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Data diggers : L'union fait la force

Mercredi 21 Avril 2021

Data diggers : L'union fait la force

Dans un monde bientôt privé de cookies tiers, les données passent plus que jamais pour le nouvel or noir au service des annonceurs. Désireuses d'exploiter au mieux cette manne et de ne pas voir les revenus digitaux leur échapper, les régies belges travaillent d'arrache-pied pour créer des plateformes performantes. S'ils veulent jouer dans la cour des grands, nos acteurs locaux ont absolument besoin d'outils standardisés, d'un inventaire de qualité et de partenariats stratégiques. Or, le chemin est encore long.

Selon la dernière étude Matrix de BAM, la publicité digitale représentait quelque 41% du total des investissements médias en 2019 ; l'étude de l'UBA parle quant à elle de 36%, tandis que l'UMA Benchmark fait état de 26% (28% en 2020). Si ces trois chiffres se basent sur des périmètres différents, force est toutefois de constater que le digital connaît une croissance significative. Ce succès, il le doit en partie à l'augmentation constante de la consommation de médias numériques, qui incite logiquement les annonceurs à allouer une part toujours plus grande de leurs budgets à l'Internet. 

Dans ce contexte, les données jouent un rôle crucial pour les aider à toucher leurs cibles volatiles. Et la disparition prochaine des cookies va encore en accroître la valeur : annonceurs et agences devront à l'avenir s'appuyer sur leurs propres données, mais surtout sur celles des régies, pour s'assurer que leurs campagnes digitales touchent véritablement leur cible. Cette évolution a d'ailleurs déjà commencé.

« En 2020, nos first-party data ont été utilisées pour 35% de nos recettes numériques sur notre marché non ouvert. Soit presque deux fois plus qu'en 2019, et cette part continue à augmenter de mois en mois », confirme Olivier Van Zeebroeck, Director Advertising Strategy & Operations chez DPG Media. 
Deal !

La première condition pour pouvoir exploiter ces first-party data ou données propriétaires, c'est bien sûr d'en avoir. « La stratégie data s'inscrit par définition dans une stratégie digitale », fait remarquer Olivier Van Zeebroeck à ce sujet. « Les régies doivent toujours partir des contenus de leurs médias. En se basant sur l'audience numérique, on peut collecter un maximum de données sur toutes les plateformes, y compris concernant les habitudes de lecture et de visualisation, l'emplacement, etc. » 

À cet égard, la cohérence des environnements "loggés" joue un rôle majeur. Elle permet en effet à la régie de collecter des données fiables et détaillées, avec le consentement requis (et approprié) du consommateur et dans le strict respect du RGPD. Les plateformes telles que VTM GO, VRT NU, Auvio et HLN.be ne tablent donc pas seulement sur l'évolution de la consommation des médias, mais constituent aussi une source d'information essentielle pour la stratégie data de leurs éditeurs. 

La deuxième étape consiste à rassembler les données de toutes les marques en portefeuille - qui disposent souvent chacune d'une plateforme distincte - au sein d'un "data lake". 
« Nos marques restent nos héros, mais depuis deux ans, nous nous efforçons d'agréger les données qu'elles génèrent en une audience », illustre Mark Daemen, Director Strategy & Innovation chez Roularta Media. « En effet, on peut faire de nombreux croisements intéressants, non seulement entre nos différentes marques, mais aussi entre leurs plateformes et touchpoints respectifs.  »
« Ensuite, on en extrait les segments pertinents, toutes marques confondues, pour permettre aux annonceurs et à leurs agences de les utiliser dans leurs campagnes de données. » 

Ces segments ne sont pas seulement précieux pour les régies : ils peuvent également générer de la valeur pour les consommateurs. «  L'idéal est de leur donner quelque chose en échange de leurs données », estime Olivier Van Zeebroeck. « Ce deal symbolique peut porter sur l'activation de certains services, la communication de certaines informations, la consommation de contenus, etc.  » 
Mark Daemen :  « En savoir davantage sur nos lecteurs nous permet d’optimiser leur expérience. C’est un autre pilier de notre stratégie digitale : l’engagement en tant qu’indicateur clé. »
Qui plus est, les données peuvent contribuer à améliorer l'expérience utilisateur en ligne. Ainsi, la nouvelle appli unique développée en interne par Roularta pour toutes ses marques permet aux lecteurs d'accéder à l'aide d'un seul identifiant aux articles de tous les titres du groupe. Sa fonction est double : les utilisateurs n'ont plus à télécharger six applis différentes et, en même temps, l'éditeur collecte de nombreuses données précieuses sur ses lecteurs et leur consommation média. « En savoir davantage sur nos lecteurs nous permet d'optimiser leur expérience », résume Mark Daemen. « C'est un autre pilier de notre stratégie digitale : l'engagement en tant qu'indicateur clé. Quelles relations nouons-nous avec nos lecteurs ? Que lisent-ils ? Quand et à quelle fréquence ? Ces informations permettent de calculer un score d'engagement, de segmenter les utilisateurs en fonction de leurs habitudes et d'adapter leur expérience en conséquence. Il s'agit de trouver le juste équilibre entre la curation et la personnalisation pour éviter à la fois les chambres d'écho et l'irritation. »

Premium, please !

Si les médias belges et leurs représentants commerciaux misent désormais à plein sur les données digitales, c'est bien sûr aussi à cause de la nécessité urgente de préserver leurs revenus de publicité digitale. Pour ne pas voir ceux-ci finir dans la poche de pure players internationaux tels que Google et Facebook, ils doivent offrir des solutions convaincantes et surtout aisément accessibles.

Ces géants de la Toile accaparent aujourd'hui quelque 80% des investissements publicitaires numériques. Toutefois, à en croire les spécialistes, il faut apporter quelques nuances à ce chiffre. « Google et Facebook ne représentent pas nécessairement plus d'utilisateurs en Belgique que l'ensemble des éditeurs belges réunis », souligne Mark Daemen. « Mais les acteurs internationaux amortissent leurs coûts à l'échelle mondiale, tandis que les annonceurs locaux le font uniquement sur leur propre marché. Cela a bien sûr des répercussions sur le prix de leurs produits. »

De plus, la publicité digitale est un concept vaste qui recouvre des réalités variées. « Le terme englobe plusieurs secteurs d'activité, et les GAFAM n'occupent pas une position dominante dans chacun d'eux, bien qu'ils constituent bien sûr la référence et qu'ils aient élargi le gâteau, poursuit Olivier Van Zeebroeck. En display et search, par exemple, ils monopolisent le marché ; mais en vidéo, DPG Media détient une part considérable. Grâce à VTM GO et à HLN.be, nous avons une offre de meilleure qualité que YouTube. »

Ce n'est pas seulement une question d'audience (VTM GO a touché 1,5 million de personnes en 2020 et le site HLN.be compte 2,6 millions de navigateurs uniques par jour), mais cela s'explique aussi par le fait que, comme la majorité des médias en ligne nationaux et contrairement à la plupart des pure players internationaux, ces sites garantissent un contexte premium pour les campagnes digitales. Un caractère premium qui, dans notre pays, est d'ailleurs certifié par le label DAT mis en place par l'UBA et WeMedia et attribué pour une période de douze mois par un organisme indépendant. Il concerne le display, mais aussi depuis peu la vidéo, et vise à évaluer la qualité des sites qui s'engagent à faire de la « publicité responsable ». Cinq critères entrent en ligne de compte : la brand safety, la visibilité, la fraude publicitaire, l'expérience utilisateur et le respect de la vie privée. Il s'agit précisément des difficultés que les marques peuvent rencontrer en faisant appel aux grands acteurs du Web. 

Libre-service

« Si nous devons engager la bataille avec Google et Facebook, il serait par contre naïf de croire que nous pouvons les éclipser », note un Olivier Van Zeebroeck réaliste. « Nous voulons que les annonceurs ou acheteurs considèrent toujours DPG Media comme un choix logique pour tout type de plan, à côté de Google et de Facebook. En plus de notre audience qualitative et de notre mine de first party data, nous tablons sur une offre de services complémentaires. Car c'est aussi là que réside notre force. Comme nos confrères de la plupart des régies, nous avons une vaste équipe commerciale qui s'attelle au quotidien à discuter avec les annonceurs de leurs défis et de la façon dont nous pouvons les aider à relever ceux-ci. »

En outre, DPG Media mettra bientôt en oeuvre ses DPG Ads, probablement la première initiative belge de données en "libre-service" de cette ampleur qui permettra aux annonceurs de déployer eux-mêmes leurs campagnes digitales. Ce tour de force a été entièrement réalisé en interne par la structure belgo-néerlandaise du groupe, « un des avantages des synergies possibles entre les deux pays », se réjouit Van Zeebroeck. Il deviendra opérationnel en plusieurs phases au cours de l'année. 
Olivier Van Zeebroeck : « Le DataLab n’est pas un rate card selector, mais un moyen d’exploiter nos points de données granulaires. »
La première étape, appelée DataLab, sera alimentée par les first-party data du groupe, complétées ou non par des données de l'annonceur. « On pourra s'en servir pour construire sa propre audience personnalisée, par exemple en jonglant avec des milliers de mots-clés, mais aussi en utilisant des segments prédéfinis. Le DataLab n'est pas un rate card selector, mais un moyen d'exploiter nos points de données granulaires », précise Van Zeebroeck. 

La deuxième étape est le Design Studio, où les utilisateurs pourront développer leurs propres formats et les activer directement dans le système de DPG Media. Enfin, le groupe lancera Direct, une plateforme d'achat média conviviale pour les PME et les agences locales, qui permettra aux utilisateurs de concevoir et d'activer une campagne en trois minutes. Une version "Entreprise" destinée aux gros annonceurs et aux grandes agences est également prévue ultérieurement. 

« Au début, les trois plateformes coexisteront, mais notre intention est de les regrouper à terme au sein de l'écosystème de DPG Ads », indique Van Zeebroeck. « Une fois que ce sera fait, les utilisateurs pourront analyser en permanence leurs campagnes, voir ce qui fonctionne et apporter les optimisations nécessaires. »

La plateforme est un exemple parfait de walled garden ou jardin clos, une pratique appelée à e développer avec la disparition des cookies tiers. Cette évolution mettra d'ailleurs sous pression toute l'économie de l'open web. « On ne pourra plus recibler ou effectuer un capping sur toutes les plateformes comme c'est le cas aujourd'hui », prévient Van Zeebroeck. « Mais notre groupe y voit plutôt une opportunité. Nous voulons dépendre le moins possible de l'open web, parce que ce n'est pas un écosystème transparent. Plus de la moitié des euros investis dans les médias disparaissent dans la supply chain, autrement dit dans la poche des intermédiaires techniques. Nous voulons que chaque euro dépensé pour obtenir une impression le soit uniquement dans ce but. C'est pourquoi nous devons mettre sur pied une solution plus efficace que l'Open Web. »

Plus forts ensemble (mais quand  ?)

Mais si chaque régie construit son propre jardin clos pour contourner le web ouvert, cela pourrait alourdir considérablement le travail des annonceurs et des acheteurs. Il est donc important de rendre ces jardins aussi grands et techniquement comparables que possible, afin de pouvoir apparaître comme un choix évident, comme une solution de rechange à part entière qui n'a pas à rougir de l'offre adtech internationale. Cela ne pourra se faire sans une collaboration entre tous les acteurs locaux. 

La Belgian Data Alliance, créée en 2019 sous l'impulsion de l'actuel CEO de Proximus Guillaume Boutin, était une tentative en ce sens. Il a réussi à réunir autour de la table son concurrent Telenet, ainsi que Rossel, la RTBF, RTL, Mediahuis, DPG, la VRT et SBS. Le plan initial consistait à examiner si ces entreprises pouvaient se partager les données de leurs consommateurs en vue de personnaliser leur publicité. On n'en est pas encore là, mais une uniformisation a été annoncée en octobre dernier, toutes les parties prenantes définissant plus de 25 cibles en fonction du pouvoir d'achat, de la composition familiale et des centres d'intérêt (amateurs de sport, gastronomes, passionnés de voyages, etc.) Le reporting a également été uniformisé, tandis que les spécifications techniques du matériel à fournir ont été simplifiées et standardisées. 

Malheureusement, l'initiative ne concernait que la publicité adressée. « Il y a bien des échanges à ce sujet, mais ils se limitent pour l'instant à des contacts informels entre les différents acteurs et à des déclarations d'intention sans véritable engagement », indiquent Van Zeebroeck et Daemen. À cet égard, Ads & Data, la régie commune de Mediahuis, SBS, Pebble Media et Proximus, pourrait constituer un grand pas en avant. Dans sa configuration initiale, elle touche plus de 70% des néerlandophones et environ 25% des francophones, malgré l'absence d'un véritable partenaire dans le sud du pays. Mais cela pourrait changer rapidement, car l'initiative est ouverte à l'entrée de nouveaux actionnaires.

Context is king

Outre les partenariats visant à garantir une audience suffisante aux annonceurs digitaux, un certain nombre d'autres défis attendent les conseils d'administration dans le monde post-cookies. Ils devront notamment mieux prouver la valeur ajoutée des campagnes data-driven. Cela pourrait se faire par le biais d'études d'impact, par exemple, ce que DPG Media entend offrir prochainement à grande échelle à ses annonceurs. « En plus des études d'impact, nous voulons aussi améliorer constamment les performances de nos médias numériques. Par exemple, nous voulons ajouter une dimension interactive aux campagnes de VTM GO, ce qui permettra non seulement de sensibiliser le public, mais aussi d'inciter plus facilement les téléspectateurs à l'action », poursuit Van Zeebroeck. Il souligne que le digital est plus qu'une simple "last-click performance". « Nous devons démontrer que la publicité en ligne nous permet de desservir l'ensemble de l'entonnoir marketing. »

Pour conclure, disons un mot sur les expériences en cours en matière de ciblage sans cookies tiers. « Nous mettons tout en oeuvre pour affiner l'achat contextuel par les annonceurs. Les algorithmes deviennent de plus en plus intelligents, ce qui permet de mieux comprendre le contexte. De plus, nous mappons notre portefeuille de contenu avec la taxonomie de l'IAB », explique Van Zeebroeck. « Par exemple, les annonceurs pourront faire des achats contextuels beaucoup plus élaborés et nous offrirons la brand suitability en plus de la brand safety, ce qui permettra aux annonceurs de contrôler le contexte dans lequel ils souhaitent insérer leur publicité pour générer un impact maximal. À cette fin, nous nous appuyons également sur le framework de la Global Alliance for Responsible Media (GARM), une initiative de grands annonceurs tels que P&G, Unilever et PepsiCo qui identifie de façon beaucoup plus nuancée les risques potentiels en matière de brand safety. »  

Dans ce domaine, les acteurs locaux présentent le formidable avantage de créer eux-mêmes les contenus. « La disparition des cookies tiers rendra le contexte encore plus décisif. Il s'agit à vrai dire du point de données le plus précieux », conclut Mark Daemen. « Et nous gardons le contrôle sur ce contexte et sur nos contenus grâce au lien direct avec les consommateurs. Pour toucher nos segments contextuels, il faudra nécessairement passer par nous. Cela vaut d'ailleurs pour toutes les régies, et c'était déjà le cas avec la publicité hors ligne. »

Bref, les acteurs locaux ne restent pas les bras croisés. Mais on peut bien sûr en dire autant des GAFAM. Sans doute faudra-t-il rester vigilant et tenir à l'oeil ce que Google va faire avec sa Privacy Sandbox. En effet, il n'est pas exclu que, grâce à Chrome, le géant sorte encore renforcé de la bataille post-cookie...

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