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Le secteur des arts internalise l'activisme climatique, par Bart Cattaert (MM)

Vendredi 28 Juin 2024

Le secteur des arts internalise l'activisme climatique, par Bart Cattaert (MM)

Initialement présentée au Barbican Centre à Londres, l'expo "Re/Sisters - A Lens on Gender and Ecology" s'est installée au musée de la Photo d’Anvers jusqu’au 18 août. A la fois ambitieuse et pertinente compte tenu de la crise climatique, elle s'intéresse à l’art dans l’écoféminisme. Né dans les années 1970, ce mouvement établit un lien entre les systèmes de pouvoir patriarcaux et coloniaux et l’épuisement et l’exploitation de la terre. 
 
À l’aide d’œuvres (principalement des photographies, des vidéos et des installations) réalisées par plus de 40 artistes féminines ou non-conformes au genre, Re/Sisters explore la relation entre le genre et l’écologie, et plus particulièrement les liens systémiques entre l’oppression des femmes, des communautés noires, trans et indigènes, et le déclin de notre planète, et ce depuis 1969.

« L’anéantissement écologique et le racisme sont deux des plus grands défis du XXIe siècle. Ils sont également inextricablement liés. Il existe un fossé profond entre ceux qui ont provoqué le changement climatique - et l’aggravent encore - et ceux qui souffrent de ses conséquences de plus en plus catastrophiques », affirment Alona Pardo et Shanay Jhaveri, commissaires d’expositions au Barbican Centre. Selon eux, il existe un lien direct entre la destruction de la planète par les hommes et l’oppression des femmes par les hommes. Cela fait participe du même système, et cela demande les mêmes types de résistance.

Les thèmes abordés portent notamment sur l’extraction des matières premières, à côté d’actes créatifs de protestation et d’activisme, ce que l’auteure Silvia Federici appelle le "militantisme joyeux" du féminisme. Par ailleurs, l’expo présente des juxtapositions entre préoccupations écologiques, "queerness" et fluidité, ainsi que structures sociales rigides et hiérarchies. 

Elle montre que les femmes et les autres communautés opprimées sont au centre de ces luttes, non seulement en tant que victimes de la dépossession, mais aussi comme protagonistes de la résistance. Les actes de résistance sélectionnés sont affûtés, visuellement intéressants et dotés d’une bonne dose d’espièglerie artistique. Ce n’est que rarement que les œuvres exposées semblent trop artificielles ou datées.

Dans la première partie de l’expo, les femmes sont présentées comme essentielles dans la lutte pour la justice climatique et les droits écologiques, ainsi que dans la résistance au capitalisme et à l’exploitation. Au deuxième étage, les commissaires se concentrent sur les artistes dont le travail établit des liens entre corps et nature, genre et eau, féminisme et accès à la terre. Parmi les œuvres qui retiennent l’attention, citons "Wheatfield" d'Agnes Denes, "Eyes and Storm" de Simryn Gill, "Touch Sanitation Performance" de Mierle Laderman Ukeles, "Isis in the Sand" de Tee A. Corinne et "Chipko Tree Huggers of the Himalayas" de Pamela Singh.

Le seul reproche que l’on peut faire au texte - visuellement difficile à lire - qui accompagne les œuvres est de savoir si les artistes et les activistes apprécient le catalogage parfois rigide de leur travail. Nous sommes par ailleurs restés un peu sur notre faim en ce qui concerne les expressions artistiques actuelles de ce mouvement et - ce qui est assez surprenant -, nous n’avons vu aucune œuvre issue de pays africains pillés, tels que la République démocratique du Congo. Néanmoins, Re/Sisters reste une source d’inspiration grâce à son regard (rétrospectif) panoramique. 

D’autre part, à la lumière de l’exposition et de l’attention croissante accordée au fonctionnement durable des musées et des expositions, le musée de la Photo d'Anvers s’est préoccupé de sa propre empreinte. Il a ainsi demandé aux prêteurs d’étendre leurs exigences strictes en matière de température et d’humidité afin de réduire les émissions d’énergie ; il a évité le transport intercontinental en faisant imprimer et encadrer les photographies localement ; il a procédé à des vérifications digitales de l’état des objets afin d’éviter aux commissionnaires de faire le déplacement ; il a mis en place un calculateur et un outil de suivi pendant l’exposition pour calculer les émissions de CO2 et a fait un don à une organisation locale œuvrant en faveur de la justice climatique.

 Photo: Pamela Singh, Chipko Tree Huggers of the Himalayas #4, 1994 © Pamela Singh, Courtesy of sepiaEYE
 

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