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Sébastien Desclée (IPM) : "Les acteurs locaux, et les éditeurs en particulier, doivent davantage collaborer pour rendre le gâteau plus grand"

Dimanche 18 Février 2024

Sébastien Desclée (IPM) :

En septembre dernier, Sébastien Desclée devenait Directeur Général d’IPM Group, succédant à Dennis Pierrard qui occupait la fonction depuis 20 ans. Un retour au pays pour celui qui a occupé ces dernières années différentes fonctions internationales chez FCB, dont celle de CEO du groupe en Nouvelle Zélande depuis deux ans et qui fut CEO de Publicis Belgium entre 2011 et 2013. 
 
Publicitaire globe-trotter depuis 17 ans, Sébastien Desclée avait démarré sa carrière chez l’annonceur, plus précisément chez P&G. Chez IPM, Il opère donc une nouvelle transition en intégrant cette fois l’univers des médias. 
 
Dans l'entretien qu'il nous a accordé, il nous parle de sa perception du marché, de l’évolution du groupe IPM et du sérieux problème de distribution qui secoue le monde des éditeurs.
 
Vous êtes de retour en Belgique depuis quelques mois, après dix années durant lesquelles vous avez beaucoup voyagé avec le groupe FCB… Que pensez-vous de l’évolution de notre marché ?
 
Ce marché a fortement évolué de manière générale. On sent qu’il y a beaucoup plus de pression qu’avant et que la technologie n'en finit plus de bouleverser nos métiers. Mais le secteur reste très inspirant de manière générale, et la façon dont la Belgique parvient toujours à se réinventer dans un contexte difficile, avec des moyens plus faibles que dans les grands marchés, reste impressionnante. 
 
Je déplore cependant qu’au niveau des centres de décision, la Belgique soit devenue moins prioritaire. Notre pays reste pourtant un marché formidable d’apprentissage grâce à sa taille, ses cultures différentes, les opportunités de test. 
 
Je ressens également une pression plus forte sur les agences médias, liée à la concentration du marché, notamment avec la création de l’axe DPG Media/Rossel. La concentration croissante des médias est une réalité, et cela ne va pas changer. Aux autres acteurs de voir comment s’organiser en conséquence, de créer des opportunités utiles pour les annonceurs. Tout changement est une opportunité.
 
J’en profite pour souligner quelque chose qui me frappe à propos de la Belgique francophone : le différentiel d’investissement média par rapport à d’autres régions du monde assez similaires. Aujourd’hui la Belgique francophone, c’est un peu moins de cinq millions d’habitants, 200 milliards de PIB et l’investissement pub média net s’élève à environ 550 millions d’euros. En Nouvelle Zélande, marché proche en termes d’habitants et de PIB, on investit 400 millions de plus en média, grâce au dynamisme de l'État, qui est le premier annonceur du pays. 
 
Je suis convaincu que le secteur public pourrait jouer un rôle plus important dans la dynamique de marché en Belgique francophone, en investissant dans de bons projets de transformation. Rappelons qu'un euro investi en pub, c’est 10 euros dans l’économie. 
 
Comment le groupe IPM se positionne-t-il dans ce contexte ? 
 
Notre mission est d’informer, connecter la Belgique francophone pour la faire avancer. Cela veut dire par exemple être proche des gens avec une présence locale forte. Nous avons encore une dizaine de bureaux locaux en Wallonie. Cette proximité est essentielle. J’étais récemment à Arlon, où j’ai discuté avec le rédacteur de L’Avenir Luxembourg, véritable institution là-bas... C’était fascinant de voir la manière dont ils sont ancrés dans la société, le quotidien des gens. C’est précieux dans un monde où tout devient virtuel et connecté.
 
Nous touchons plus de deux millions de personnes chaque semaine, ce qui fait de nous un acteur important. Mais nous ne sommes pas les plus grands et au niveau de la régie, nous devons donc avoir une flexibilité, une agilité qui nous permette de développer des solutions publicitaires originales. Cela passe par la connaissance approfondie de nos audiences, la valorisation de celles-ci et des performances qu’elles peuvent générer, la complémentarité entre l’ensemble de nos médias… C’est la clé. Certainement par rapport à des acteurs mondiaux. 
 
De manière générale, ces atouts sont-ils suffisamment mis en avant ? Des associations comme VIA le font très bien, mais est-ce le cas des éditeurs ? 
 
Vous soulevez un point important. Aujourd’hui un jeune de 25-30 ans dans une agence média ne pense certainement pas assez aux éditeurs en termes de vidéo, alors que nous sommes des pourvoyeurs d’inventaires gigantesques et que tout le monde est à la recherche de vidéos en ligne. Chez IPM, nous produisons 700 vidéos par semaine, qui nous permettent d’informer, mais aussi de fournir des supports pour nos annonceurs. 
 
Par ailleurs, un titre comme Paris Match affiche une nouvelle progression de plus de 4% sur le mois de janvier, cela montre que les marques historiques fonctionnent encore. Il y a un potentiel de notoriété évident par rapport à nos produits et surtout nous avons des choses très intéressantes à raconter à ce sujet. Nous devons clairement nous mettre plus en avant. Et cela vaut pour tous les éditeurs, qui doivent davantage collaborer pour rendre le gâteau plus grand. 
 
Quel bilan tirez-vous de l’année 2023 au niveau d'IPM ?
 
Globalement, nous avons mieux performé qu'en 2022, et ce, en dépit d'une baisse de 7% de nos chiffres de diffusion. Le papier est en décroissance, mais il reste notre principale source de profit : 80% de nos revenus de diffusion sont encore liés à nos abonnés. D’où l’importance de continuer à recruter et fidéliser. Il faut savoir aussi que la dépense du belge francophone en information dans nos supports par rapport au néerlandophone est plus de deux fois inférieure. Les dynamiques de marché sont excessivement différentes entre le Nord et le Sud. 
 
En même temps, pour répondre à la décroissance du papier, il faut accélérer la croissance du digital et sa rentabilité, diffuser les contenus dans un modèle qui concurrence le papier. C’est tout sauf simple dans un marché digital qui reste modeste en taille et qui nécessite constamment de nouveaux investissements technologiques onéreux.
 
On a beaucoup écrit que LN24 plombait votre rentabilité de manière significative. Vous vous posez aussi la question par rapport à l’utilité d’avoir une chaîne TV dans le groupe ? François le Hodey a récemment déclaré que IPM pourrait vivre sans LN24…
 
C’est vrai qu’il a tenu ces propos, mais il a immédiatement nuancé en rappelant qu'IPM continue à investir dans le produit. Mais il a évidemment insisté sur le besoin de rentabilité, d’un équilibre entre les dépenses et les recettes. Les pertes sont trop importantes (3,9 millions en 2023, ndlr) et il faut stopper l’hémorragie, tout en ne déparant pas la chaîne.
 
Même si la place occupée par LN24 dans le paysage audiovisuel n’est pas gigantesque, elle est importante, et son offre est unique. Le nouveau plan d’économie vise à les réduire de moitié pour 2024. 
 
Vous venez de reprendre Fun Radio. Comment va-t-elle s'intégrer à l'offre aux côtés de LN Radio ? 
 

Les deux marques vont se nourrir et se renforcer mutuellement. Il y a une complémentarité évidente en termes d'audiences et nous allons activer des synergies entre elles au niveau commercial, éditorial et marketing. Tout cela en maintenant leur spécificité propre. 
 
L'actualité, c'est aussi le dossier de la distribution. Comment abordez-vous cette nouvelle épine dans le pied des éditeurs ?
 
Effectivement, une distribution perturbée et une évolution des aides à la presse nous plongeraient dans l’imprévisibilité et l’insécurité. C’est frustrant parce que notre rôle n’a jamais été aussi important, dans un monde où l’intelligence artificielle et les fake news prennent tant de place. Et certainement au cours d'une année électorale. Je déplore la légèreté avec laquelle l’État s'est emparé du dossier. Nous, éditeurs, nous cherchons des solutions… Plusieurs options sont possibles, mais c’est très compliqué de mettre en place un plan de distribution pour toute la Wallonie dans un délai aussi court. C’est quasi mission impossible. C’est là notamment que la collaboration entre éditeurs est importante. Sur un problème d’une telle ampleur, nous devons travailler en intelligence. Et c’est d’ailleurs ce que nous faisons. 
 
Quels sont vos autres défis à court ou moyen terme ?
 
Renforcer les spécificités de chacune de nos marques au niveau du contenu, et renforcer l’expérience consommateur, qui passe notamment par l’amélioration des interfaces. Nous voulons aussi être plus présents en B2B, ajouter de la cohérence dans l'approche au niveau du groupe, avec des partenariats au niveau publicitaire, mais aussi du contenu. Là, je parle du marché de l’entreprise, de ce que nous pouvons faire ensemble… Nous pouvons par exemple générer du contenu pour les entrepreneurs et développer de nouvelles idées business pour générer de la croissance. Nous devons aussi trouver de nouvelles sources de revenus, et bien sûr continuer à établir des ponts entre l’audiovisuel et les contenus. L’idée, c’est d’insuffler dans l’audiovisuel toute notre force rédactionnelle.

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