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Cannes 2024: Bruno Liesse choisit l'humour

Dimanche 16 Juin 2024

Cannes 2024: Bruno Liesse choisit l'humour

« Nous avons trois piliers sur la Croisette cette année pour le grand rassemblement des Lions de la pub : la durabilité, la technologie et l’humour », m’apostrophe Griet Byl de MM pour son brief cannois annuel.

Je n’ai pas hésité une seconde lorsqu’elle m’a demandé de choisir une thématique : par élimination, mes neurones n’ont fait qu’un tour, et vous me voyez déjà venir. 

La sustainability - si vous êtes consultant, vous êtes obligé de la nommer en anglais -, elle commence à me gonfler un peu. Sans être climatosceptique, même si la Toussaint dure depuis sept mois en Belgique et qu’on peut se demander si le réchauffement climatique ne reste pas bloqué dans les Pyrénées ou les Dolomites, j’en ai un peu marre du CO2. Vous n’entendrez personne vous parler des 4% du total des émissions carbone émis par l’usage de l’internet (base 2023, source IAB Europe), soit l’équivalent du transport aérien sur la même année. Vous ne verrez personne présenter un graphique qui donne 4 et 9 kg de carbone pour respectivement 10.000 impressions display et autant de views (source Green GRP Germany, EGTA). Ou encore un prophète de l’inclusivité souligner que seules 10% des publicités teintées de durabilité sont perçues comme crédibles (source Bubka ‘21). Il sera surtout question de campagnes ponctuelles et d’exemples uniques - la définition même pour être éligible aux Lions ou à tout award - mais pas de vrai changement de couleurs. Ça c’est en politique. Le marketing vert, lui, reste un business, et les affres de l’électrification des  bagnoles et du reste n’en est qu’un petit exemple. 

Les philosophes et les scientifiques sont tous d’accord pour déclarer que seule la sobriété sauvera le monde, n’allez pas raconter ça sur la plage du Majestic un mocktail à la main gauche et votre iPhone 15 made in China dans l’autre. Et bonjour au bureau de ma part. En un sens, et comme chaque année depuis une décennie, nous avons de moins en moins de Belges à Cannes : bravo à celles et ceux qui nous lisent pour leur contribution à la planète. Bel effort. Tout cela pour conclure par un quote made in social media : la GenZ veut changer le monde raté des boomers alors qu’ils ne savent plus s’ils sont des hommes, des femmes ou des grille-pains.

Et puisque nous parlons technos, passons au deuxième sujet. Ils m’en parlent depuis 1973 et ma première TV couleur. Quelques écrans plats plus tard, on nous a ensuite bassiné de data et de programmatique, pour nous laisser croire qu’on allait perdre son boulot au profit de petits logiciels en media planning et trading. Ouf, disent les agences de pub, c’est pas pour nous. Sauf que le média avait de nouveau intégré leur structure, et que, comme on dit, tu gagnes ensemble, tu perds ensemble. De toutes façons, peu de temps après - nous sommes dans la passionnante période de l’après-Covid et du ravissement du travail à distance -, c’est au tour de l’IA de s’installer, et il bien question ici de mettre en question tous les métiers de la chaîne du travail publicitaire. On nous avait promis qu’on allait s’adapter et coder en quelques semaines, après l’une ou l’autre formation video américaine et pas trop chère, ici le problème de l’IA générative, c’est qu’elle s’auto-gère. Vous n’avez pas besoin de l’apprendre à la connaître, c’est elle qui fait ce boulot dans l’autre sens. 

Je n’ai pas non plus envie de passer au sujet du jour qui serait le retail media, et qui s’apprête à bouffer le reste du gâteau de l’ensemble des agences - étant à la fois un média, un contenu et un point de vente personnalisé. Ça y est, je ne peux pas m’en empêcher : j’ai déjà écrit l’essentiel. Sauf que des Lions en retail media, je n’en vois pas tout de suite : en termes de ROI, c’est canon, mais sur le plan de la créativité, pas de quoi recevoir un Titanium. Ce sujet-là, ce sera aussi pour mes collègues.

Moi je prends l’humour, et pas tout seul, je l’espère. D’autant que l’humour, dans la pub comme à la maison, semble une discipline assez subjective. L’humour wallon n’est déjà pas le même qu’à Bruxelles, et il paraît que les Anversois n’ont pas le même humour que les Flamands de l’Ouest, qui n’en ont d’ailleurs pas, d’après ces mêmes Anversois. 

Si la pub est l’apéritif de la consommation comme je dis parfois, l’humour est la sauce de la publicité. Une forme de tone of voice qui déforme à peine, et qui devrait s’inviter dans toutes communications commerciales. Car quoi, lorsque la terre va mal et tourne carrée, lorsque nous n’avons plus confiance dans aucune fonction statutaire, lorsque la techno nous mange la moitié du métier et le wokisme, l’autre moitié, il reste les pubs marrantes et les délires créatifs de ces derniers humoristes qui ne font pas de politique. 

L’attention publicitaire et la gestion des émotions cognitives ont fait l’objet de grosses études internationales ces quelques dernières années : il a fallu de la neuroscience et venir d’Australie pour comprendre que la meilleure façon de capturer l’engagement des cibles - vous appréciez le vocable guerrier au passage (on fait un métier formidable) -, ce serait de provoquer un sourire, voire un rire. Une des trois règles de base pour une bonne publicité comme pour un film, que je ne peux pas traduire en néerlandais : les 3 R. Faire rire, rêver ou réfléchir. Ou alors en trichant un peu, les trois D : doen lachen, dromen en denken. Voilà, quand on veut, on peut. 

J’ai mérité mon Minuty, fait trop chaud. La bise.

Bruno Liesse

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