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Publicis Groupe Lionwise - Pourquoi les marques de parfums devraient privilégier l'imperfection, par Dieter Vits (Marketing Intelligence Strategist)

Lundi 13 Février 2023

Publicis Groupe Lionwise - Pourquoi les marques de parfums devraient privilégier l'imperfection, par Dieter Vits (Marketing Intelligence Strategist)

C'est la nuit, elle contemple le ciel somptueux. Elle remarque une planète brillante, aux couleurs d'or, et elle ne peut s'empêcher de rire. Soudain, elle se retrouve sur la surface dorée de la planète ; un bel homme en costume l'accompagne. Ils dansent comme si c'était leur unique occasion. Ils courent vers l'horizon, franchissant une montagne escarpée. Parvenus au sommet, ils s'élèvent du sol, en lévitation. Ils s'enlacent. Immédiatement, nous sommes ramenés sur terre où nous retrouvons nos protagonistes en tenue de soirée. Heureux, souriants, ils contemplent la planète dorée.
Je vous rassure, je n'ai pas tout inventé et je ne suis pas devenu complètement fou: c'est simplement la description de la pub Chanel N°5.

À l’approche de la Saint-Valentin, nous sommes envahis de publicités semblables, des publicités pour les parfums. Soyons honnêtes, elles sont assez originales. Charlize Theron se baignant dans de l'or liquide ou Adam Driver plongeant dans l'eau pour réapparaître sous la forme d'un centaure… 
Certains d'entre vous pourraient considérer ces spots comme fantaisistes et déconnectés, mais commençons par ce qui compte vraiment : que pensent les consommateurs de ces publicités ? 

Eh bien, une simple recherche sur Google en dit long.
C'est assez clair. Les consommateurs pensent que les publicités sont complètement absurdes. Si votre public cible estime que les publicités n'ont pas de lien, ces publicités ont-elles un sens ? Tentons de les décortiquer.  

Si les publicités pour les parfums masculins diffèrent en majorité de celles destinées aux femmes, elles partagent une chose essentielle : leur tentative désespérée de communiquer la perfection. Un flacon de parfum rose est affiché à côté d'une ravissante célébrité qui jette un regard séducteur par-dessus son épaule, la Tour Eiffel éclairée en arrière-plan. Cela vous semble familier, n'est-ce pas ? Quel est le summum de la perfection ? Les célébrités, les personnes que nous nous évertuons à devenir. Par conséquent, le marketing des parfums et des produits de beauté est largement dominé par elles.

En définitive, les gens aiment voir leurs stars préférées à l'écran. 

À la différence de n’importe quel autre anonyme, les célébrités associées à un produit offrent un point de référence supplémentaire  aux consommateurs. De plus, cela peut renforcer l'idée que l'achat d'un produit particulier les aidera à atteindre leurs objectifs personnels (par exemple, être plus populaire). Si les études sur l'efficacité du recours aux célébrités dans la publicité ont abouti à des conclusions mitigées, il fut néanmoins prouvé qu'il constituait un moteur efficace dans le secteur des parfums, car elles attirent l'attention en raison de leur popularité et de leur notoriété. La télévision, qui est souvent utilisée comme un média important dans le secteur des parfums, fonctionne comme un amplificateur d'attention. Les consommateurs ont l'habitude de voir ces célébrités à la télévision. Dès lors, l'attention du consommateur est davantage attirée par le produit, car le support (la télévision) et le moyen (les célébrités) s'alignent parfaitement. Et c'est ainsi que les célébrités contribuent au perfectionnisme tout en renforçant l'impact de la publicité. 

Examinons de plus près le contenu des publicités. Tout d’abord, pourquoi se ressemblent-elles autant ? Dans l'industrie des parfums, de nombreux thèmes sont répétés à l'infini. La sensualité, le luxe, etc. participent tous à cette quête de communication de la perfection que recherchent les marques de parfums ; ils projettent l'image que souhaitent la majorité des consommateurs. La plupart des gens ont envie de vivre dans le luxe et, lorsqu'une personne voit une publicité associant un parfum à un style de vie somptueux, elle établit mentalement un lien  entre les deux. 

De nombreuses marques vont très loin pour essayer de reproduire cette sensation de luxe, ce qui donne lieu à des publicités pour le moins saugrenues. L'exagération peut aider une marque à créer cette association. Les mondes fantaisistes chargés de symboles sont souvent exploités pour évoquer ce sentiment de luxe, avec un impact considérable. Bien que de nombreuses publicités présentent les mêmes caractéristiques de contenu, il existe des différences entre les publicités pour parfums destinées aux femmes et celles destinées aux hommes, car la perfection est toujours définie différemment en fonction des clichés liés au genre. Les publicités pour les femmes recourent davantage aux émotions et à leur manifestation, alors que les publicités ciblant les hommes en sont dépourvues afin d'illustrer la coolitude du personnage, car aujourd'hui encore, les aspirations personnelles diffèrent en fonction du sexe.

Nous avons abordé les personnages et l'atmosphère, mais qu'en est-il du flacon, de la fragrance ?  Comment les marques de parfum peuvent-elles communiquer la perfection ou l'excellence du produit lui-même ? Si les thèmes abordés ci-dessus y contribuent, les couleurs jouent également un rôle essentiel. Une étude a exposé les participants à l'un des deux parfums de fraise : l'un teint en rouge, l'autre incolore. Les résultats ont montré que les participants percevaient généralement le parfum rouge comme ayant une odeur de fraise plus forte (Zellner et Kautz, 1990 *). Ces indices visuels sont très utilisés dans la publicité et le packaging des parfums, à juste titre. Ils augmentent les aspirations des consommateurs à l'égard du parfum et stimulent un plus grand désir, naturellement, le tout débouchant sur une plus grande probabilité d'achat (Toncar & Fetscherin, 2012 **). Cela explique les couleurs du flacon lui-même, mais aussi le recours systématique à des tons frais tels que les tons floraux, au rose, au rouge et à l'or (cfr. Golden Planet pour Chanel N°5) dans les publicités elles-mêmes. 

La présence de tous ces éléments publicitaires est logique. Ils se sont révélés efficaces tout en étant des signaux de catégorie. Les signaux de catégorie sont des éléments qui permettent aux consommateurs d’identifier plus facilement la catégorie du produit qui est le sujet de la publicité.  Toutefois, le gros problème est que l'industrie est devenue dépendante de la checklist du perfectionnisme. Dans la catégorie "parfums", presque toutes les publicités sont construites sur le même modèle, ce qui constitue un sérieux écueil. 

Jetons-y un œil… 
Comme la plupart des marques de parfum sont obsédées par la recherche du perfectionnisme dans leur campagne, elles négligent la vue d'ensemble. Séparément, tous ces assets sont d'excellents exemples de campagnes théoriquement réussies. Mais réunis, ils donnent naissance à une série de publicités trop similaires pour pouvoir les différencier. Si un consommateur ignore à quelle marque telle célébrité est associée, il devient tout à fait impossible d'attribuer une marque à la sa publicité. 

Nous avons effectué des tests internes sur des publicités de parfums pour femmes à partir de notre étude Publicis Groupe Effects Tracking. Cette étude évalue les paramètres clés des campagnes de nos clients et permet de collecter des insights pertinents pour la recherche publicitaire. Alors que de nombreux Belges ont tendance à reconnaître les assets des parfums, l'attribution de marque des publicités de parfums est considérée comme extrêmement faible par rapport aux autres secteurs. Seuls les leaders du marché obtiennent un score d'attribution de marque considéré comme satisfaisant. En revanche, pour toutes les autres marques, le consommateur est incapable de se rappeler quelle marque a diffusé quelle publicité. Pire! La publicité est même attribuée à une autre marque de parfum. 

De plus, nous avons constaté que cette différence majeure dans l'attribution des marques n’est pas imputable à la variation des dépenses médias, car nous n'avons trouvé que peu ou pas de corrélation. Ces résultats sont donc inquiétants.  

Le modèle de perfectionnisme fait un travail " acceptable " pour les marques, mais que se passerait-il si les marques s'écartaient de ce modèle ? Pour répondre à cette question, je veux mettre en lumière l'une de mes campagnes préférées : le film "Mutant Brain" pour Kenzo World. 
Une célébrité est-elle présente dans la publicité ? Oui, mais ce n’est pas une célébrité de premier ordre. Le packaging est-il clairement montré ? En effet, mais ce n'est pas le point central. Le style de cette publicité est-il élégant ? Non, pas vraiment. Mais elle utilise les codes de couleurs clés, non ? Certes, mais pas tant que ça.  

L'idée derrière cette publicité est de montrer le désir intrinsèque de faire les choses différemment et de lâcher la bride de son moi intérieur. Et c'est exactement ce qu'elle a fait dans la catégorie également. 

La marque a récolté 19 prix internationaux et les recherches en ligne pour le parfum Kenzo ont explosé au niveau international. Kenzo a décidé d'inclure la plupart des éléments de la checklist afin de signaler la catégorie, tout en mettant l'accent sur une mesure plus importante : l'attention. 

Kenzo a réalisé qu'il devait détourner différents codes du modèle traditionnel pour capter l'attention du consommateur. Il s'est concentré sur les questions essentielles de la publicité : sommes-nous en mesure d'attirer l'attention du public cible du secteur ? Si oui, la marque est-elle reconnaissable ? Pouvons-nous sortir de cet océan d'uniformité ? Ce sont les questions qui devraient toujours être au cœur de nos réflexions, indépendamment de l'existence d'un template. Idéalement, l'attention et la saillance devraient être combinées avec le modèle de perfectionnisme. Cependant, ce n'est pas une combinaison simple. Kenzo a volontairement conservé assez d’éléments de ce modèle tout en créant son propre style, car il était convaincu que la marque pouvait obtenir un réel succès en s'écartant du modèle et en faisant preuve de créativité.

La plupart des marques de parfums et de produits de beauté se plient entièrement aux conventions de la catégorie, aux récits éculés. Certes, les templates du secteur donnent encore lieu à des campagnes de qualité. Mais souvent, seuls les leaders du marché en profitent. 

Le template d'un secteur ne devrait jamais affecter négativement les performances d'une publicité. Sinon, l'objectif de ce modèle perd toute valeur. Les marques enfermées dans le template de leur propre secteur devraient se concentrer sur les véritables priorités de la publicité : la saillance et l'attention. La publicité consiste à se battre pour attirer l'attention afin d'établir un lien avec votre cible, tout en vous distinguant en tant que marque. Par conséquent, les marques de parfums doivent tout simplement penser différemment. Les consommateurs verront une centaine de publicités de différentes catégories cette semaine, et chacune tentera de les séduire. Or, l'attention est une ressource limitée. Le cerveau humain moyen est tout simplement incapable de traiter tout ce contenu. 

Autrement dit, la grande majorité des publicités vues seront oubliées en quelques secondes avec, comme corollaire, des scores d'attribution décevants. Les marques doivent donc veiller à ce que les yeux des consommateurs soient fixés sur la publicité. Les marques de parfums n'y parviennent pas si elles se cantonnent à la checklist du perfectionnisme. Au contraire : si une publicité pour un parfum parvient à exploiter certains des éléments essentiels tout en se frayant un chemin  hors de cet océan d'uniformité, elle sera plus mémorable pour le consommateur. C'est le but premier de la publicité. Et c'est pourquoi je pense que les marques de parfums doivent commencer à rechercher quelque chose de plus efficace que la checklist du perfectionnisme. Elles devraient plutôt opter pour l'imperfection, plus mémorable.

(*) Zellner, DA, & Kautz, MA (1990). Color affects perceived odor intensity. Journal of Experimental Psychology: Human Perception and Performance, 16(2), 391.

(**) Toncar, M, & Fetscherin, M (2012). A study of visual puffery in fragrance advertising: Is the message sent stronger than the actual scent? European Journal of marketing.

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