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CREATIONS

Stijn Gansemans: "Une idée forte peut faire la différence dans l'océan de médiocrité que les algorithmes sociaux et les IA font miroiter"

Dimanche 30 Juin 2024

Stijn Gansemans:

L’image et la langue occupent toujours autant son esprit. Il préfère les utiliser pour construire des marques à long terme, et il considère les réseaux de freelances comme une réponse à la fragmentation des besoins d’expertise. Plus que quiconque, il exècre les pitches et croit fermement à la valeur inestimable de la créativité.

Rencontre avec Stijn "Ganzevogel" Gansemans.

Les Cannes Lions sont terminés. Que pensez-vous du bilan mitigé de nos agences ?

Plusieurs facteurs entrent probablement en jeu. Si l’on regarde les travaux datant de notre période faste, on remarque qu’il s’agissait généralement de campagnes très atypiques et très créatives, souvent nées de la nécessité de jongler avec de petits budgets : nous nous sommes révélés très bons dans cet exercice en Belgique. Nous avons ainsi donné le ton pendant un bon moment, et puis nous avons été copiés à l’envi.

Je pense également que la nature des campagnes primées a changé depuis lors : on trouve dans les palmarès d’aujourd'hui de nombreux solides one shots soutenus par un case film éblouissant, un genre dans lequel nous n’excellons peut-être pas vraiment. Mais même si remporter des prix est agréable, je n’y consacre pas mon énergie. Ils sont utiles pour mettre votre travail en valeur, mais il y en a trop de nos jours. C’est devenu un business model en soi, avec une jungle de catégories. Je le regrette, car cela érode la valeur intrinsèque de la statuette décrochée. 

… dit celui qui a travaillé pendant plusieurs années dans une agence prestigieuse couronnée de nombreux prix telle que Duval Guillaume, avant de créer sa propre agence. Au fait, pourquoi avoir quitté Dallas il y a deux ans ?

J’avais l’impression d’en avoir fait le tour et j’ai ressenti le besoin de me recentrer sur les marques, plutôt que de m’occuper d’aspects pratiques comme les RH. De plus, je voulais être totalement libre de faire ce que je voulais. 
Depuis, vous travaillez comme "no nonsense creative consultant".

Que doit-on comprendre ?

Je fais à nouveau ce que j’aime : construire des marques à long terme. Je travaille seul, souvent en tandem avec mon partenaire créatif habituel Paul Popelier, principalement directement pour des marques, mais parfois aussi pour des agences, comme Skinn à Anvers. Grâce au réseau que je me suis constitué au fil des années, je peux me positionner comme  capable de fournir la qualité et le service d’une agence, mais sans agency fee. Je ne peux pas compter sur une armée d’accounts, mais dans la pratique, on n’en a pas besoin si l’on conclut les bons accords. 

Est-ce le modèle du futur ?

Je ne sais pas, mais avec une structure flexible, il est possible de mener à bien de très grands projets. On ne le sait pas assez mais il y a énormément de talents impressionnants actifs hors agence. On peut vraiment constituer une super équipe de freelances. Je crois fermement en ce nouveau type de petit réseau, y compris pour les projets à long terme, parce que c’est aussi une façon de répondre aux nombreuses expertises que requiert une campagne aujourd’hui, en particulier lorsqu’il s’agit de social et de digital. Il est quasiment impossible de les avoir toutes en interne. Les annonceurs en sont d’ailleurs conscients et internalisent certaines de leurs missions, mais il n’est pas toujours facile pour eux de repérer les meilleurs talents. Actuellement, les créatifs sont attirés par la variété, surtout en début de carrière, et préfèrent donc travailler en agence plutôt que pour une seule marque. 

De nos jours cependant, le métier de publicitaire semble moins attirer les jeunes. Que diriez-vous pour les convaincre ?

On peut faire beaucoup de choses dans la pub. Plus le temps passe, plus je suis absolument convaincu que la créativité est un business driver. Plus que jamais, une idée forte peut faire la différence dans l’océan de médiocrité que les algorithmes sociaux et les IA font miroiter. Pour un jeune, ce serait génial d’apporter sa pierre à ce genre d’édifice, non ? 

De plus, vous vous retrouvez dans un secteur en perpétuel mouvement. Vous devez toujours rester en éveil. Tout peut en effet changer très rapidement et il y aura toujours quelqu’un de plus rapide pour sortir du bois de manière disruptive. Si vous rencontrez le succès aujourd’hui, c’est exactement le moment de vous regarder dans le miroir et de vous demander si vous pourrez encore y parvenir demain. Cela vous permettra de rester vigilant.

C’est d’autant plus vrai que les budgets sont sous pression et que les pitches sont légion, chose qu’il est notoire que vous détestez.

C’est le cancer de notre profession, entretenu par les agences elles-mêmes. 

Qu’entendez-vous par là ?

La participation aux compétitions vide votre propre structure de sa substance : le travail pour le pitch vient s’ajouter au travail que vous faites déjà, ce qui veut dire plus de travail pour l’équipe qui devrait en fait se consacrer à ses propres clients. C’est également un gaspillage des idées qui en découlent et qui ne seront pas utilisées, même si l’ACC a créé une watermark pour les protéger un minimum. 

Le fait que de nombreux pitches soient encore gratuits malgré les chartes existantes ne fait qu’aggraver la situation. Non seulement parce que le pitching coûte cher à l’agence, mais aussi parce qu’il sape sa propre valeur ajoutée. Qui se défait ainsi de sa valeur ajoutée dans l’espoir de convaincre un nouveau client ? Prenons une image parlante : au port, on trouve des prostituées qui demandent à peu près toutes le même prix. Si l’une d’entre elles met une affiche disant que c’est gratuit la première fois, c’est tout le business modèle qui implose. Pour éviter ça, l’ensemble du secteur - portuaire et publicitaire - doit agir de concert. Sinon, rien ne changera jamais. Chez Dallas, nous avions décidé de ne plus participer à des pitches gratuitement. Tout le monde a trouvé cela courageux, mais nous avons finalement dû changer notre fusil d’épaule car nous ne gagnions plus de nouveaux clients. Mais si demain toutes les agences sans exception forment un front uni, nous n’aurons plus à galvauder nos talents gratuitement. Ce qui n’empêche pas les clients potentiels d’organiser un chemistry meeting ou un brainstorming exploratoire. Ni de consulter notre portfolio pour se faire une idée de notre travail.

Vous avez été à l’origine de plusieurs campagnes connues et primées, dont la baseline de Studio Brussel. Desquelles êtes-vous particulièrement fier ?

C’est une question difficile. En ce qui concerne "Life is Music", j’ai imaginé cette baseline avec Stef Selfslagh et Bart Gielen ; elle couvre aujourd’hui encore un territoire de marque que l’on peut étendre très largement. 
Il en va de même pour le travail que j’ai réalisé avec Paul Popelier pour le cd&v ces dernières années, avec le slogan originel "Respect werkt".

Pour la branche louvaniste du parti, nous venons d’ailleurs de lancer une campagne avec une chouette action en vue des élections communales, axée autour de l’amour que portent les habitants à leur ville. 

Mais pour répondre à votre question : 
je suis fier de mon travail pour Joe FM et la bière Cornet, parce que nous, les créatifs, étions présents dès le début et avons contribué au développement du produit final et de la stratégie afférente. 

Vous savez, j’appartiens encore à une génération qui a suivi une formation publicitaire classique : la stratégie et la création ne faisaient qu’un. Depuis, nous avons connu la révolution numérique et les priorités ont changé, mais on a toujours besoin d’une vision d’hélicoptère généraliste. À cet égard, les gens de ma génération représentent un atout incroyable pour notre profession. 

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