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CREATIONS

FOOH, juste une illusion ?

Dimanche 21 Avril 2024

FOOH, juste une illusion ?

Fake Out Of Home, ou comment une marque manipule l’environnement extérieur pour capter l’attention de la cible via les écrans.

D’où le mot "fake" : la manipulation n’ayant de réel que le décor et, surtout, l’outil (CGI, IA, 3D…) qui a permis de créer l’illusion souhaitée, afin de générer du buzz, engager une audience connectée et tirer parti au maximum de la viralité propre à Internet et aux réseaux sociaux.
 
Autrement formulé, une nouvelle arme de persuasion massive à disposition des marques, qui, comme toutes les nouveautés, fait certes le buzz (tous les exemples postés ci-après en témoignent), mais pose également question.
 
Nous les avons posées à celles et ceux dont le métier est, paradoxalement, de tout faire, pour ne surtout jamais faire illusion…

Notre première question porte sur le côté "kleenex", qui colle généralement à la peau de ce genre de hype. « En mixant le monde du réel et du virtuel pour créer des messages publicitaires uniques, on ouvre le champ des possibles », se lance tout d’abord la CD d’Accenture Song, Laurie Lacourt.
« Je ne peux pas me prononcer sur le fait qu’elle va perdurer ou non. L’approche n’en est qu’à ses prémices et elle va certainement continuer à évoluer dans les mois à venir, au même rythme que les IA et nouvelles technologies. »

« Cela dit, je ne pense pas que ce soit une nouvelle forme de créativité en tant que telle, mais plutôt un nouvel outil créatif, qui attire l’attention d’une nouvelle manière et parle à l’imagination », ajoute-t-elle.
Laurie Lacourt relève encore que l’énorme avantage est le coût de production, « car certainement moins onéreux pour les clients que de créer les choses en vrai. »
Un autre avantage, et non des moindres, relevé cette fois par l’ECD d’iO, Sam De Win, c’est le fait non négligeable qu’avec le FOOH, par définition, tout est permis !

Plus besoin de demander d'autorisation pour accrocher une affiche grandeur nature sur l'Arc de triomphe à Paris lors de la promo du dernier blockbuster en date, faire rouler des caddies géants dans les rues de Toulouse et Marseille ou revêtir Big Ben à Londres d’une doudoune The North Face… 
D’où la conclusion de Sam De Wim : « Je ne pense pas que nous en ayons fini avec le FOOH, car il s'intègre parfaitement dans le monde des jeunes : format court, percutant, sympa à regarder et idéal à partager. Par contre, je ne sais pas s’ils réalisent toujours si c'est du "fake", mais pour être honnête, je ne sais pas si c'est si grave. »
 
Du côté de FamousGrey, on est manifestement moins optimiste quant à la pérennité du "nouvel outil créatif", pour reprendre les mots de Laurie Lacourt.
« C’est une tendance qui va probablement disparaître ou du moins s’essouffler comme tant d’autres battages publicitaires », assure Peter Ampe, l’Executive Creative Director de notre agence de l'année. 

« Vous souvenez-vous des idées de chatbot ou des premiers deepfakes ? Toutes ces évolutions qui étaient à la mode il n'y a pas si longtemps et qui ont plus ou moins disparu aujourd’hui… »​
« L’émergence du FOOH est-elle un cirque médiatique ? », se demande enfin le CD de DVLR DDB, Kwint De Meyer. « Certainement. À court ou moyen terme, les exemples ne pousseront plus comme des champignons comme c’est le cas actuellement. On en use et en abuse aujourd’hui, parce que c’est nouveau, mais, comme avec toutes les nouveautés, l’engouement va tout doucement s’estomper. Ensuite, une fois le hype passé, je pense que la technique sera principalement utilisée si elle est pertinente par rapport à l’idée. La plupart des FOOH actuels sont exclusivement des astuces visuelles, qui ne reposent pas vraiment sur une vraie idée. Une fois cette phase dernière nous, nous verrons davantage d’idées réellement intéressantes. Parce que c’est toujours de cela dont il s’agit : proposer la meilleur idée de la meilleure des façons. »
Fake vs Virtual
En résumé, si les champignons sont comestibles, voire digestes, manifestement, ils ont de grandes chances de trôner en bonne place dans l’arsenal à disposition des créatifs et des marques pour atteindre la cible et faire mouche.
 
Et ce, malgré cette autre question qui nous taraude : à l’heure où les consommateurs se montrent plus que jamais méfiants vis-à-vis des discours et messages publicitaires, n’est-ce pas paradoxal, voire dangereux, de leur proposer des campagnes assurément "fake" ?
 
« Il est vrai que nous vivons dans un monde qui manque vraisemblablement de transparence », reprend Laurie Lacourt. « Cependant si l’usage du côté "fake" est assumé et si le message ne trompe pas, il n’y aucune raison de parler de danger. C’est avant tout de l’expérientiel pour surprendre et attirer l’attention d’un consommateur souvent blasé. »
 
Peter Ampe enchaîne : « Contrairement à de nombreux projets d’IA et d’idées de deepfake, le FOOH est très transparent sur le fait qu’il s’agit d’un faux. Il ne prétend pas être ce qu’il n’est pas, sa vocation est uniquement de divertir. Vu comme ça, le FOOH est plutôt bénéfique pour l’image et la réputation de la pub, parce qu’il n’est pas intrusif. Il s’intègre parfaitement dans le flot de contenu auquel nous sommes généralement confrontés sur les réseaux sociaux. Peut-être que le terme VOOH, pour Virtual Out of Home, serait plus approprié, ou, en tout cas, beaucoup moins péjoratif. Par définition, le mot "faux" connote spontanément quelque chose de trompeur, mais, personnellement, je ne trouve pas que le FOOH nuit en quoi que ce soit à l’image de la publicité. » 
 
« Pour être tout à fait honnête, c'est la première fois que j'entends parler de Fake Out Of Home", avoue pour sa part Kwint De Meyer, avant d’abonder dans le sens de son collègue.
« Le terme est bien trouvé, mais je lui préfère celui de Virtual Out Of Home. Le mot "fake" donne immédiatement une connotation négative, ce qui est peut être dangereux. Mais, tant que cela reste un "moment", une expérience éphémère, cela ne me semble pas poser de problème. N'est-ce pas notre devoir de faire rêver les gens un instant, en stimulant leur imagination, et ce, consciemment, sans vouloir véritablement tromper qui que ce soit ? » 
« Je pense que nous devons utiliser le VOOH, ou peu importe comment on le nomme, prioritairement pour faire rêver les gens, et certainement pas déformer leur vision de la réalité », relève-t-il encore. 
Real Lion
Justement, si le FOOH ou VOOH a le vent en poupe, c’est principalement à l’international : force est de constater que nos agences et leurs clients semblent à ce stade beaucoup moins adeptes. Jusqu’ici, seules quelques marques locales ont succombé au charme de la manipulation OOH, à l’exemple de Samsung avec son van aspirateur, d’Inno déballant "la magie de Noël" ou de Fanta et ses "FANTAisie"… Comment expliquer cette frilosité ambiante ? 
 
« C'est une question difficile », avoue pour sa part Kwint De Meyer. « Loin de moi l’idée de dire que le secteur publicitaire belge est à la traîne, mais je dois néanmoins reconnaître qu’effectivement, on n’a pas encore vu énormément de cas VOOH en Belgique. Je mettrais cela sur le compte d’une attitude qui nous caractérise par rapport aux autres pays créatifs : au lieu d'appliquer directement une nouvelle technique en masse, le créatif belge a plutôt tendance à d’abord rechercher une idée qui se démarque réellement. Le VOOH de Samsung de mes collègues de TBWA en témoigne largement. Sur son passage sur la Toile, il a littéralement aspiré toute l’attention ! Pun intended (sic). »
 
« Le FOOH est comme toute autre tendance numérique ou technologique : toute agence qui se respecte devrait s'y mettre et voir comment son client peut en bénéficier », conseille Peter Ampe. « C’est dans l’ère du temps. Aujourd’hui, les gens regardent davantage l’écran de leur téléphone que ce qui les entoure. À nous d’être suffisamment créatifs pour leur proposer un environnement qu’ils auront plaisir à regarder… »
 
Laurie Lacourt conclut le sujet tout en ne se faisant pas non plus exagérément d’illusions : « La Belgique est un marché unique, avec une capacité d’autodérision certaine et un fort vivier créatif. Aujourd’hui, dans la plupart des agences, on cherche toujours avant tout l’idée plutôt que le gimmick créatif. Autrement dit, on cherche à donner du sens. Ce genre d’outil très "fake" n’est pas dans notre ADN, mais il le sera certainement. Avec un bon storytelling et les éminences grises présentes en création belge, je suis sûre que nous ferons très bientôt un réel petit Lion, mais à la sauce belge ! »

DL

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