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CREATIONS

Des data et de la manière de les ignorer de main de maître, par Stijn Gansemans

Samedi 10 Août 2024

Des data et de la manière de les ignorer de main de maître, par Stijn Gansemans

Avant que vous n’invoquiez les dix plaies d’Égypte à mon encontre : oui, je reconnais moi aussi l’importance des data. Je ne fais preuve d’aucune mauvaise volonté à leur égard et j’en suis même fan. Surtout si ces data (comprenez ‘dates’, ndlr.) se situent quelque part entre le 1er janvier et le 31 décembre. Mais je me fie plus que jamais à mon bon sens comme à une saine boussole et reste hyper vigilant face aux grands sorciers des big martech, gourous de l’algorithme et autres prophètes de la performance. Il paraîtrait que nous soyons perdus sans data… Nonsense. En fait, le marketing est aujourd’hui beaucoup trop data driven. Les marques se connectent de plus en plus aux smartphones, mais de moins en moins au pouvoir d’imagination des gens. Ce qui donne des campagnes qui ne prennent aucun risque et un contenu ennuyeux comme la pluie. Pfff.
 
Les data doivent être un outil, pas un objectif. À l’heure actuelle, elles génèrent principalement de la valeur ajoutée pour les actionnaires des plateformes (de data) sociales, mais rarement pour les marques qui y annoncent. Pourtant, data et recherche sont essentielles : celui qui dispose d’informations plus nombreuses et de meilleure qualité sur les groupes-cibles, les persona, le comportement de clic et le ROI de ses campagnes est en apparence avantagé. Toutefois, qui ne s’appuie que sur des data irréfutables se prive d’un autre avantage concurrentiel : celui de la créativité. Les data ne sont que des informations, pas de la création. Ce qui compte, ce n’est pas l’exactitude de vos data, mais leur traduction surprenante en insight ou idée. Personne ne viendra s’asseoir autour de votre feu de camp si vous comptez déclamer le contenu d’un fichier Excel. C’est d’un récit puissant dont vous avez besoin. L'Église a été la première à le comprendre. Créer une histoire à laquelle les gens ont envie de croire et prendre ainsi le contrôle total sur eux. En chemin, quelqu’un a-t-il jamais osé demander : « Puis-je voir quelques data, s’il vous plaît ? ». Thank God.
 
Entretemps, je me suis fait ma propre religion quand on me bombarde de quelque nouvelle best practice consistant, par exemple, à montrer le logo dès la première seconde de la vidéo. Mais les data ne sont pas des insights, les outils ne sont pas des idées et le reach n’est pas l’impact. Une marque qui se contente de suivre les data s’engage dans une voie sans issue et finit par créer une valeur moindre plutôt qu’ajoutée. Parce que vous marchez alors dans les pas des masses qui – soit dit en passant – ont fourni ces mêmes data par leur comportement de clic. Dr Data nous affirme que 90 % de la cible cliquent après les premières secondes de la vidéo. L’évidence même, puisqu’on n’y voit qu’un gros logo. Devons-nous donc tous placer nos logos dans les premières secondes de nos vidéos, pour être sûrs et certains que les gens les voient ? Absurde. Récemment, nous avons donné le coup d’envoi de la campagne du cd&v Leuven, sans montrer le moindre logo. Ni au début, ni à la fin. Résultat : les gens sont plus nombreux à avoir vu, aimé et partagé la campagne. Logique, parce qu’avec le logo du cd&v dès la première seconde, 90 % d’entre eux auraient déjà cliqué et seraient partis ailleurs. Merci, Dr Data. Il faut oser tirer les leçons des résultats a posteriori et modifier sa création s’il s’avère qu’elle n’a eu que peu d’effet. Car personne ne peut avoir l’arrogance de faire des prédictions basées sur des data. Nobody knows. Et les créatifs non plus. Mais ils oseront toujours se mouiller.
 
Les créatifs ont besoin d’une piste, d’une cible, de quatre drapeaux de piquets de coin. Mais rien de plus. Surcroît d’informations engendre pauvre création. Un briefing doit indiquer à peu près où se trouve le gisement de pétrole, mais ne jamais définir comment le forer. La créativité naît du chaos, les data imposent une structure asphyxiante. Guillaume Van der Stichelen m’a un jour donné ce conseil éclairant : « Il faut entendre tout le monde mais n’écouter personne ». J’ai bien entendu. Depuis lors, l’alarme de mon PowerPoint est allumée jour et nuit. Ces présentations manquent généralement de power et marquent rarement des points. Une idée forte fait les deux. La plupart des gens font ainsi, le Belge moyen fait cela ; les data cartographient le consensus. Et le consensus ne mène jamais à la créativité. Au contraire. Le chemin le plus couru est pavé d’idées interchangeables, de data axées sur la médiocrité et d’angles de caméra identiques.
 
Les data vous dictent qu’il vaut mieux montrer les champions de surf quand ils affrontent le creux de la vague ? Peut-être. Jusqu’à ce que l’image magique d’un surfeur brésilien sorte de l’océan de la prévisibilité aux Jeux olympiques. When everybody zigs, you ...
 
Stijn Gansemans
 
* homme, taille moyenne, né quelque part entre le 1er et le 31 août, stijngansemans.be

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