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Smart Cities : Quel rôle pour la mobilité intelligente  ?

Lundi 28 Septembre 2020

Smart Cities : Quel rôle pour la mobilité intelligente  ?

Quelle influence le Covid-19 exerce-t-il sur le développement d'applications de mobilité intelligente dans nos villes ? Va-t-il accélérer la transition vers les villes connectées et la mobilité douce ? Analyse.

Ce que des années de mesures politiques, d'études et de recommandations n'ont pas réussi à changer, le virus est parvenu à le faire en quelques semaines - du moins au début de la pandémie. Les villes sont devenues des lieux moins stressants, les cyclistes et les piétons ont détrôné la voiture, le trafic aérien et la pollution atmosphérique ont diminué, etc. Ce changement temporaire de comportement suffira-t-il à instaurer une nouvelle vision de la mobilité ? Et comment la technologie intelligente peut-elle y contribuer ?
Le Covid-19 nous a contraints à regarder la réalité en face en faisant mieux apparaître les macro-tendances et les évolutions en matière de mobilité. C'est du moins l'avis de Pieter Ballon, professeur à la VUB, expert en villes intelligentes et directeur du centre de recherche imec-SMIT. Membre du comité de relance sociale du gouvernement flamand, cet expert observe trois grandes évolutions en matière de mobilité. 
Selon lui, la crise sanitaire a avant tout un double impact sur le comportement des individus en matière de mobilité : « L'adoption massive du télétravail a eu des effets positifs sur la mobilité en général. » 

« Il y a eu moins de victimes de la route, moins de pollution, moins d'embouteillages, moins d'heures perdues, et les villes sont devenues des lieux de vie plus agréables. Voilà des évolutions que nous souhaitons renforcer après la pandémie. Las, cette tendance positive a été en partie contrebalancée par un phénomène négatif : la crainte des gens de recourir aux transports publics ou collectifs. Nous devons donc veiller à ce qu'ils inspirent de nouveau confiance. L'hygiène et la possibilité de garder une distance suffisante entre usagers sont bien plus importantes que l'aspect financier. » Il fait allusion à la décision du gouvernement fédéral de distribuer gratuitement des pass pour le train. « Ce sont des solutions à court terme, mais il faut aussi s'atteler à des mesures à plus long terme », estime Ballon. « Depuis des décennies, nous plaidons en faveur de la tarification routière et dénonçons le scandale des subventions pour les voitures de société. C'est ce genre de mesures qui incitent les gens à utiliser la voiture ou en tout cas procurent un avantage illégitime à ce mode de locomotion. » 

La troisième grande évolution initiée par le coronavirus est selon lui l'impact sur l'espace public et la manière dont nous l'organisons et en faisons usage. « Nous avons tous ressenti, principalement dans nos villes, le manque d'espaces publics et verts en Flandre et à Bruxelles. Jamais auparavant l'immobilier n'a été soumis à de telles pressions qu'au cours des derniers mois. Les gens découvrent soudain les avantages ou les inconvénients de leur lieu de résidence et apprécient plus la présence d'espaces verts ou publics à proximité. » Si l'on n'y fait rien, Ballon redoute un exode des villes vers la campagne, avec tous les problèmes de mobilité que cela entraînerait...
La ville du quart d’heure
L'un des avis sur lesquels le comité de relance sociale s'est penché concerne la "ville du quart d'heure", une nouvelle vision du développement urbain qui fait fureur dans plusieurs métropoles comme Paris, Barcelone ou Melbourne. La ville du quart d'heure est une ville à dimension humaine où les gens peuvent se rendre partout à pied ou à vélo : au magasin, au travail, à l'école, au parc, etc. Elle comprend plus d'espaces verts, ainsi que des pistes cyclables et des trottoirs plus larges, des bâtiments plus vastes, multifonctionnels et écologiques. « Lorsqu'on réfléchit aux conséquences d'une pandémie sur la vie urbaine, le concept de ville du quart d'heure est sans doute l'un des objectifs les plus intéressants que l'on puisse se fixer. » Le concept se centre sur ce que l'on appelle la "mobilité douce". 

Dans de nombreuses villes, le calme relatif a été mis à profit pour adapter les infrastructures routières et affecter plus d'espace à la bicyclette au détriment de la voiture. Notre capitale va se doter de 40 km de pistes cyclables supplémentaires. Dans la rue de la Loi, symbole de la place prépondérante de la voiture à Bruxelles, une voie de circulation automobile a été transformée au mois de mai en bande cyclable, afin de soulager les transports publics et d'encourager les gens à utiliser le vélo. De même, des espaces réservés normalement au stationnement ont été attribués aux terrasses des établissements horeca. « Il s'agit de mesures temporaires, mais elles ont souvent un tel succès que l'on peut envisager de les rendre permanentes. » 
Mesurer, construire et influencer
Dans quelle mesure les technologies peuvent-elles contribuer à changer nos habitudes en matière de mobilité ? Pieter Ballon pointe trois domaines dans lesquels les villes peuvent travailler : améliorer le comptage de la circulation, miser sur les infrastructures intelligentes et investir dans les technologies qui influencent les comportements. 

Dans le domaine du comptage, il s'agit notamment de cartographier les embouteillages, la pollution atmosphérique et la sécurité routière. A l'exemple de Telraam, un outil lancé en 2019. Cet appareil est fixé sur la face intérieure d'une fenêtre située à un étage d'un bâtiment avec vue sur la rue. Il se compose d'un micro-ordinateur et d'une caméra à faible résolution et compte le nombre de voitures qui passent dans la rue. Tout est automatisé et les data sont transmises à une base de données centrale. Ce projet participatif permet aux citoyens de recueillir des informations objectives, par exemple pour aborder la problématique du trafic avec les autorités communales. Les experts en mobilité pensent que les études citoyennes de ce genre vont se multiplier à l'avenir. Témoin l'accueil enthousiaste reçu par le projet CurieuzeNeuzen pour mesurer la qualité de l'air. 

On peut encore citer "Brussels Hacks the Crisis" et "Hackable City of Things", qui invitaient les citoyens à partager leurs idées pour imaginer le monde de l'après-Covid. Côté  projets pilotés par la data, mentionnons encore Mobilidata et City Flows. Le premier consiste en un programme quinquennal du gouvernement flamand qui centralise en temps réel des informations anonymisées fournies par les usagers de la route, les infrastructures routières, les voitures, certaines applications et les systèmes publics en vue de mettre au point des solutions pour rendre le trafic plus sûr et plus durable. Le second visualise les flux de mobilité pour évaluer, entre autres, la politique de stationnement, l'impact des zones vertes et la pollution atmosphérique. Un autre exemple dans le domaine de la mesure et de la surveillance, cette fois-ci en rapport aux espaces publics, est la technologie utilisée par la Région de Bruxelles-Capitale pour arroser les nouveaux arbres plantés dans les parcs et le long des routes. Ceux-ci ont été dotés d'une sonde qui indique leurs besoins en eau à travers une application.

Un deuxième domaine d'activité concerne les infrastructures intelligentes. L'Antwerp Smart Zone en fournit une belle illustration. Cette zone située dans le quartier populaire de Saint-André, nous donne un avant-goût de la ville de demain. On y teste des caméras et des capteurs interconnectés pour de multiples applications : traverser la rue sans danger, économiser la lumière pendant la nuit, aider les coursiers à trouver un stationnement, installer des panneaux d'information interactifs, etc. Un autre exemple est celui des systèmes de signalisation routière en cours d'expérimentation dans différents endroits en Flandre afin d'optimiser le flux de trafic. Les feux sont connectés à des applications et fonctionnent à partir de capteurs routiers et embarqués. Pieter Ballon : « En plus de l'aménagement de l'espace, il faut surtout investir dans des systèmes qui permettent aux gens d'arriver plus vite à leur travail à vélo qu'en voiture. Ce n'est plus une utopie depuis la généralisation du vélo électrique. Nous devons créer des cercles concentriques dans et autour des villes qui favorisent les déplacements à vélo. » 

Le troisième domaine englobe toutes les technologies qui influencent les comportements en matière de mobilité. Le système Mobility as a Service (MaaS) en constitue l'évolution la plus importante. Il s'agit d'une appli qui intègre tous les moyens de transport d'une zone, y compris les services personnalisés tels que paiements, abonnements, calcul des itinéraires, etc. Selon les experts en mobilité, MaaS est le principal élément d'une stratégie de mobilité intelligente et la clé d'une ville viable. Une étude de Deloitte sur la manière dont le C-19 va modifier la mobilité dans nos villes, montre que MaaS fournit une solution pour cinq paramètres : économie, sécurité, télétravail, durabilité et innovation. Sur le plan économique, les usagers peuvent réduire leurs frais de déplacement. Dans le domaine de la sécurité, les mesures peuvent proposer à l'utilisateur le parcours le plus sûr. En ce qui concerne le télétravail, elles offrent une solution fonctionnelle, flexible et fiable pour les trajets occasionnels. Pour ce qui est de la durabilité, elle peut faciliter la transition vers d'autres solutions de transport. 
MaaS, le MVNO de la mobilité
Les deux plus grandes villes du pays sont en train de déployer un système MaaS. Anvers a mis en place plusieurs systèmes, tant pour les citoyens que pour les entreprises, et lancé le projet Slim naar Antwerpen, un calculateur d'itinéraire multimodal. À Bruxelles, la STIB et Bruxelles Mobilité mènent un projet pilote en la matière : pendant six à neuf mois, 2.000 participants testeront l'application, qui devrait être lancée en 2021 sur la base des données et feedbacks récoltés. Elle permettra d'accéder à différents modes de transport, tant publics que privés (trottinettes, taxis, autopartage et vélos en libre-service). Les utilisateurs pourront calculer un itinéraire en combinant ces différents modes de transport. L'appli offrira aussi la possibilité de payer directement certains de ces transports. 

« Deux ingrédients sont essentiels pour réussir sa stratégie de MaaS : l'harmonisation et l'inclusivité », précise Pieter Ballon. 

« Tous les acteurs de la mobilité doivent participer et que cela ne doit pas s'arrêter aux frontières. L'idéal est de tisser des collaborations entre les différentes régions pour mettre au point un système national. Je suis donc très heureux de la collaboration instaurée entre Anvers et Bruxelles. Car le principal groupe à sensibiliser est celui des personnes qui vivent en dehors de ces villes ; ce sont elles qu'il faut convaincre de s'y rendre autrement qu'en voiture. La seconde condition est que tous les acteurs soient connectés, que toutes les données soient disponibles en temps réel et que l'on puisse proposer des paiements intégrés ou des abonnements en plus des informations. » MaaS présente qui plus est l'avantage de calculer le prix des itinéraires et d'obtenir des coûts de transport inférieurs à celui de l'usage de la voiture : « Les villes peuvent ainsi inciter les gens à modifier leurs habitudes et réaliser simultanément différents objectifs : accessibilité, durabilité, viabilité et mobilité à petit prix. »

L'une des grandes leçons à retenir de cette crise est la nécessité de fixer des limites à nos déplacements et à l'exploitation des espaces publics et verts. Les efforts pour rendre la mobilité plus intelligente peuvent contribuer à dégager des solutions. À cet égard, il faudra sans aucun doute rationaliser le nombre d'acteurs de la mobilité (partagée ou non), qui ont connu une croissance exponentielle ces dernières années. Les systèmes MaaS pourraient entraîner une sorte de sélection naturelle. Et qui sait si tous ces outils n'apporteront pas une aide précieuse en cas d'irruption d'un nouveau virus... 

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