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Beatriz Chufani (Ogilvy Social.Lab) : "La science du comportement est un atout majeur pour les questions qui requièrent nuance et empathie"

Samedi 18 Janvier 2025

Beatriz Chufani (Ogilvy Social.Lab) :

Les bonnes résolutions sont au mois de janvier ce que le champagne est aux huîtres. Hélas, dès la mi-janvier, la plupart d’entre elles tombent aux oubliettes… Il existe pourtant des moyens de modifier durablement les comportements. Une science tout entière y est même dédiée. Que notre secteur puisse également en tirer avantage ne surprendra personne. Beatriz Chufani, Strategic Planner chez Ogilvy Social.Lab et détentrice d’un Executive Master in Behavioural Science, nous livre quelques insights issus de la science du comportement très utiles en cette période de l’année - et au-delà.

Le 17 janvier - deuxième vendredi de janvier - c’était le Quitters Day. Ce jour où, paraît-il, nous abandonnons en masse nos traditionnelles résolutions du Nouvel An. Comment cela se fait-il ?

Le début de l’année est l’un de ces moments typiques qui invitent à un nouveau départ, comme un reset, une nouvelle page blanche à remplir de bonnes résolutions. Il y a d’autres moments de ce genre - une nouvelle saison, après les vacances, ou simplement le début d’une nouvelle semaine -, mais la motivation est encore plus forte à la nouvelle année.

Malheureusement, les bonnes intentions et résolutions ne suffisent pas ; nous sommes souvent en butte à nos limites personnelles. D’autres phénomènes entrent également en ligne de compte, tels celui que les scientifiques appellent le "biais du présent", où la gratification instantanée que vous ressentez en vous laissant aller à une mauvaise habitude est supérieure à la récompense différée obtenue si vous tenez votre bonne résolution. Heureusement, certaines tactiques comportementales peuvent vous aider à contourner ces phénomènes.

Dites-nous tout !

Tout d’abord, il y a toutes sortes de tactiques de récompense classiques et désormais de "gamification" ainsi que des "commitment devices" conçus pour vous encourager à rester fidèle à votre engagement - un abonnement coûteux à un centre de fitness par exemple. 

Viennent ensuite des astuces plus sophistiquées, comme le "temptation bunding" : regarder Netflix en faisant du sport, écouter vos podcasts préférés en courant, etc. Vous combinez ainsi quelque chose qui vous procure un sentiment de bien-être immédiat avec des gains à long terme. 

Le "chunking" est autre méthode efficace, qui consiste à diviser un grand objectif en plusieurs objectifs plus petits, ce qui facilite leur réalisation. Autre conseil : établissez un plan, décidez par quoi vous allez commencer, organisez-vous - vous-même et votre environnement – de manière à ce que la nouvelle résolution soit le choix par défaut, et prévoyez des rappels.
Enfin, l’effet "golden gradient" et l’astucieux "piggy backing" sont également très efficaces. Pour la première technique, pensez à Duolingo, qui vous incite à ne pas interrompre le flux d’une série de "good streaks" et donc à persévérer. Quant à la dernière technique, il s’agit d’ajouter une nouvelle bonne habitude à une habitude existante : elle s’installe ainsi plus facilement.

Toutes les tactiques que vous citez sont issues de la science du comportement, une discipline qui fait de plus en plus ses preuves dans la publicité. Comment les utilisez-vous chez Ogilvy ?

De diverses façons. Chez Ogilvy, nous avons une solide division dédiée à la behavioral science dirigée par Rory Sutherland, ce qui nous permet d’appliquer ces principes de façon efficace pour nos clients. On trouve un bon aperçu des meilleures pratiques de l’année écoulée dans le Behavioural Science Annual 2024 d’Ogilvy Consulting London, qui présente les meilleurs case studies de l’an dernier relatifs à la science du comportement et concernant le lien entre la culture et le comportement souhaité. Chaque cas démontre l’impact de la compréhension du comportement humain lorsqu’il s’agit de changer la perception d’une marque, stimuler les ventes ou déclencher un changement sociétal de plus en plus urgent.

Pour vous donner un exemple belge qui n’est pas dans le rapport, mon cas préféré est une campagne sur la cybersécurité pour le SPF Économie. Il s’agissait d’une campagne de sensibilisation visant à lutter contre le biais d’optimisme dont un grand nombre de personnes semblent être atteintes en ligne : elles pensent qu’elles ne seront pas victimes de fraude ni d’abus, alors que le risque est bien réel et qu’elles peuvent l’éviter à condition de modifier leur comportement.

Nous avons donc conçu une campagne pour amener les gens à visiter le site web, où ils pouvaient trouver les outils nécessaires pour apprendre à se protéger. Nous avons utilisé ce que nous appelons la "technique du pied dans la porte" : nous leur avons d’abord demandé d’effectuer une petite tâche, telle un pas vers un objectif plus important. Dans le cas présent, nous leur avons demandé de procéder à un scan de sécurité rapide, après quoi nous les avons renvoyés aux résultats et un scan approfondi. La campagne fut couronnée de succès.

Nous souhaitons utiliser de plus en plus ce type de principes, en fonction de l’objectif visé bien sûr. La science du comportement est un atout majeur pour les questions qui requièrent nuance et empathie, y compris et surtout en ligne. Grâce à l’écoute sociale et à l’analyse des comportements de recherche en ligne, nous collectons de nombreux insights. Ceux-ci nous aident à comprendre pourquoi les gens prennent certaines décisions, à identifier des modèles et à les utiliser comme point de départ de nos stratégies, notamment pour encourager un comportement positif en ligne.

En parlant de comportement positif en ligne : maintenant que Meta a décidé de supprimer les factcheckersexternes et d’appliquer le principe des community notes pour déterminer la véracité des informations, quel est le rôle réservé à la science du comportement ?

Il s’agit effectivement d’une évolution inquiétante, car la nature humaine est loin d’être parfaite et la manière dont nous traitons l’information comprend des failles, comme dans le phénomène de "l’illusory truth effect" : plus vous entendez quelque chose, plus vous pouvez et allez y croire, que ce soit vrai ou non. 

D’autre part, on constate aussi qu’il existe une forte corrélation entre la désinformation et les émotions fortes. Or, les émotions fortes peuvent être justifiées ou trompeuses. C’est là qu’est notre rôle en tant qu’individus, mais aussi celui des marques en tant que piliers de la société, d’utiliser les médias sociaux pour diffuser des messages rassembleurs, humains et positifs, plutôt que des messages polarisants. C’est ainsi que peut s’amorcer un changement concret.

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