aux annonceurs de l’investissement consacré. »
​« Ce pourrait être un premier pas pour sensibiliser les annonceurs qui lancent un pitch avec des énormes demandes, mais sans aucune forme de rémunération ou dédommagement ! En même temps, les agences participantes, à commencer par nous, sommes évidemment coupables de ne jamais ouvertement dénoncer le problème… »​

« La meilleure alternative serait d’éviter autant que possible les pitches », tranche Jonas De Wit en guise de conclusion. « Idéalement, ce sont les agences qui devraient prospecter et se vendre sur la base de cases concrets réalisés pour ses clients existants. Comme au bon vieux temps du réseautage. » 

Archive / AGENCIES