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Kathleen Peeters (Deloitte): "Le plus difficile n'est pas l'implémentation de la tech, mais son utilisation pour transformer votre entreprise"

Jeudi 11 Juillet 2024

Kathleen Peeters (Deloitte):

Lors du dernier BAM Member Day, Kathleen Peeters, partenaire de Deloitte Belgique en charge de la marketing & sales effectiveness au sein Deloitte Digital, a partagé ses insights data & technology avec les marketers.

MM Tech l’a rencontrée en compagnie de Willem-Jan Cosemans, avocat chez Deloitte Legal. Nous nous sommes penchés en particulier sur les droits de propriété intellectuelle, les données et les nouvelles technologies.

Décrivez-vous nous tout d’abord le contexte général dans lequel évoluent les marketers. 
Kathleen Peeters : Depuis plusieurs années, le marketing est en pleine mutation, passant d’une communication "product centric" à une communication "customer centric". Parallèlement, nous constatons également un shift de l’exposition et du branding vers un marketing plus axé sur la croissance et la performance sur tous les canaux. L’interaction ne peut être qu’omnicanale, tant en B2C qu’en B2B. Cela implique de très profonds changements en termes de personnel, de processus et de stratégie.

La technologie est un moyen de les réaliser, jamais une fin en soi, mais elle représente une part de plus en plus importante du budget. Environ 30% du budget marketing sont consacrés aux martech, y compris en Belgique. Cela s’explique par la croissance du nombre d’outils, dont les marketers ont par ailleurs de plus en plus besoin. Alors qu’il s’agissait auparavant d’une "technologie d’entreprise" qui relevait du budget IT, nombreux sont maintenant les outils spécialisés financés par le budget marketing. Cela influence notamment leur répartition, mais aussi les dépenses publicitaires en tant que telles. Dans le contexte actuel, rares sont les CMO qui bénéficient d’un budget marketing exponentiel.

Cependant, selon certaines enquêtes, les CMO sont convaincus qu’ils obtiendront davantage de budget.

Tout dépend de leur rôle. Si le CMO peut souligner le rôle stratégique du marketing et le fait que ce n’est pas seulement un coût, mais un moyen d’atteindre les objectifs commerciaux, il réussira probablement à libérer davantage de budget pour la transformation.

Quels sont les principaux obstacles à une utilisation efficace des martech ?

Les entreprises pensent souvent qu’il suffit de mettre en œuvre une technologie pour que tout change ou que tous les problèmes soient résolus. Mais l’implémentation ne représente généralement pas la plus grande difficulté, c’est comme allumer la lumière… Il est beaucoup plus difficile de savoir comment utiliser la technologie pour changer votre entreprise : réfléchir aux processus, à la stratégie, à l’internalisation versus l’externalisation, etc. Vous devez d’abord vous demander pourquoi, et ce n’est qu’ensuite que vous pouvez passer à la pratique.

Quel est l’impact des martech - IA comprise - sur les activités des marketers ?

De nos jours, on se focalise surtout sur l’efficacité, compte tenu de l’incertitude et du climat économique. Or, l’IA peut non seulement nous aider à travailler plus efficacement, mais également servir à détecter de nouvelles possibilités de croissance des revenus, à découvrir de nouveaux segments de clientèle, à augmenter la conversion grâce à une meilleure connaissance de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.

Les nouveaux outils sont nombreux et beaucoup d’entre eux requièrent l’approbation du service juridique. Cela a-t-il un impact ?

Avant de décider d’acheter de grosses licences et de procéder à toutes les vérifications légales, on se pose toujours la question de savoir pourquoi le faire. D’où la nécessité d’introduire les choses dans un environnement mini-POC protégé, afin de tester si la technologie fait ce qu’elle doit faire dans le contexte de l’entreprise. C’est un moyen essentiel d’introduire l’innovation, où le processus est plus important que le résultat final.
Willem-Jan Cosemans : Ce n’est que lorsqu’il est établi que quelque chose fonctionne dans ce genre d’environnement POC que l’on peut passer à une organisation complète et que tous les aspects concernant les données, la vie privée et autres entrent en jeu.

Ces évaluations juridiques permettent de séparer le bon grain de l’ivraie : elles garantissent l’augmentation de la qualité. 
Elle peuvent en outre servir d’USP en quelque sorte, et accroître ainsi l’attractivité des entreprises vis-à-vis d’investisseurs potentiels. Cela va de pair avec l’IT : les fournisseurs qui proposent des solutions data de moindre qualité disparaîtront du marché plus rapidement. Ils doivent également mettre en place un bon business model en termes d’évolutivité.

Cette approche test & learn implique-t-elle un dialogue nécessaire entre le marketing, le service juridique et le CEO ? Ça ne doit pas être évident au sein d’une entreprise…
Kathleen Peeters : L’époque des silos est révolue. Les marques à forte croissance parviennent à travailler de manière transversale. C’est pourquoi Deloitte regroupe ses compétences. Pour faire face à la complexité croissante, nous proposons des expertises multidisciplinaires et donc des interlocuteurs pour l’ensemble des activités du client, afin de couvrir la totalité des risques et d’assurer la pérennité de l’entreprise.
Quelle doit être l’attitude des CMO vis-à-vis des législations ?

Willem-Jan Cosemans : Il faut les considérer comme des opportunités et non comme des contraintes. Raison pour laquelle nous organisons des tables rondes. Les CMO doivent maintenir leurs connaissances à jour dans de nombreux domaines : les tendances des clients, la technologie, mais aussi la réglementation. La législation en matière de protection de la vie privée, par exemple, est en constante évolution vu les décisions prises dans différents pays et au niveau européen.

Avant le RGPD, elle restait souvent lettre morte parce qu’aucune amende n’était prévue en cas de non-respect : c’est donc une branche du droit qui évolue encore. L’Europe a joué un rôle de premier plan à cet égard. Nous voyons des initiatives similaires émerger dans d’autres pays. Les lois sont délibérément restées générales et neutres sur le plan technologique afin de pouvoir parer aux évolutions futures. Par ailleurs, la loi sur l’IA n’a pas encore été adoptée. Il s’agit d’une nouvelle législation très importante qui n’a été finalisée qu’au niveau européen et qui devrait être appliquée dans les années à venir.

La pratique du marketer a changé. En va-t-il de même pour son profil ?

Kathleen Peeters : On ne peut pas généraliser. "Le" marketer n’existe pas, mais le spectre de son travail s’est considérablement élargi. Vous avez besoin de profils T-shaped, mais pour couvrir tous les domaines d’expertise, votre équipe doit aussi compter des spécialistes. Que vous pouvez engager ou externaliser. On ne peut s’attendre à ce que tout le monde sache tout. Attention toutefois : il existe plusieurs modèles. On a besoin de toutes les compétences, mais on peut les attirer et les utiliser de différentes manières. Ce qui est certain en revanche, c’est que c’en est fini des marketeurs qui suivent uniquement leur intuition.

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