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Les régies redéfinissent le cap après la tempête

Lundi 29 Juin 2020

Les régies redéfinissent le cap après la tempête

Tenaillées entre des hausses spectaculaires de leur reach et une baisse tout aussi radicale de leurs recettes, la plupart des régies font cependant preuve d'une étonnante résilience en ces temps difficiles. Mais comment entendent-elles affronter les flots houleux des prochains mois et années  ? 

Trois mois après les premières mesures de confinement, le pire est passé sur le plan sanitaire, mais le virus continue d'empoisonner notre économie. Un constat qui vaut aussi pour notre secteur, où les médias traditionnels ont généralement vu leurs recettes publicitaires fondre comme neige au soleil. «  En examinant les chiffres MDB de Nielsen, vous verrez que 2020 suit le rythme de 2019 jusqu'à la 10ième semaine incluse », indique Saskia Schatteman, CEO de la Var. « Ensuite, on constate une légère reprise à partir de la 20ième semaine. Entre ces deux points de référence, la baisse est de 49% pour l'ensemble du marché.  »

Ben Jansen, CCO de DPG Media, approuve : «  Bon nombre d'annonceurs ont immédiatement tenu à l'oeil leur trésorerie au début de la crise. Le CFO a beaucoup à dire au sein du conseil d'administration en ce moment.  » «  Toutes les entreprises s'attellent à résoudre leur propre crise », note quant à lui Philippe Belpaire, General Manager de Roularta Media. « C'est à la fois compréhensible et regrettable, car en poursuivant leurs investissements, les annonceurs auraient pu obtenir une part de voix intéressante pour un meilleur CPM.  »

Et Ben Jansen d'enchaîner : «  Pour le mois de juin, nous constatons une légère reprise, avec même pour la première fois des recettes supérieures à l'année dernière en radio et télévision.  » Bart Demeulenaere, son homologue chez SBS, fait le même constat tout en se projetant dans l'avenir : «  Les prochaines semaines seront décisives pour le reste de l'année. Le sentiment de retour à la normalité, aussi subjectif soit-il, sera essentiel pour la confiance des consommateurs et, partant, des annonceurs.  » Du côté francophone, Yves Gérard, CEO de RMB, observe également une timide reprise grâce aux commerces locaux qui, maintenant qu'ils sont à nouveau ouverts, affichent leur volonté de se remettre à investir. Denis Masquelier, Directeur Général d'IP Belgium, dit quant à lui espérer que la Belgique continuera à jouer un rôle sur l'échiquier international : «  On voit les mêmes tendances partout en Europe, et j'espère que les petits pays ne seront pas sacrifiés dans les réductions budgétaires envisagées par les annonceurs.  »

Thierry Hugot, Directeur Commercial & Marketing du Groupe Rossel, renchérit : « La presse quotidienne nationale a décroché pas mal de budgets de communication de crise. » Chez IPM Advertising, le Directeur Opérationnel Henri Visart confirme le succès des NP qui ont réussi à convaincre les annonceurs de la nécessité de poursuivre leur communication en temps de crise. «  Mais il est difficile de prévoir ce qui arrivera au second semestre, lorsque la communication de crise aura disparu », ajoute-t-il. « La situation pourrait bien varier d'un secteur à l'autre : on peut par exemple se demander ce que va faire l'automobile...  »
Saskia Schatteman (Var) : " Le succès croissant de nos médias belges s'explique aussi par le pouvoir unificateur, le côté humain et le sentiment communautaire qu'ils génèrent."
Paradoxalement, presque tous les médias ont vu leur consommation et leur audience augmenter de façon exponentielle sur la même période. Une hausse qu'ils pensent pouvoir maintenir au moins en partie dans les prochains mois. Ce pic de consommation médiatique est, bien sûr, principalement lié au besoin d'obtenir des informations fiables en temps de crise, un phénomène renforcé par le fait que beaucoup de gens ont tout à coup eu beaucoup plus de temps libre.

«  Le succès croissant de nos médias belges s'explique aussi par le pouvoir unificateur, le côté humain et le sentiment communautaire qu'ils génèrent », poursuit Saskia Schatteman. « La radio et la télévision jouent le rôle de compagnons dignes de confiance, tant auprès des groupes cibles plus âgés que des jeunes générations. En outre, les gens accordent une plus grande importance au local.  » Les chiffres indiquent également que les jeunes ont revisité la TV linéaire et que nos seniors ont découvert les joies de la tablette. «  Cela a des conséquences sur la consommation vidéo », souligne Bart Demeulenaere. « Celle-ci connaît une croissance énorme, qui profite aussi aux plateformes digitales belges telles que VRT Nu, VTM Go, RTL Play et Auvio. 

«  Cette crise a joué un rôle de catalyseur pour le digital », convient Ben Jansen et la même tendance s'observe dans la presse quotidienne, qui a également servi de source d'information et de divertissement premium. Les journaux ont vu surtout - mais pas uniquement - leurs abonnements numériques monter en flèche. Henry Visart : «  Pour La Libre, nous avons mis au point des formules d'abonnement spécifiques et avons déjà réalisé l'objectif que nous nous étions fixé pour la fin de l'année. » Cette démarche a sans doute aidé grandement à compenser la baisse des recettes publicitaires. « 70% de nos revenus proviennent du marché des lecteurs », explique Bart Decoster, Corporate Director de Mediahuis Advertising. « Les quotidiens nationaux ont donc connu de très bons mois en Belgique, aussi étrange que cela puisse paraître. Ces dernières années, la publicité est devenue beaucoup moins importante au sein de notre modèle commercial.  » 

La presse magazine aussi a surfé sur le besoin croissant de décryptage de l'actualité et de détente. «  La consommation de nos médias a augmenté sur toutes les plateformes et dans tous les canaux, avec des hausses de 50% et plus, non seulement en ligne, mais aussi par le biais de la vente au numéro et des abonnements », se réjouit Philippe Belpaire. « Cette augmentation a touché tous les segments dans lesquels nous opérons, tant l'actualité que le divertissement et le luxe. Nous avons donc lancé un kiosque numérique avec un abonnement d'essai de quatre semaines. Grâce à ce nouveau projet, plus de 7.000 nouveaux lecteurs profitent d'un "mini-abonnement papier" à l'une des marques de Roularta qui leur donne également accès à la version digitale de tous nos titres. Cela nous a aussi permis de collecter des informations qui nous seront précieuses à l'avenir. Nous avons notamment constaté que les jeunes étaient friands d'abonnements de courte durée.  » 
En effet, en plus des revenus générés par ces abonnements supplémentaires, la richesse des données sur les nouveaux consommateurs et le comportement des lecteurs est particulièrement intéressante. Bart Decoster : «  Nous essayons de tirer un maximum de leçons de cette période. Comme le digital a encore gagné en pertinence, nous allons davantage miser là-dessus. Tant en ce qui concerne les contenus que les données récoltées. En se digitalisant, la consommation média fournit des données de plus en plus nombreuses qui nous permettent de mieux segmenter et d'adapter nos produits, tant rédactionnels que commerciaux.  Pour faire face à cette évolution, les équipes de vente doivent accroître leur expertise dans le domaine. Nous devons en tenir compte dans leur formation, afin qu'ils puissent accompagner les clients et répondre adéquatement aux briefings.  » 

Des compétences qui deviendront encore plus importantes avec la disparition des cookies tiers et qui sont un argument de taille afin de pouvoir se positionner comme alternative valable face aux GAFA. « Pendant la crise, nous avons réalisé une accélération au sein de l'accélération digitale », ajoute Ben Jansen. « Nous touchons plus de personnes avec toutes nos plateformes et nous les connaissons mieux, grâce à la politique de log-in accrue, tant sur HLN et De Morgen que sur VTM GO. Cela nous permet, tout comme les autres acteurs locaux de prétendre à une part significative des budgets publicitaires digitaux. » Espérons que cela se traduira rapidement en une croissance tangible. « Sur ce point, les agences et leurs recommandations ont certainement un rôle à jouer », affirme Yves Gérard. 
Ben Jansen (DPG Media) : "Cette crise a prouvé toute l'importance d'entretenir des contacts étroits avec des partenaires médias locaux. Certains annonceurs l'ont très bien compris."
Outre l'expertise interne en matière de données que toutes les régies acquièrent depuis un certain temps, la crise aura mis en évidence d'autres aspects. C'est le cas notamment de la créativité dont elles ont fait preuve en complicité avec les agences. Saskia Schatteman peut citer d'innombrables exemples : «  Un certain nombre de détaillants non alimentaires se sont lancés dans l'e-commerce, d'autres ont offert une valeur ajoutée sous forme de conseils ou de soutien à ceux qui en avaient besoin, avec un contenu adapté à la situation. En outre, les radiodiffuseurs ont aussi mené des campagnes spéciales, avec des contenus répondant aux nouveaux besoins des auditeurs.  »
 
Les formes de publicité non classique ont également remporté un vif succès : «  Le marketing de contenu et le native étaient déjà en hausse, mais cette tendance s'accentue maintenant », affirme Bart Decoster. « Les médias d'information n'ont pas leur pareil lorsqu'il s'agit de raconter des histoires, grâce à leur contexte idéal.  » On peut en dire autant du marketing d'influence. «  Notre département de marketing d'influence a battu des records parce que les annonceurs avaient des histoires à raconter sur leurs initiatives et dans le but de tranquilliser les gens », note Thierry Hugot. « Ces histoires ont gagné en crédibilité grâce aux influenceurs, qui ont en outre veillé à les diffuser largement.  »

Qui plus est, les régies disposent d'une série d'outils pour mesurer les effets des actions menées. Saskia Schatteman : «  Notre régie se concentre désormais sur le rythme de nos clients afin de les aider à traverser sans encombre cette période instable. Pour ce faire, nous tablons sur la création, la mesure et l'optimisation de leurs campagnes. Quand on fait attention à chaque euro investi, on essaie de les rentabiliser au maximum. Nous pouvons offrir des enseignements et des idées basés sur nos propres recherches et nous voulons encore renforcer notre rôle de conseil.  »

Ben Jansen se fait le porte-parole de ses confrères pour insister sur la valeur de l'ancrage local afin de générer des connexions authentiques et précieuses grâce à des médias fiables. «  Au cours des dernières semaines, les annonceurs ont pu se rendre compte que les relations avec les régies et les éditeurs ne se limitaient pas au trading. Les médias sont souvent réduits à une simple commodity, ce qui est totalement injustifié. Cette crise a prouvé toute l'importance d'entretenir des contacts étroits avec des partenaires médias locaux. Certains annonceurs l'ont très bien compris. Cela fait plaisir à voir et cela montre en même temps qu'un authentique esprit d'entreprise s'avère également payant en matière de communication.  » 

Il faut toutefois veiller à saisir la balle au bond. «  Pendant la crise, nous avons dû être très réactifs, très présents », souligne Thierry Hugot. « Il fallait tout faire très vite et je pense que cette approche à court terme va encore se poursuivre pendant un certain temps, sans doute jusqu'à la fin de 2021. » Et Bart Demeulenaere de conclure : «  Nous avons modifié notre façon d'envisager le travail de régie. La nécessité de comprendre le client est devenue encore plus pressante. En temps normal, nous nous focalisons en interne sur le B2B, mais en temps de crise, nous attachons plus d'importance aux clients de nos clients, avec des discussions beaucoup plus concrètes sur les programmes pour l'été, par exemple.  »
Thierry Hugot (Rossel ) : "J'observe une accélération d'un certain nombre de changements sociétaux qui pourraient jouer en notre faveur, notamment en matière de consommation média."
Comme il y a fort à parier que la majorité de nos compatriotes passeront leurs vacances à la maison ou quelque part en Belgique, les deux prochains mois revêtiront une importance inhabituelle pour les médias et leurs régies. Un scénario auquel la RTBF et RMB se préparent avec le programme Restart de la chaîne publique et les offres "Diving into the new normal" de sa régie. RTL TVI lance également un certain nombre de nouveaux formats et mise sur les émissions phares de sa programmation, qui seront mises à profit de façon créative par la régie. 

Le même cocktail "coronaproof" caractérise les grilles de la VRT, présentant des plaisirs d'été divers pouvant être savourés à la maison ou ailleurs, allant jusqu'à la production d'une série de podcasts qui retracent l'histoire de 50 ans de festivals. DPG Media a rassemblé toutes ses initiatives estivales qui englobent tous ses supports et plateformes sous le hashtag #dezomervan2020, avec un rôle central pour HLN et HLN.be. « Cet été, SBS va investir et miser sur une grille forte, contrairement à ce que voudrait la saisonnalité, histoire de servir encore mieux nos audiences présentes », confirme également Bart Demeulenaere. « Au niveau publicitaire, cela se traduit dans des initiatives telles que notre écran publicitaire belge, la Staycation ou le spot Pride pour soutenir l'horeca. »

Il n'y aura pas non plus de période de répit pour la presse quotidienne. « Nous poursuivrons la publication de certains de nos suppléments pendant quelques semaines, au lieu de l'interruption estivale habituelle, et nous avons également prévu plusieurs promotions spéciales », confirme Visart. 

Afin de remédier à la frilosité compréhensible des annonceurs au cours des prochaines semaines cruciales et de les aider à investir en ces temps incertains, les régies font également preuve d'une grande flexibilité. « Nous nous montrons plus souples en matière de réservations, non seulement en termes d'outils, mais aussi de conditions », explique Denis Masquelier. « C'est pourquoi nous avons développé plusieurs formules créatives pour faciliter la tâche des annonceurs. C'est la seule façon de créer un effet boule de neige positif en tant qu'ambassadeur de nos médias et gardien de la pluralité du paysage média. Nous devons tous faire du chiffre aujourd'hui. » La même attitude caractérise l'approche de RMB. Yves Gérard : « Nous faisons tout notre possible pour aider nos annonceurs. Certains ne demandent pas mieux de communiquer, mais font face à de grandes difficultés financières. Nous examinons au cas par cas ce que nous pouvons faire pour eux. C'est cela aussi la mission d'une régie. »
Bart Demeulenaere (SBS) : "C'est le moment d'oser et de prendre des risques , c'est la seule façon d'éviter une spirale descendante."
Il est difficile de prévoir de quoi seront faits les prochains mois. Thierry Hugot avance un pronostic tout en nuances : « Nous allons peut-être traverser une grave crise, et je crains une baisse de la consommation globale. En même temps, j'observe une accélération d'un certain nombre de changements sociétaux qui pourraient jouer en notre faveur, notamment en matière de consommation média. Je suis convaincu que les annonceurs accorderont une importance toujours plus grande à la brand safety. Par ailleurs, je remarque que les gens se rabattent sur certains médias traditionnels en raison de leur valeur intrinsèque. Le journalisme de qualité est la clé de notre succès de demain, tant auprès des lecteurs que des annonceurs. »

Ce souci de qualité doit s'accompagner de l'empathie nécessaire envers ces deux groupes cibles. « C'est pourquoi nous avons lancé le hashtag #RoulartaCares », explique Philippe Belpaire. « Nous voulons aider tous les annonceurs en les informant des nouvelles idées, initiatives et solutions intéressantes qui peuvent stimuler leurs activités. Car c'est seulement en faisant preuve de solidarité que nous pourrons tous ensemble relancer l'économie belge. » L'initiative comprend une enquête auprès des consommateurs, de nouveaux formats conviviaux et des collaborations avec d'autres titres et éditeurs, comme pour le WOW Mag Pack, qui associe Libelle et Femmes d'Aujourd'hui à Dag Allemaal (DPG) et Ciné Télé Revue (Rossel).

Ben Jansen veut regarder l'avenir avec optimisme : « Les prévisions parlent des baisses entre 8 et 31%. Il s'agit bien sûr d'une fourchette très large. Je veux me montrer optimiste, car je crois en la force de la self fulfilling prophecy. Nous avons donc une responsabilité partagée pour tirer le meilleur parti de la situation, en collaboration avec les annonceurs. » Bart Demeulenaere plaide quant à lui pour plus d'audace : « C'est le moment d'oser et de prendre des risques ; c'est la seule façon d'éviter une spirale descendante. » 

Le mot de la fin est pour Denis Masquelier : « Les annonceurs et les agences ont fait preuve d'une grande résilience. Notre régie s'est également employée à élaborer des solutions constructives et à convaincre les annonceurs de l'importance de la communication, avec plus ou moins de succès. De nouveaux équilibres se dessinent dans un contexte nouveau ; de nombreux indicateurs pointent un besoin de changement et un ralentissement de la course à la croissance à tout prix. J'espère que nous ne nous réveillerons pas le 1er septembre comme si tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve, mais que nous pourrons évoluer vers un marketing durable, dans les limites de l'économie de marché. »

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