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CREATIONS

Stef Selfslagh : "Quoi que vous écriviez, n'hésitez pas à vous lancer"

Samedi 21 Septembre 2024

Stef Selfslagh :

Son travail a certainement incité de nombreux jeunes talents à rejoindre notre secteur, et sa plume suscite la même admiration à chacun de ses traits. Stef Selfslagh est un copy plus que doué, doublé d’un journaliste hors pair. 

Sur ses médias sociaux, on découvre une autre facette de Stef : un père émouvant, à l’imagination débordante. On s’en rend également compte dans son livre "Nisnikan", une longue lettre sur le lâcher-prise adressée à son fils, et l’excuse parfaite pour nous entretenir avec lui.

Vous avez mené une belle carrière de créatif et de patron d’agence, vous travaillez depuis des années comme journaliste au Morgen et aujourd’hui, vous sortez un livre. Pourquoi ?

Parce que Lisbeth Imbo me l’a demandé. Je l’ai connue quand elle était rédactrice en chef du journal. Elle est désormais éditrice à temps plein chez Pelckmans, où est publié mon livre. 

"Nisnikan", c’est la lettre d’un père à son fils - en l’occurrence, Camu qui a bien grandi. Le titre fait référence à un mot qu’il a inventé quand il avait cinq ans. Il n’a cessé de changer de sens : à l’origine, il signifiait "maison", mais d’une année à l’autre, il pouvait tout aussi bien désigner un but, une assiette, un croissant ou un cartable... Dans le livre, j’utilise ce mot comme fil conducteur de l’évolution que nous vivons. À un moment donné, je suggère de lui donner le sens de "lâcher prise".

Camu et moi avons toujours été très proches, notamment grâce à notre imagination débridée. C’était moins évident à l’adolescence, et j’ai parfois eu du mal à l’accepter. J’ai dû moi-même apprendre à lâcher prise. "Nisnikan" est donc l’histoire d’un passage à l’âge adulte, mais aussi la mienne en tant que père. Il n’y a pas de formation pour les pères, pas de tradition dans laquelle ils pourraient puiser pour remplir correctement leur rôle à leur tour. Tout au plus leur apprend-on à être un homme. 

C’est un livre très personnel. Votre fils l’a-t-il lu ?

Oui, avec plaisir même.

Et cela a-t-il changé quelque chose à votre relation ?

Je pense, oui. L’écriture m’a aidé à voir certaines choses plus clairement. À me redéfinir en tant que père. Nous avons beaucoup voyagé en famille et récemment, Camu et moi sommes allés à Miami. Je veux conserver le sentiment que nous avons partagé là-bas. Le père que je suis essaie de se comporter davantage comme un compagnon de voyage : diriger et contrôler un peu moins, suivre et improviser un peu plus. C'est une idée simple et très facile à mettre en œuvre. 

Qui devrait lire "Nisnikan" ?

Toute personne qui fut un jour un enfant. Toute personne qui veut exercer son rôle de parent en toute conscience. Toutes celles et ceux qui souhaitent trouver un sain équilibre entre amour et lâcher-prise. 

Quelle différence voyez-vous entre l’écriture de ce livre et votre travail habituel ? 

Je ne fais pas de distinction entre les types d’écriture, y compris lorsque je travaille pour une marque. Il suffit d’écrire avec son propre ressenti, son intelligence et son sens de l’humour. Votre travail sera bien meilleur que si vous essayez de vous conformer aux soi-disant règles du journalisme, du copywriting ou de la littérature. Ce que je préfère, ce sont les textes dans lesquels on sent l’âme de l’auteur. 

Chez Duval Guillaume déjà, j’avais remarqué que les copywriters pouvaient être très pointus dans leur propre communication, mais quand ils devaient écrire pour des clients, ils étaient pris d’une sorte de crampe ! C’était tellement frappant que j’en ai fait une présentation : "Dix mensonges sur le copywriting". Le message était : oubliez tout ce que vous savez sur le copywriting, et jetez-vous à l’eau. 

Aujourd’hui, on a quelque peu perdu cette approche purement personnelle du métier de publicitaire, mais je pense que cela peut changer. Il faut réintroduire l’art de l’écriture : non seulement pour les copys, mais aussi pour les clients. Les personnes et les marques pourraient ainsi retrouver leur propre voix, au sens propre du terme.

Vous travaillez comme journaliste depuis plusieurs années, ce qui ne vous empêche pas de monter de nouveaux projets dans le secteur, comme Fauconnier + Selfslagh. Vous sortez aussi votre plume pour des collaborations comme celle, récente, avec Stijn Gansemans pour la campagne du cd&v "Mijn Leuven. Mijn lief". Quel regard portez-vous sur le métier de publicitaire aujourd’hui ?

Je ne suis évidemment pas en plein dedans en ce moment, mais j’ai l’impression qu’on voit sortir moins de travaux qu’avant. Comme si le délai de mise en œuvre d’une campagne avant qu’elle ne voie réellement le jour était beaucoup plus long. J’ai également entendu dire que de nombreux projets fous finissaient au frigo, sans qu’on n’en fasse rien. 

Il y a aussi nettement moins d’audace. On porte davantage d’attention à la tactique qu’au contenu. On arrondit les angles, les créatifs ont souvent le sentiment de ne pas pouvoir mettre leur âme dans leur travail. Le risque, c’est d’ainsi faire fuir les talents du secteur. 

Comment peut-on rectifier le tir, selon vous ?

Je pense qu’il faut à nouveau convaincre les annonceurs de la valeur de la créativité. Tout ce qui rendait la publicité irritante est encore plus irritant aujourd’hui. Il faut bien sûr être "consumer centric", "sustainable" et "always on", et le "content is king" bien évidemment, mais une marque se doit surtout d’être intéressante. Votre personnalité et vos convictions ont leur importance.

Je pense aussi que le discours des marques se limite trop au "doing good for the world". Une marque doit bien sûr se comporter de manière responsable, mais son message ne doit pas se confondre en permanence avec un discours caritatif. Les marques deviennent ainsi complètement interchangeables, quel que soit leur produit, leur idée, leur secteur ou leur projet. Il y a d’autres façons de susciter l’intérêt.

Heureusement, on constate encore et toujours que le secteur ne manque ni d’énergie ni de bonnes intentions. 

Comptez-vous vous lancer dans la fiction ?

La distinction entre fiction et non-fiction importe peu. Ce qui compte, c’est que le lecteur sente que quelque chose était en jeu pour l’auteur. Que l’histoire était importante pour lui, qu’il devait vraiment écrire ce livre.

Est-ce ce qui distingue les histoires écrites par des humains de celles générées par l’IA ?

Oui, tout à fait. Essayez de demander à un système d’IA de faire croire qu’une histoire a marqué sa "vie" (rires). Peut-être que la mention "made by humans" deviendra un jour un argument de vente. Lorsque vous achetez un livre, une peinture ou une photographie, vous voulez ramener chez vous un morceau du créateur, donc d’un humain. 

L’écriture de ce livre vous a pris six mois. Que retenez-vous de cette période ? 

Quand vous écrivez un livre, vous vous tenez à l’écart du monde. On regarde la société différemment que quand on y participe pleinement. L’actualité, la "rat race"… Tout cela semble bien plus absurde. Il y a de quoi ricaner bien plus souvent quand on est en marge (rires). 

Avez-vous commencé votre prochain livre ?

Je l’ai précisément commencé cette semaine, oui. J’ai le sentiment qu’il n’y a pas de temps à perdre. Je continue à écrire de toute façon, y compris pour De Morgen. Et je pourrais aussi faire de temps à autre quelque chose dans la pub. Mais pas nécessairement en jouant un rôle principal. Un rôle secondaire a également son intérêt. 

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