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LE SALON DE L'AUTO EN QUESTION

Vendredi 9 Février 2024

LE SALON DE L'AUTO EN QUESTION

Il fêtait son centenaire en 2023. On parle du Salon de l'Auto de Bruxelles - le Brussels Motor Show de la FEBIAC -, considéré jusqu’alors comme un rendez-vous incontournable. Mais le "consumer journey" aura eu raison de ce détour pas si obligé : les innovations et les promotions se défendent très bien via le Web et les showrooms, à moindre coût et avec plus d’efficacité selon les avis.

Alors un Salon de l’Auto, pour qui, pour quoi ? Et surtout, pourquoi pas cette année ? 

La question a été posée à quelques groupes de premier plan, dont D’Ieteren par la voix de José Fernandez (Chief Marketing & Digital Officer) qui remet tout de suite les pendules à l'heure : « Une rumeur insistante prête à D’Ieteren le fait de ne pas avoir voulu de Salon cette année, mais la décision vient de la FEBIAC, qui est une fédération représentant tout le secteur automobile. D’Ieteren compte pour 24% du marché, mais s’il y avait eu une volonté d’organisation nul doute que cela aurait été fait. » Ce point est confirmé par Ewoud Van Der Heyden (Marketing Director, BMW Group Belux) : « Nous avons voté à la majorité et plus de 70% de l’opinion ont été à l’annulation du Salon pour cette année ». 

Un premier argument pour éviter le salon relève sans surprise d’un ordre économique et aussi sociétal. 
José Fernandez : « Le temps n’est plus aux grands salons ou foires commerciales, on le voit aussi avec la disparition de Cocoon ou les difficultés de Batibouw. Le consommateur d’aujourd’hui recherche de l’information, facile et désormais suffisante par le Web ou nos campagnes de communication. Et en cette période de crise, des offres adaptées et intéressantes. Nous avons beaucoup travaillé sur ces deux plans. » 
Mais d’après le Directeur Marketing de BMW, le principe ne vise pas à l’économie budgétaire mais serait stratégique. C'est le second argument : « Le Salon sous sa forme récente n’était plus adapté à découvrir des modèles et échanger qualitativement. Actuellement, les consommateurs le font très correctement via internet, avec un relais rapide auprès des concessionnaires, qui restent un maillon central dans la chaîne commerciale », explique Ewoud Van Der Heyden.  
Et de préciser que les taux de conversion sont devenus meilleurs par le mix des campagnes publicitaires et des services d’achats en ligne, que lors du dernier Salon où les ventes étaient devenues plus complexes à opérer, et les indicateurs, moins positifs. « Les développements en digital y sont pour beaucoup », souligne le responsable marketing de BMW. 

Propos complétés par ceux du CEO de Serviceplan, l'une des agences de BMW : « Nous avons développé un ‘reversed funnel’, voulant dire que tout se base sur du sales leading. Et ceci est conçu par modèle. Nous sentons toujours un intérêt spontané pendant la période de décembre à janvier, voire février. Le momentum est toujours là et BMW est d’ailleurs la seule marque qui a communiqué sur le sujet en utilisant son nom dès décembre, même si cette année il était virtuel ou dans le réseau », déclare Peter Vande Graveele.
Annick Geerts (Media Manager, Stellantis Belux) évoque un autre phénomène : « Le concept de Salon de l'Auto physique reste un phénomène historique qui exerce une influence considérable sur le marché en Belgique. Mais pendant et après la période Covid, des initiatives intéressantes telles que des showrooms virtuels et des activations à grande échelle dans le réseau de concessionnaires sont apparues comme des moyens alternatifs de maintenir la même dynamique de marché. » 
De façon plus spécifique Annick Geerts évoque les priorités de son groupe : « En tant qu'importateur de plusieurs marques qui ont à la fois un territoire B2C et B2B à défendre, nous avons été contraints d'explorer des alternatives au Salon. Et cette année, nous avons choisi de mettre l'accent sur le B2B, en particulier sur nos clients fleet et ceux de nos retailers. Pour ce faire, nous avons ajouté quatre événements régionaux fleet afin de mettre en avant l'ensemble de la gamme Stellantis auprès des propriétaires de flottes et des sociétés de leasing. » Ceci sans oublier le B2C et la réalisation d’un bon vieux toutes-boîtes en collaboration avec AutoGids en bpost pour promouvoir les cinq marques mainstream de Stellantis : « Cela nous a permis de toucher pas moins de 2,5 millions de personnes en une semaine. Les premiers résultats en termes de trafic sur le site web et de ventes potentielles sont prometteurs », relève Annick Geerts. 
Les soldes de janvier
Une année sans Salon n’est pas une année sans conditions Salons. Et pour le client, il semblerait que ce soit essentiel, même si le processus d’achat se montre plus lent, entre l’intérêt et sa conversion plusieurs semaines plus tard. Si la véritable « foire tous publics » pour se divertir n’est plus intéressante pour les marques, en revanche des actions spéciales et même sur le terrain restent à la fois productive pour le branding et les ventes. On pointera notamment cette action spéciale du « mini Salon » où des showrooms y compris concurrents ont organisé des weekends complets dont nocturnes, afin d’attirer le chalands dans un contexte un peu festif et différents. Ewoud Van Der Heyden : « Vous aviez du catering, un speech, des modèles spéciaux… Le vrai contact avec la marque et les dealers est et restera toujours essentiel. » Mais aussi pour faire évoluer les comportements, ajoute Peter Vande Graveele : « L’électrification des modèles génèrent encore des doutes et des questions. Il faut de véritable formations et un certain délai pour que les attitudes changent. Tout doit s’expliquer et aussi les faiblesses. L’humain, la user centricity et les contacts restent primordiaux aussi pour ces raisons. » 

Sans que ce ne fut le but premier, les marques ont bien dû investir le coût du Salon quelque part. José Fernandez relativise : « Le marché a l’impression que sans Salon, les constructeurs disposent désormais d’une manne providentielle de cash à dépenser. Mais nous sommes dans un marché en décroissance. Même si 2023 était une bonne année, nous restons loin des 550.000 véhicules neufs vendus par an pre-Covid. » Comme pour les autres distributeurs contactés, « les moyens marketing sont investis de façon raisonnée, avec un accent sur nos campagnes - les marques de D’Ieteren sont très présentes en ce début d’année dans tous les médias - et également notre présence en concession, avec des activations locales organisées par notre réseau. »

Lesquelles actions sont indissociables des promotions, ce que confirme le CMO de D’Ieteren : « La période Salon est celle des bonnes affaires. Il faut que janvier reste le mois des soldes dans le commerce, et de l’automobile. » Annick Geerts ne dit pas autre chose, la demande est inconditionnelle : « Traditionnellement, les messages de communication tactique dominent surtout en janvier et février. Il est possible que chacun d'entre nous, en tant que constructeur et importateur, alimente cette tendance, mais il est crucial de ne pas laisser l'élan de notre industrie s'affaiblir, même en l'absence d'un Salon physique. »
Pour sa part, Martin Domise (Managing Director, Renault Belux) vogue à contre-courant et aura préféré réaliser des campagnes produits : « Nous avons des modèles innovants, et des sujets en dehors des promotions comme les nouveaux usages des véhicules, qui se distinguent de la possession, de l’achat classique. Les nouveaux consommateurs évoluent par rapport à cela. » Phénomène qui serait encouragé par les nouvelles motorisations.
Le long chemin de la transition
Dans cette période où les médias et réseaux sociaux disent tout et son contraire notamment sur l’électrification, alors que l’inflation met la pression sur les ménages, on ne doit pas s’étonner que les consommateurs se montre assez hésitants pour ce gros poste de dépense que représente l'automobile. José Fernandez qualifierait l’état d’esprit actuel comme de la confusion : « Quelle voiture ? Quelle motorisation, hybride ou full électrique ? Pourrais-je encore utiliser ma voiture à Bruxelles dans quelques années ? Comment recharger en ville ? Ce sont les questionnements du consommateur lambda, avec des pouvoirs publics non coordonnés aux différents niveaux et qui envoient des signaux contradictoires, ajoutant à la confusion ambiante. » Augmenté des problèmes économiques, tout est en place pour « surtout ne pas décider », observe-t-il. 

« Il est évident que le choix d'une voiture demande plus de réflexion que, par exemple, le choix de votre pain préféré », ajoute Annick Geerts. Elle poursuit, résumant assez bien les tendances et évolutions probables du marché : « Nous constatons au passage une réticence au tout électrique chez les particuliers. D'une part, l'inconnu joue un rôle, mais d'autre part, nous constatons également une forme de procrastination en raison du prix d'achat plus élevé. Les initiatives telles que les primes du gouvernement flamand jouent un rôle crucial pour encourager les particuliers à passer à l'électrique. Dans les mois et les années à venir, de nombreux modèles électriques abordables seront certainement introduits pour accroître l'accessibilité, y compris et surtout pour Stellantis. Les hybrides restent également une option, notamment pour éliminer l'angoisse de l'autonomie. Bien que le soutien politique fasse défaut, nous voyons clairement émerger des opportunités pour le marché de l'occasion. En outre, nous constatons que le marché s'ouvre lentement à des formes d'achat moins traditionnelles et que le leasing privé pourrait finalement faire sa grande percée dans les années à venir, comme c'est déjà le cas dans nos pays voisins. »
Quel avenir pour le Palais 12 ?
Les avis sont partagés et il est trop tôt pour dresser le bilan complet de cette année particulière, comme l’indique Martin Domise : « Les effets de saisonnalité ne se mesurent qu’en fin d’année ». Et d’ajouter que, comme d’autres, à défaut de retrouver un grand Salon, Renault y va de son propre événement en février, orienté plutôt B2B, dont la mise en avant de modèles particuliers comme le nouveau Scenic. 

Quoi qu’il en soit, le Managing Director de Renault Belux reste convaincu de l’intérêt d'un événement comme le Salon : « D’abord, sans salon, vous n’avez pas de couverture presse, mais principalement des campagnes promos. Et peu d’interactions avec le grand public, alors qu’elles sont nécessaires. Chez Renault nous voulons parler des modèles et des sujets d’actualité comme la compréhension des multiples motorisations. Tout ramener à la pub et au réseau n’est pas suffisant. La valeur du salon n’a pas de prix, pour parler et faire parler positivement de l’automobile. »

Une vision qu'Annick Geerts partage assez bien : « Une exposition générale de voitures en un seul lieu pendant 10 jours reste précieuse, en particulier pour les grandes marques, car les choix sur le marché sont très vastes. Aujourd'hui, les consommateurs privés ont l'embarras du choix et il est idéal de pouvoir voir, expérimenter et comparer différents modèles en un seul lieu et en une seule journée. Le Salon de l'auto reste une période spécifique qui stimule les ventes, tant sur le stand que chez les concessionnaires. Et cela reste certainement quelque chose d'unique en Europe. »

Le point de vue n’est pas identique chez BMW où le positionnement diffère également : « Nous ne pouvons et ne voulons pas organiser un grand événement pour tous, incluant les étudiants, les curieux, les inactifs, etc. C’est peut-être lié à notre caractère premium. En revanche, participer à ou organiser des events plus spécialisés, comme nous le faisons en février à l’attention des services publics, serait plus pertinent car plus pointu. » Et donc plus rentables en branding ou ventes.

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