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Greenly se penche sur le coût environnemental caché des réseaux sociaux

Vendredi 28 Février 2025

Greenly se penche sur le coût environnemental caché des réseaux sociaux

« Derrière chaque publication sur les réseaux sociaux ou chaque vidéo se cache une vaste infrastructure numérique, alimentée par des centres de données et des serveurs qui consomment une quantité significative d’électricité. Une grande partie de cette électricité provient encore de sources à forte intensité carbone, comme le charbon, le pétrole et le gaz, ce qui signifie que chaque action numérique contribue aux émissions mondiales de carbone », préface Greenly dans un volumineux rapport consacré au coût environnemental des réseaux sociaux.  
 
Spécialisée dans la comptabilité carbone et la mesure des émissions de CO2 avec une méthodologie certifiée et revendiquant un millier de clients en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, Greenly rappelle que cet impact environnemental caché des réseaux sociaux, généré à la fois par les entreprises et leurs utilisateurs, suscite une préoccupation croissante dans le contexte du changement climatique.

« En réponse, de nombreuses grandes entreprises de médias sociaux se sont engagées à atteindre des objectifs de durabilité ambitieux, visant la neutralité carbone dans l’ensemble de leurs opérations. Mais bien que ces efforts corporatifs soient essentiels, ils ne constituent qu’une partie du problème. Une part des émissions provient encore de l’énergie utilisée par des milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux lorsqu’ils interagissent avec ces plateformes, en particulier lorsqu’ils regardent des vidéos en streaming ou utilisent des appareils énergivores comme les ordinateurs portables. »
 
Des mesures et analyses de Greenly, il ressort par exemple que les plateformes vidéo crèvent les plafonds avec des émissions équivalentes à celles de pays entiers. 
 
Le "champion" en la matière étant TikTok avec 53,7 millions de tonnes de CO2e par an, comparable aux émissions de la Grèce ou du Portugal. À comparer aux 14,3 millions de tonnes du poids lourd de la vidéo, YouTube, similaire à l’Estonie, ou aux 7,4 millions de tonnes de CO2e par an, équivalent au Luxembourg, des trois plateformes de Meta (Facebook, Instagram, Threads). Pour rappel le CO2e - ou équivalent dioxyde de carbone - est la "currency" créée par le GIEC pour harmoniser la mesure des émissions de gaz à effet de serre.
 
Au-delà de ces chiffres, et c’est finalement le plus important, le rapport de Greenly est largement consacré aux efforts de durabilité des plateformes. Voici une synthèse des observations que l’on peut en tirer à propos de TikTok, YouTube, Meta, Snapchat et X.
 
Selon les chiffres fournis par ces plateformes, l'an dernier, YouTube comptait 9,17 millions d'utilisateurs en Belgique contre 6,3 millions pour Facebook, 4,9 millions pour Instagram, 4 millions pour TikTok, 3,8 millions pour Snapchat et 1,9 million pour X.
"TikTok accuse un retard en matière de transparence sur ses objectifs climatiques"
On l'a vu, la forte dépendance de TikTok au streaming vidéo en fait l'une des plus énergivores, contribuant ainsi à une empreinte environnementale substantielle : « Le streaming vidéo sur TikTok génère plus d’émissions par minute d’utilisation que des plateformes comme Twitter ou Facebook, qui reposent davantage sur du texte et des images. De plus, les fonctionnalités de lecture automatique et le flux continu de vidéos recommandées alimentent une demande énergétique difficile à réduire », notent les auteurs du rapport. 
 
Pour y remédier, ByteDance s'est engagé à atteindre la neutralité carbone dans ses opérations commerciales d'ici 2030, en mettant l'accent sur la réduction des émissions opérationnelles et la transition vers 100% d’énergie renouvelable pour ses centres de données, qui alimentent la vaste bibliothèque de contenus vidéo de TikTok. Ce qui est déjà le cas de celui basé en Norvège,
 
Toutefois, malgré ces avancées, Greenly estime que TikTok accuse un retard par rapport aux autres géants de la tech en matière de transparence sur ses objectifs climatiques. Des organisations comme Greenpeace East Asia ont souligné le manque de communication de TikTok sur ses efforts de décarbonation par rapport à ses concurrents et appellent à un rapport plus détaillé sur sa feuille de route vers la neutralité carbone.
"En plus de bénéficier des actions globales de Google, YouTube s’appuie sur plusieurs initiatives innovantes pour réduire son empreinte environnementale"
De son côté, en tant que filiale de Google, YouTube bénéficie de l’infrastructure des centres de données écoénergétiques du groupe, considérés au-dessus de la moyenne du secteur en termes d’efficacité énergétique. De plus, comme le souligne le rapport, Google s’est engagé à atteindre une énergie 100% décarbonée sur l’ensemble de ses opérations mondiales d’ici 2030 : « Cela signifie que, dans le futur, chaque heure de traitement des données de YouTube sera alimentée exclusivement par des sources renouvelables (éolien, solaire, géothermie), sans recourir aux énergies fossiles. » 
 
En plus de bénéficier des actions globales de Google, YouTube s’appuie sur plusieurs initiatives innovantes pour réduire son empreinte environnementale : le groupe a développé un système qui aligne les tâches informatiques, y compris le traitement et le stockage des vidéos, avec les moments où les énergies renouvelables sont les plus abondantes. « Ce système "intelligent en carbone" permet de réduire les émissions en optimisant le moment et le lieu où les tâches énergivores sont exécutées. »
 
Les centres de données qui alimentent YouTube sont aussi conçus pour minimiser la consommation d’énergie grâce à des modèles d’IA qui ajustent en temps réel l’utilisation énergétique. Ces infrastructures intègrent également des systèmes de refroidissement économes en eau et d’autres innovations pour réduire la demande énergétique globale.
 
Enfin, YouTube investit également dans des infrastructures physiques durables, comme son nouveau campus à San Bruno, en Californie, qui adoptera des pratiques de construction durables. Le rapport note encore qu’en  parallèle, « YouTube joue aussi un rôle dans la sensibilisation environnementale en promouvant du contenu éducatif et en établissant des partenariats pour encourager des pratiques durables ».
 
Cependant, malgré ces optimisations, les émissions totales de gaz à effet de serre de Google ont atteint 14,3 millions de tonnes métriques de CO2e en 2023 (Scopes 1, 2 et 3), en hausse de 13%. Cette augmentation est principalement due à la demande énergétique croissante liée à l’expansion des centres de données.
 
Bien que les émissions spécifiques de YouTube ne soient pas divulguées séparément, il est raisonnable de supposer que la plateforme contribue à cette augmentation globale, compte tenu de sa dépendance à cette infrastructure et de l’essor du streaming vidéo – très énergivore comme on l'a vu - et de sa base d’utilisateurs.
"Meta s’est positionnée comme un leader de la tech en matière de durabilité"
En ce qui concerne les efforts et initiatives de Meta, Greenly indique tout d’abord que dès 2020, le groupe a atteint une étape clé en achetant plus d’énergie renouvelable qu’elle n’en consommait, s’alignant sur sa mission à long terme de promouvoir la durabilité et de contribuer à une économie neutre en carbone. « Ses investissements ont fait des centres de données de Meta parmi les plus efficaces du secteur en matière d’énergie et depuis 2021, ces améliorations ont permis d’éviter l’émission de 16,4 millions de tonnes métriques de CO2 équivalent. »
 
« Le véritable défi reste à venir : traiter les émissions de Scope 3 tout au long de sa chaîne de valeur, qui constituent la majorité de l’empreinte carbone de Meta », indique le rapport de Greenly. Ces émissions ont atteint 7,5 millions de tonnes de CO2e en 2023. 
 
Consciente de ce problème, Meta a lancé le Net Zero Supplier Engagement Program, adopté par 28% de ses fournisseurs fin 2023, avec pour objectif d’atteindre les deux tiers d’ici 2026. En complément, l’entreprise investit dans des projets d’élimination du carbone pour compenser les émissions résiduelles difficiles à éliminer ; elle s’engage dans des initiatives basées sur la nature et des technologies de capture du carbone, en partenariat avec CarbonCapture, Heirloom ou Charm Industrial. Ces projets visent à séquestrer le CO2 atmosphérique et à le stocker sous terre, offrant une solution à long terme pour les émissions difficiles à réduire. Mais ils sont souvent coûteux, énergivores et pas encore à l’échelle pour un impact significatif : « Une dépendance excessive à ces méthodes peut créer une illusion de progrès et détourner l’attention des actions essentielles visant à réduire les émissions à la source. » 
 
Du reste, bien que les avancées de Meta en matière de durabilité soient considérées comme remarquables, Greenly souligne que l’entreprise doit relever des défis persistants, notamment avec son expansion dans des secteurs gourmands en données comme l’intelligence artificielle. 
Un objectif ambitieux pour Snapchat : Net Négatif d’ici 2030
Snapchat, la plateforme de Snap Inc., s’est engagé à devenir "net négatif en émissions carbone d’ici 2030", ce qui signifie qu’elle prévoit d’éliminer plus de carbone de l’atmosphère qu’il n’en émet chaque année. Snap affirme avoir atteint la neutralité carbone en 2021, en compensant ses émissions depuis sa création en 2011 afin d’équilibrer son impact environnemental. « Cependant, il est essentiel de noter qu’aucune entreprise ne peut réellement être "neutre en carbone" ou "zéro émission nette" au sens strict », alertent les auteurs du rapport. « Ces objectifs reposent souvent sur des mécanismes de compensation et des réductions complexes qui ne couvrent pas l’intégralité de l’empreinte environnementale d’une entreprise. »
 
Au-delà des défis de faisabilité, l’objectif de Snap de devenir net négatif d’ici 2030 est qualifié d’audacieux et le distingue de nombreuses autres entreprises technologiques. Pour atteindre cette cible, Snap prévoit d’éliminer plus de carbone qu’il n’en génère chaque année, de compenser ses émissions avec des crédits carbone "de haute qualité", d’intensifier ses efforts pour réduire ses émissions à la source, en particulier au sein de sa chaîne d’approvisionnement et de ses centres de données. Snap est aussi passé à une énergie 100% renouvelable pour tous ses bureaux mondiaux, étape clé pour réduire ses émissions de Scope 1 et 2.
 
Comme pour Meta, l’un des plus grands défis environnementaux de Snap réside dans ses émissions de Scope 3, qui représentent la majorité de son empreinte carbone. A ce niveau, l’entreprise s’est engagée à réduire ses émissions de 35% par "unité de valeur ajoutée" d’ici cette année. 
Aucune mise à jour sur les objectifs de neutralité carbone de X n'a été communiquée sous l’ère Musk
En ce qui concerne la plateforme sociale d’Elon Musk, dont les émissions de CO2e sont estimée 8.200 tonnes par an, Greenly rappelle qu’avant sa reprise, Twitter avait pris des engagements clairs en matière de durabilité,  la positionnant parmi les entreprises technologiques engagées dans la réduction de leur empreinte environnementale grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique et à l’achat d’énergie renouvelable. Toutefois, après son rebranding en X, ces initiatives sont devenues incertaines, et aucune mise à jour sur les objectifs de neutralité carbone n'a été communiquée.
 
« Bien qu’Elon Musk soit impliqué dans des entreprises axées sur la durabilité, comme Tesla et SpaceX, son soutien à Donald Trump jette un doute sur ses engagements écologiques. Cela soulève des questions sur la capacité de Musk à concilier leadership et objectifs environnementaux, et sur la volonté de X de maintenir une stratégie de durabilité cohérente avec ses autres priorités. »
"Une réduction significative des émissions nécessite un effort plus large et plus systémique"
Au-delà de toutes ces analyses, Greenly précise que l’impact environnemental des médias sociaux dépend du type d’appareil utilisé et du mix énergétique du pays. Ainsi, les émissions des États-Unis sont plus élevées qu’en France car l’électricité américaine repose sur les combustibles fossiles, alors qu’en France, l’énergie nucléaire prédomine. 
 
Greenly souligne encore que les termes "net zéro" et "neutralité carbone" sont souvent mal compris et surutilisés par les entreprises, notamment dans le secteur de la technologie et des médias sociaux : « Comme on l’observe avec les plateformes de médias sociaux, qui continuent d’accroître leur nombre d’utilisateurs et d’étendre leurs centres de données à forte consommation d’énergie, une réduction significative des émissions nécessite un effort plus large et plus systémique. Plutôt que de revendiquer un statut de net zéro, les entreprises devraient viser une compatibilité avec le net zéro, en alignant leurs stratégies sur l’objectif mondial de limitation du changement climatique, tout en assurant une transparence totale dans leur reporting des émissions et en reconnaissant les incertitudes entourant les méthodes de suppression et de compensation du carbone. »

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