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Mauvais signal, par Fred Bouchar (MM)

Dimanche 11 Août 2024

Mauvais signal, par Fred Bouchar (MM)

Les mots comptent. 
 
« Les meilleurs athlètes du monde ne sont pas seulement motivés par l'idée de gagner, ils s’en nourrissent, inlassablement (…) Dans un monde où la quête de victoires a une réputation de perdant, "Winnings Isn't for Everyone" évoque le cran, la détermination et le sacrifice qui, selon les athlètes, sont nécessaires pour arriver au sommet de leur sport », peut-on lire dans le communiqué de Nike sur sa campagne estivale. 
 
« Il s'agit de célébrer la voix de l'athlète. C'est une histoire sur ce qu'il faut faire pour être le meilleur. Les héritages qui n'ont pas encore été façonnés. Et les rêves qui deviendront réalité. Il rappelle au monde qu'il n'y a rien de mal à vouloir gagner », déclare la CMO de Nike, Nicole Graham.
 
"L’hymne" qui introduit la campagne est visible ici
 
« Suis-je une mauvaise personne ? », nous apostrophe Willem Dafoe. 
 
« Je suis déterminé. Je suis trompeur. Je suis obsessionnel. Je suis égoïste. Je ne suis jamais satisfait. Je ne vous respecte pas. Je suis obsédé par le pouvoir. Je suis irrationnel. Je n'ai aucun remords. Je n'ai aucun sens de la compassion. Je suis délirant. Je suis maniaque. »
 
« Est-ce que cela fait de moi une mauvaise personne ? Dites-moi, est-ce le cas ? »
 
On a juste envie de répondre : mauvaise campagne et, plus fondamentalement, mauvais signal.  
 
Il n’y a effectivement rien de mal à vouloir gagner, mais vouloir être le meilleur implique-t-il de n'avoir aucun respect, aucune compassion, aucune empathie pour ses adversaires ? 
 
En voulant se positionner comme un gagnant « dans un monde où la quête de victoires a une réputation de perdant », Nike, la marque la plus inclusive au monde selon une récente étude de Kantar, connue pour ses prises de position progressistes, ne renie-t-elle pas ses valeurs humanistes centrées sur l’individu et les sportifs amateurs qui constituent l’essentiel de sa clientèle ? 
 
« Je pense que je suis meilleur que les autres. Je veux prendre ce qui est à vous et ne jamais le rendre », psalmodie Dafoe. 
 
Que penserait Dan Wieden de ce storytelling ?
 
Comme le relève un chroniqueur très inspiré de The Drum, nous sommes-nous à ce point éloignés de l'époque Colin Kaepernick, où l'on s'unissait et où l'on se dressait avec défi face à la haine ? 
 
Je vous invite à lire le texte de ce spécialiste des marques : il insiste sur le pouvoir viral des prises de parole de Nike et, pour le coup, sur le potentiel danger des effets collatéraux que peut avoir sur les jeunes un tel discours qui valorise le "moi" et le "je". 

Le pouvoir du sport et l’esprit sportif se conjuguent avant tout à la première personne du pluriel, comme l'ont bien compris AXA et Publicis
 
Du reste, les marketers et les créatifs à la base de ce "Winning isn’t for everyone" pensent-ils vraiment que cette soif de victoire à tout prix motive le sportif moyen ? 
 
Et lorsqu’ils prétendent se mettre au diapason des athlètes qui figurent dans  la campagne, sur quoi se basent-ils ? Ont-ils suivi les JO et les accolades entre sportifs avant, pendant et après les compétitions ? Ont-ils vu Simone Biles et Jordan Chiles s’agenouiller pour célébrer la médaille d’or d’Andrade ? Ont-ils vu la complicité de Duplantis avec ses principaux concurrents avant d’inscrire son nouveau record du monde ? Pensez-vous qu’il valide ce message : « Mon rêve est de mettre fin au tien » ?
Un confrère a aussi écrit à propos de cette campagne que Nike cherche peut-être à se démarquer de ses campagnes pro-LGBTQIA+, pro-#blacklifematters et pro-#genderequality qui ont pu brouiller son message auprès d’une partie de son audience pour embrasser des idéologies plus "conservatrices" qui ont le vent en poupe. 
 
La performance et la détermination sans concession, l’égoïsme comme nouveau mantra ou simplement… une posture toute publicitaire de "post-purpose" ? 
 
Compte tenu de son impact sociétal et culturel, Nike doit aussi assumer des responsabilités qui vont au-delà de sa valorisation boursière.  
 
Nike doit retrouver sa grandeur ! 

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