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Odin Saillé (Mutant) et Mous Lamrabat à propos de "Ramadamadingdong" : « Nous nous attendions à des réactions, mais pas de cette ampleur »

Vendredi 14 Juin 2019

Odin Saillé (Mutant) et Mous Lamrabat à propos de

Il y a quelques jours, la communauté musulmane célébrait la fête d’Aïd al-Fitr,qui marque la fin du mois de jeûne des musulmans. C’est aussi ce jour-là qu’a eu lieu la dernière diffusion du programme radio "Ramadamadingdong" conçu par StuBru et son agence Mutant, diffusée tous les mardis sur la station pendant le ramadan. 
 
Cette émission consacrée à la manière dont les musulmans de Belgique vivent cette période spéciale était animée par les trois frères belgo-marocains Rachid, Mous et Youssef Lamrabat, pour qui ce travail à la radio était une grande première.Odin Saillé, fondateur et DC de Mutant, et Mous Lamrabat nous livrent le bilan de cette expérience.

Comment est née l’idée de "Ramadamadingdong" ?

Odin Saillé : L’idée a jailli au cours de discussions menées avec StuBru lors du pitch lancé l'an dernier. L’un des principaux défis auxquels StuBru et, par extension, la VRT doivent faire face est la "dominance blanche" dans la composition des programmes et la structure de la station. 
 
Celle-ci s’adresse à un public flamand majoritairement autochtone et aucune émission n’était prévue pour toucher les "nouveaux" Belges. Au lieu d’orchestrer une campagne du genre "Chers amis Marocains belges, écoutez StuBru", nous avons jugé préférable de créer une authentique émission de radio qui serait présentée par des Belges d’origine marocaine. 
 
Je connaissais Mous à travers son travail de photographe de mode, et je me suis dit qu’il serait la personne tout indiquée par la façon dont il s’emploie à harmonier les cultures occidentale et arabe. Ensuite, Mous a appelé en renfort ses frères Rachid et Youssef. Rachid est le fondateur de l’agence d’ethnomarketing et de communication Tiqah et l’auteur d’un livre marketing primé ; Youssef est quant à lui graphiste et dirige Immigrand, une collection de vêtements pour (non-) musulmans.

Le point de départ du programme était le ramadan. Comment avez-vous défini l’approche créative ?

Le ramadan était un point d’ancrage pour aborder toutes sortes de sujets. L’objectif du programme était de donner une vue d’ensemble de la manière dont la communauté musulmane vit sa culture en Belgique. Nous voulions instaurer un dialogue entre les différentes communautés et souligner la grande variété qui existe au sein de la culture musulmane, à l’instar des autres religions. 
 
Bien sûr, nous étions sur StuBru, et c’est pourquoi nous avons abordé cela avec beaucoup d’humour. Notre ambition était de permettre aux auditeurs d’élargir leurs connaissances à l’aide de récits et d’anecdotes. J’ai notamment souri en les entendant raconter qu'enfants, leur mère leur servait parfois de la pizza en plus des plats marocains. Il s’agissait d’un tajine versé sur de la pâte à pizza avec une bonne couche de fromage dessus… Ces petites histoires montrent comment les différentes cultures se rencontrent. Les personnes que nous avons invitées n’étaient d’ailleurs pas toutes liées directement à l’islam. Par exemple, Otto-Jan Ham (ancien présentateur de StuBru, ndlr.) est passé dans l’émission et il a ensuite écrit un beau texteà ce sujet. 

Mous Lamrabat : Il ne s’agissait pas seulement de l’expérience religieuse, mais aussi de nos différences par rapport aux Belges non issus de l’immigration. Je n’ai pas vécu ma jeunesse de la même façon qu’Odin, par exemple. Une famille avec neuf enfants où la mère reste au foyer tandis que le père va travailler, a un vécu généralement plus chaotique. Cela demande une bonne dose de créativité et cela a un impact sur votre personnalité… Cette émission nous a permis de traiter ce sujet et de mettre les différences en perspective. 
 
Il faut savoir que la façon dont les Belges "ordinaires" nous voient, reflète souvent nos efforts d’adaptation à leur mode de vie. Nous avons essayé d’en parler de façon humoristique parce que c’est une composante importante de notre ADN. Pour le reste, tout s’est déroulé de façon très spontanée, vu que nous n'avions aucune expérience radio. Au début, nous avons pas mal tâtonné, mais après quelques émissions nous avons trouvé notre voie. Nous avons créé différentes rubriques, comme "Taboes met Mous" où les gens pouvaient poser toutes leurs questions et "Woordjes met Sef" pour expliquer certaines expressions en arabe du Maroc. Les auditeurs pouvaient également téléphoner, envoyer des SMS et réagir via l’appli de StuBru. 
 
A aucun moment je n’ai eu l’impression de jouer au "gentil" Marocain ni de trahir mes convictions. Ce qui est cool, c’est justement que nous avons pu rester nous-mêmes.

Et sur le plan musical ?

Nous avons proposé un mélange de hip-hop américain ancien et récent, d’électro et de musique indienne, orientale et arabe. La programmation musicale était sans doute inhabituelle pour les auditeurs, mais ils ont apprécié.

En quoi consistait la campagne conçue par Mutant ?

OS : Nous avons réalisé trois vidéos et, sous la direction de Mous, organisé une séance photo avec les trois frères pour créer l’image de la campagne. A la mi-mai, nous avons également planté un panneau d’affichagedans la ville de Casablanca avec le message "Regarde maman, on a réussi !". Le plus gros travail a bien sûr été de réaliser chaque semaine une émission avec des invités, des playlists, des rubriques, etc. Encore une fois, cette idée transcende la simple campagne. Il s’agissait de créer du contenu. La campagne venait s’ajouter au programme et ce n’était pas une campagne artificielle sur un thème déterminé, le contenu devait être authentique. 

Ce projet s’inscrit-il dans le cadre de la récente opération de renouvellement de Stubru ?

Depuis son rebranding, la station s’adresse de nouveau à un public plus jeune et elle a effectivement revu son positionnement en conséquence. Je suis épaté qu’une radio comme StuBru ait l’audace de réaliser et promouvoir un tel programme, de voir les efforts qu’elle fait pour impliquer d’autres communautés. Nous n’avons pas encore de chiffres d’écoute concrets, mais suite aux réactions reçues à chaud, nous avons pu constater que le but était atteint. On pourrait penser que c’est normal que des auditeurs aux noms à consonance arabe interviennent pendant le programme, mais cela arrive très rarement lors des autres émissions. 
 
L’annonce du programme a suscité pas mal de réactions négatives. Vous y attendiez-vous ?

Nous nous attendions à des réactions, mais pas de cette ampleur. C’est surtout la vidéo sur les réseaux sociaux qui a provoqué de nombreux commentaires. Après le lancement du programme, cela s’est d’ailleurs tout de suite calmé. Du reste, les réactions sur Facebook n’étaient pas les mêmes que celles postées sur Instagram Cette dernière est surtout utilisée par des jeunes, et la plupart ont réagi de façon positive. Les réactions étaient plus véhémentes sur Facebook. En même temps, le sujet a été récupéré sur le plan politique par le Vlaams Belang et le leader de Schild & Vrienden.

Pour le reste, pratiquement tous les grands médias en ont parlé et le thème a été traité en long et en large dans le programme "De Afspraak" sur Eén, avec un débat serein entre partisans et opposants. J’ai trouvé ça positif. Quand on mise sur la diffusion d’un contenu de ce genre, il faut pouvoir accepter que tout le monde ne l’accueille pas avec enthousiasme…

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